Coup dur pour la rébellion islamiste pakistanaise
Double jeu
02.11.2013Liliane Charrier, avec AFPLa succession de Mehsud : une nomination cruciale pour l'avenir de la paix Trentenaire promu chef du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP) en 2009, après la mort de son mentor Baitullah Mehsud, Hakimullah Mehsud a été tué avec quatre de ses proches le 1er novembre 2013 par un drone près de Miranshah, capitale du Waziristan du Nord, épicentre de la mouvance jihadiste dans la région. Les funérailles des cinq hommes ont eu lieu le soir même devant des commandants et des partisans du TTP. Dans la nuit, la choura des talibans - Conseil suprême de la rébellion - a commencé à se réunir dans un lieu secret des zones tribales afin de choisir le successeur de M. Mehsud, selon des sources talibanes. Plusieurs noms sont déjà évoqués pour prendre la tête du mouvement, dont Qari Walayat Mehsud, un cousin de Hakimullah ; Asmatullah Shaheen, chef du conseil central des talibans ; Khan Said "Sajna", actuel numéro deux de la rébellion ; et le mollah Fazlullah, commandant qui avait pris le contrôle de la vallée de Swat de 2007 à 2009 avec ses hommes. "Le Conseil central écoute les opinions de tous ses membres et des hauts commandants", a déclaré un cadre de la rébellion. "Le choix pourrait prendre du temps car les membres de la choura changent constamment de lieu de rencontre en raison des craintes d'une nouvelle attaque de drone," a-t-il ajouté. Un "sabotage" des pourparlers ? La mort de Hakimullah Mehsud intervient alors que le gouvernement du Premier ministre Nawaz Sharif devait envoyer une délégation dans les zones tribales afin de prendre contact avec les rebelles en vue d'éventuelles discussions de paix. Le Premier ministre Sharif avait récemment obtenu l'accord des grands partis politiques du pays pour amorcer des pourparlers avec les insurgés et ainsi mettre fin aux attentats qui ont fait des milliers de morts dans le pays depuis la création du TTP en 2007. "Les frappes de drones ont toujours saboté les efforts de pourparlers de paix", a déclaré Imran Khan, charismatique chef du PTI, parti à la tête du gouvernement du Khyber Pakhtunkhwa, province voisine des zones tribales. "Cela prouve que (les Etats-Unis) ne veulent pas la paix au Pakistan", a-t-il souligné. "Ce tir de drone visait les pourparlers de paix, mais nous n'allons pas les laisser mourir", a affirmé le ministre de l'Information Pervez Rasheed. "La guerre ne fait qu'alimenter le feu et notre gouvernement veut jeter de l'eau sur la guerre et le feu." C'est pourquoi il est toujours favorable à un dialogue avec les talibans. "L'avenir des pourparlers de paix sera difficile, ce sera un défi car de nombreux acteurs tentent de les saboter. Mais cela ne devrait pas avoir raison de la volonté du gouvernement d'aller de l'avant", a souhaité Jan Achakzaï, porte-parole de la Jamaat Ulema-e-Islam (JUI-F), un parti islamiste chargé d'établir le lien entre les rebelles et le gouvernement. Les autorités pakistanaises ont officiellement dénoncé cette frappe de drone, jugée "contre-productive" et considérée comme une atteinte à leur souveraineté, tandis que l'ambassadeur des Etats-Unis était convoqué pour entendre leurs protestations. Dans le nord-ouest du Pakistan, les autorités anticipent par ailleurs une nouvelle vague d'attentats en représailles aux frappes américaines contre le chef des talibans, qui accusent le gouvernement d'Islamabad de collaborer à la guerre américaine "contre le terrorisme". Islamabad complice ? Selon certaines sources, et des documents révélés au cours des dernières années, Islamabad aurait donné le feu vert à certaines de ces frappes controversées, et même demandé aux Etats-Unis de viser certaines cibles sur son propre territoire. "Le Pakistan joue un double jeu. D'un côté, il soutient les Etats-Unis et de l'autre il veut parler avec nous. Nous discuterons avec le Pakistan lorsque les tirs de drones auront cessé", a prévenu un haut commandant des insurgés, Azam Tariq, précisant toutefois que le conseil central des talibans se réunissait toujours dans les zones tribales pour choisir un nouveau chef et déterminer la marche à suivre concernant d'éventuels pourparlers.