Consultatif
Cela n’a pas traîné. Quelques pronostics sombres venus de Bruxelles ou Berlin, une dégringolade boursière, la fuite des capitaux, la hausse des taux d'intérêts, une dégradation de note en perspective, tout cela en trois jours. Plus encore que son élection - après tout so romantic - l’engagement des réformes promises par Syriza au lendemain de son arrivée au pouvoir scandalise le monde de l’argent européen, si peu coutumier du fait. Si elle n'est pas nécessairement le fruit d'un complot, la réaction épouvantée des marchés lui fait au moins résonance.
Les nouveaux dirigeants de la Grèce, il est vrai, ne sont pas donné beaucoup de mal pour, selon l'usage, les amadouer. Habitué aux envolées de campagne démenties le lendemain, la finance s’était vaille que vaille, résignée à la perspective d’une défaite du pouvoir sortant. Celle-ci, promettaient en boucle les éditorialistes européens informés, serait au pire arrachée de justesse, contraignant le gagnant à une alliance avec des partis réduisant à rien les ruptures promises. Les gauchistes d’hier, soufflait-on, s’étaient d’ailleurs convertis en secret au réalisme. Ne disaient-ils pas leur souhait de conserver leur pays dans l’eurozone ?
Deuil
Patatras. L’ampleur de la victoire de Syriza – 36 % des voix à elle seule, près de dix points d’avance, à deux sièges de la majorité parlementaire absolue - jette un froid, aggravé par le premier discours du futur Premier ministre, Alexis Tsipras : « le mandat du peuple grec annule de façon indiscutable le mémorandum(1) » ; « il fait de la « troïka(2) » une chose du passé ».
Dès lundi matin, les bourses grecques commencent leur chute, d’abord doucement, comme en avertissement : 3,5 %. Au lieu de s’associer, comme espéré, à un parti centriste de l’oligarchie, le vainqueur prend dès lundi pour allié d’appoint un groupe de la droite souverainiste, éloigné de ses positions philosophiques mais résolument hostile aux plans d’austérité. « Contre-nature », s’indignent des commentateurs vertueux ... qui ne s’étaient guère ému de la participation du LAOS d’extrême droite à la coalition précédente. « Mauvais signe », s’irrite la bourse d’Athènes : - 5 %.

Pire : le nouveau pouvoir annonce mettre en œuvre ce qu’il avait promis à ses électeurs: coup d’arrêt à la privatisation du port du Pirée – au grand dam de la Chine, pressentie pour s'en emparer - et de celui de Thessalonique, ou de la compagnie d'électricité DEI. Hausse du salaire minimum. Réintégration de plusieurs milliers de fonctionnaires. Relèvement des pensions des retraités les plus pauvres. Et même, humiliant camouflet : réintégration des femmes de ménage de l'administration des finances du pays devenues l'emblème des « anti-austérité », mises en disponibilité en 2013 et qui, depuis, avaient installé un campement devant le ministère à Athènes, .
Assauts
Là, c’est trop. Animée par des opérateurs dont on doute un peu qu’ils soient des petits porteurs angoissés du sort de leur bas de laine, la bourse chute mercredi de 9 %, tandis que s’accélère la fuite des capitaux amorcée avant le scrutin. Une douzaine de milliards d'euros se sont ainsi envolés... à peu près le coût total des mesures sociales prévues par Syriza. Les titres des banques grecques perdent de 25 à 30 %. Les taux d'intérêts d'emprunt de la Grèce passent de 8,8 à 10 %. Main invisible du marché ou action concertée pour écraser la radicalité grecque ? Il y a eu en tout cas, ici et là, des pyromanes.
Plus ouvertement incendiaire, l’agence de notation Standard & Poor's menaçait de son côté mercredi soir avec une célérité inhabituelle d'abaisser la note de la Grèce, actuellement à "B", en passant de « stable » à « négative ». Devenus fameuse pour ses prédictions fantaisistes et elle-même poursuivie dans différents pays du monde mais toujours dotée d'un pouvoir de nuisance, l'agence américaine justifie la perspective de cette note par l'incertitude politique actuelle. « Certaines des politiques économiques et budgétaires promues par le nouveau gouvernement récemment élu en Grèce, mené par le parti de gauche Syriza, sont incompatibles avec le cadre politique négocié entre le précédent gouvernement et les créanciers officiels » du pays, affirme l'agence dans un communiqué.
En proie à ses propres tiraillements, l'Union européenne souffle le chaud et le froid, générant plus de confusion et de déclarations anxiogènes que de retours à la sérénité. Si ses gouvernements ont réagi sans surprise à la victoire de Syriza en ordre dispersé, en fonction des sensibilités de leurs populations respectives, Jean-Claude Juncker - qui s'était engagé en faveur de la coalition battue aux élections - campe sur des platitudes inébranlées par le séisme de dimanche : « il n'est pas question de supprimer la dette grecque » rappelle t-il au quotidien français le Figaro (3) ou encore « dire que tout va changer parce qu'il y a un nouveau gouvernement à Athènes, c'est prendre ses désirs pour des réalités » voire « nous respectons le suffrage universel en Grèce mais la Grèce doit aussi respecter les autres » A la question « comment l'Europe doit-elle traiter un pays qui décide démocratiquement de sortir du rang ? », réponse du président de la Commission : « Il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». Celui des Grecs formulé dimanche est donc, croit-on comprendre, d'un intérêt surtout consultatif.
(1) Protocole d'accord signé par la Grèce avec ses créanciers en février 2012
(2) Banque centrale européenne, Fonds monétaire international et Commission européenne
(3) Le Figaro du 29 janvier 2015