Cela ressemble plus à une nouvelle technique de guérilla qu’à la capitulation en rase campagne toujours tant espérée et trop vite annoncée par des fossoyeurs pressés. Athènes, Washington, Moscou : en quelques jours, Syriza multiplie les embuscades et épuise ses poursuivants.
Cela commence le soir du lundi 6 avril au Parlement, dans un registre apparemment politicien. Objet de la séance : la commission d'audit de la dette grecque récemment installée, une promesse de campagne d'Alexis Tsipras. Constituée de scientifiques et de juristes, elle vise à déterminer son origine ainsi que celle des plans d'austérité mis en place à partir de 2010 en échange de l'aide financière de l'Union Européenne, de la BCE (Banque centrale européenne) et du FMI (Fonds monétaire international).
Face aux députés, Alexis Tsipras prend à nouveau ses adversaires à rebrousse-poil, mettant en cause, cette fois, la légitimité même de la dette grecque : « les questions qui se posent sur ces cinq dernières années de plans d'austérité sont immenses (…) le peuple a le droit d'avoir des réponses ». « L’objectif, avait précisé la présidente de l'Assemblée Zoé Konstantopoulou, est de déterminer l’éventuel caractère odieux, illégal ou illégitime des dettes publiques contractées par le gouvernement grec ». Premier créancier, Bruxelles appréciera.
La seconde couleuvre lâchée dans le débat parlementaire, décidément peu dans le registre de la résignation, est pour Berlin. Secrétaire d’État au Budget, Dimitris Mardas y indique que ses services ont évalué à 278,7 milliards d'euros le montant des réparations de guerre dues par l'Allemagne à la Grèce à la suite de l'occupation du pays entre 1941 et 1944. Nette réévaluation, émanant officiellement d'un ministre du gouvernement, au regard d’un rapport précédent de la Comptabilité nationale qui l'avait chiffré à 162 milliard d'euros.
La dette grecque est de l'ordre de 320 milliards d'euros. L' Allemagne n'en détient qu'un peu moins d'un cinquième mais, régnant de fait sur l'Europe, elle est le principal interlocuteur en la matière d'Athènes. Le long entretien du mois dernier entre Tsipras et Merkel a, certes, un peu fait baisser la tension mais non effacé les différends. Il y a peu, considérée comme farfelue, la question des réparations dues par Berlin s'est imposée comme sujet de discussion international … et allemand.
Gendre idéal
Un peu plus tôt, c'est le tiède qui a été soufflé outre-Atlantique à des créanciers choisis. En visite aux États-Unis qu'il connaît d’autant mieux qu’il y a enseigné jusqu'à son entrée au gouvernement, le ministre grec de l’Economie et tête de turc des médias européens Yanis Varoufakis a légèrement rassuré la finance sur la solvabilité à court terme de son pays. Rencontrant dimanche 5 avril au soir Christine Lagarde, présidente d'un FMI, considéré comme légèrement plus clairvoyant que l'Union européenne, il a assuré qu'Athènes réglera bien le 9 avril les 460 millions qu'il doit de façon imminente au Fonds.
Satisfecit de Lagarde : « je salue la confirmation du ministre que le versement dû (…) sera effectué ». Brève jubilation dans le camp hostile au gouvernement « gauchiste », ternie par la satisfaction affichée d’un Varoufakis presque content … de Lagarde. Toujours en forme malgré son lynchage permanent, celui-ci achève son voyage américain par une rencontre – anodine mais exaspérante pour ses ennemis - avec le secrétaire d’État au Trésor et une conseillère d'Obama.
Le pire est à suivre : Moscou. Synchronisé presque avec "Varoufakis en Amérique", un second tome : "Tsipras chez les Soviets"promet de faire battre les coeurs bruxellois. Sans doute Athènes affirme t-il faire la part des choses: d'un côté la crise grecque qui doit « se résoudre dans le cadre de la famille européenne (...) et de l'UE » ; de l'autre « les relations avec les pays extérieurs à l'UE » qui relèvent d'un « terrain complètement différent », résume Varoufakis décidément en gendre idéal (1).
La Grèce en somme, selon son grand argentier, ne cherche pas d'assistance financière ailleurs qu'auprès de ses partenaires européens. Elle cultive, comme les autres, des relations bilatérales avec des pays tiers. Difficile pourtant, dans l'ambiance qui prévaut entre Grèce et UE d'une part, UE et Russie d'autre part, de voir dans le déplacement une ordinaire politesse diplomatique.
Affinités
Bien des choses rapprochent les deux pays (lire notre article). Une religion orthodoxe encore prégnante dans la société et même la vie publique. Des affinités culturelles et des échanges: le tourisme russe est très présent en Grèce, qu’il apprécie. Quoique de bords politiques opposés, Alexis Tsipras et Vladimir Poutine viennent l'un et l'autre du communisme et se respectent. Syriza est fait de multiples composantes issues de l’extrême-gauche qui, même si l'URSS n'est plus, voient à certains égards d'un œil plus favorable la Russie que l'Occident, qui porte avec arrogance des valeurs qu’ils contestent.
L’un et l'autre, enfin, sont malmenés par Bruxelles, qui a cru pouvoir leur dicter ses décisions, impuissantes certes mais dont l'aveuglement ont d'un côté aggravé une faillite et imposé une tutelle étrangère sous forme de Troïka, de l'autre exacerbé au nom de la solidarité occidentale un conflit devenu guerre. L'un des premiers gestes d'Alexis Tsipras à peine investi fut de freiner les sanctions de l'Union européenne – qui n'avait pas même pensé à consulter Athènes – contre la Russie au sujet de l’Ukraine, et il s’y emploie encore malgré son isolement au sein des 27.
Autant dire qu'il est le bienvenu à Moscou pour cette visite de deux jours, ce qui est inhabituellement long. Parmi ses rencontres :Vladimir Poutine, le Premier ministre Dmitri Medvedev, le chef de la Douma Sergueï Narychkine, le patriarche orthodoxe Kirill... Ils parleront gaz, investissements mais aussi, au risque d’irriter Bruxelles, finances. Ce n’est pas tout : Tsipras refera le voyage en mai pour le 70ème anniversaire de la victoire des alliés sur l'Allemagne nazie, boudé, justement, par Angela Merkel.
Anxieux plus qu’ils ne l’avouent de tant de contacts sulfureux, les dirigeants européens cachent tant bien que mal leur irritation, déclare le ministre allemand de l'Economie. Président (socialiste et allemand) du Parlement européen aimant se camper en médiateur neutre, Martin Schultz demande à Tsipras « de ne pas mécontenter ses partenaires européens » sans avoir jamais, par ailleurs, réclamé l'inverse. « La Grèce fait partie de l'Union européenne. Et l'Union doit faire preuve de cohérence face à la Russie, en parlant d'une seule voix », avertit pour sa part une représentante au Bundestag de la CSU (parti conservateur) la députée Gerda Hasselfeldt.
Directeur de recherche à l'Institut des relations internationales à Athènes, Constantinos Filis (2) ne croit pas beaucoup, pour sa part, au fameux retournement d'alliances. « La Grèce veut montrer que le pays a plusieurs alliés », estime t-il. Elle « a besoin de l'UE et la Russie a besoin d'une Grèce dans l'UE et dans l'OTAN pour éventuellement trouver des appuis contre les critiques à son égard et les sanctions économiques ». Tactique ? Dans les chancelleries, l’inquiétude n'en demeure pas moins vive. « Nous allons montrer que la Grèce est un pays indépendant et respectable », avait déclaré avant son départ Alexis Tsipras devant le parlement d'un pays qui, en grande majorité, le soutient. Indépendance...
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(1) Interview publiée lundi par le quotidien financier Naftemboriki
(2) Interview au Rheinische Post
(3) Cité par l’AFP