« A chaque fois que je lançais un CD, que je faisais un programme télé ou un livre, j’entendais des critiques. Quand Benoit XVI est venu à São Paulo en 2007, j’ai été mis sur la touche. On m’a empêché de l’approcher pendant les cinq jours de sa présence », rappelle Padre Marcelo, dans un texte publié dans l’hebdomadaire Epoca en juin dernier. « Une humiliation » et « un boycott » qu’il attribue à l’archevêché de São Paulo, qui n’a jamais apprécié ce prêtre qui voulait « transformer la messe en show ». Six ans plus tard, la star en soutane incarne l’espoir d’une Église conquérante, capable d’enrayer la fuite des millions de fidèles catholiques vers les temples évangéliques. Plus fort que Paulo Coelho dans les librairies, mieux que Michel Telo dans les bacs – il a vendu 11 millions d’albums et 8 millions d’exemplaires de son premier livre Agape - ce fils de banquier commence à crever l’écran au milieu des années 90. « Le Padre Marcelo suscite un vrai phénomène de masse, il a compris que le marketing et la communication permettent de faire passer des émotions et de toucher le cœur des fidèles », se féilicite Antonio Kater Filho, le directeur de l’Instituto Brasileiro de Marketing Católico. Marqué par la mort brutale d’un cousin dans un accident de voiture et le cancer d’une tante l’année de ses 22 ans, le prêtre raconte avec talent comment il a surmonté une succession d’épreuves grâce à la foi. Un exercice de narration que ce paulistain maîtrise à merveille : face caméra, il met en scène sa relation émotionnelle et personnelle avec Dieu, dans la lignée du Mouvement du Renouveau Charismatique, dont il est devenu le meilleur ambassadeur.

La période culturisme Jeune professeur d’éducation physique, il éprouve un déclic « au moment de la première victoire d’Ayrton Senna (grand pilote de Formule 1 brésilien, ndlr). Lorsqu’il a levé les mains au ciel et remercié Dieu pour sa victoire, j’ai commencé à questionner le narcissisme de ma vie. J’étais une personne qui était uniquement tournée vers le culte du corps », confie-t-il lors d’une émission télévisée en 2012. Avant d’avouer aux téléspectateurs avoir succombé au pêché des « stéroïdes et des anabolisants pendant deux ou trois ans » pour parfaire sa musculature. Il est ordonné prêtre en 1994 et sort son premier album de chansons chrétiennes en 1998. Son succès est fulgurant : il court pendant dix ans de concerts en interviews, et anime plusieurs émissions télévisées et radios. A ceux qui lui reprochent son hyper-activisme médiatique, il répond qu’il ne va « pas à la télé pour lui, mais pour promouvoir Jésus ».

La dépression Au sommet de sa gloire en 2010, il est invité à Rome pour recevoir un prix remis personnellement par Benoit XVI. Un honneur qui va paradoxalement déclencher les premiers symptômes d’une profonde dépression : « Je pleurais sans motif. (…) Je perdais mon auto-estime », confie le prêtre aujourd’hui âgé de 46 ans. C’est le début d’une descente en enfer, durant laquelle il écrira Agape, « le livre le plus vendu au Brésil après la Bible » qui oscille entre développement personnel et parole d’évangiles. L’argent des ventes financera la construction du sanctuaire géant Mae de Deus, qui a ouvert ses portes l’année dernière dans la zone Sud de São Paulo. Une semaine avant les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ), on y découvre 20 000 personnes qui chantent, dansent et prient dans cette immense cathédrale de béton sans artifices. Pendant la messe, le prêtre enchaîne les tubes et anime une liturgie festive et joyeuse, la marque de fabrique du « Renouveau charismatique ». Un spectacle, retransmis à la télévision et sur internet, aux antipodes des messes austères pratiquées à Rome.

La conversion des cœurs« Notre mouvement s’est d’abord développé aux États-Unis dans les années 70 où il s’est plus imprégné de musique gospel. Il a pris une forme particulière au Brésil, en se tournant vers la joie et l’allégresse. Mais nous n’avons pas de divergence avec le mouvement traditionnel. Ce que nous proposons, c’est une nouvelle expression à l’intérieur de l’Eglise catholique », précise le prêtre Marcos de Miranda, accompagné d’une équipe de tournage personnelle dédiée à sa « Web-TV ». A quelques jours des JMJ, fidèles et prêtres du sanctuaire sont persuadés que ce « pape venu du bout du monde », embrassera chaleureusement la cause du renouveau charismatique, qui revendique pas moins de 13 millions de fidèles au Brésil. Pour Antonio Kater Filho, le phénomène « Padre Rossi a su donner une ampleur sans précédent au mouvement ». Mais c’est probablement sous le pontificat de Jean-Paul II que s’est ouvert un boulevard pour la rénovation charismatique. Dans les années 80 et 90, malgré son déclin, le courant de la Théologie de la libération (Lire notre article sur ce courant, ndlr) conserve une implantation solide dans les favelas et une vraie influence intellectuelle au Brésil. « C’est eux qui critiquaient le renouveau charismatique avec le plus de virulence », se souvient ce catholique pratiquant. Puisant en partie son inspiration dans le marxisme, ce christianisme de la libération ambitionnait de répondre aux attentes sociales et politiques des plus démunis, malgré la désapprobation de plus en plus forte exprimée par Rome. Le remplacement méthodique des évêques proches de la Théologie de la libération sous le pontificat de Jean-Paul II, laissera la voie libre au renouveau charismatique, plus enclin à « convertir les cœurs » qu’à éveiller les consciences politiques ou sociales. Fidèle à une tradition de spiritualité personnelle, le prêtre Marcelo se garde donc bien d’intervenir sur le terrain politique ou social, même au plus fort des manifestations brésiliennes de juin dernier. Sur le plan des mœurs, il se défend de contredire les positions du Vatican, alors que plusieurs études montrent une jeunesse catholique brésilienne très majoritairement favorable à l’usage de la pilule contraceptive ou à la dépénalisation de l’avortement.

La concurrence évangélique Une ligne disciplinée sur le fond, qui ne facilite pas le combat face à des églises évangéliques souvent plus permissives. « La rénovation charismatique est le seul courant catholique à gagner de nouveaux adeptes au Brésil, mais tous les autres courants catholiques perdent des fidèles. Les évangélistes continuent de recruter de nombreux catholiques et ne se sentent pas menacés par le mouvement de la rénovation charismatique », note Edin Sued Abumanssu, professeur à l’Université Pontificale Catholique de São Paulo. Par ailleurs, « si la religiosité du mouvement de rénovation charismatique est plus émotionnelle, il est très difficile pour elle de concurrencer des évangélistes beaucoup plus tournés vers le magique », rappelle le sociologue des religions. Au final, la rénovation charismatique agirait plus comme une digue de protection contenant la fuite des fidèles, que comme un véritable outil de conquête. Dès lors, le prêtre Marcelo et son mouvement attirent-ils plus de catholiques qu’il n’en convertissent ? « L’évangélisation ne peut se faire par la voix d’un seul homme. L’Eglise catholique a un problème bien plus large, elle a besoin d’une nouvelle génération de prêcheurs, de prêtres et d’évêques qui savent parler aux gens. Le Pape François avec son discours plus proche du peuple, a la possibilité de faire cette révolution », estime Antonio Kater Filho. Reste à savoir si l’argentin entonnera demain les refrains de Padre Marcelo et de sa rénovation charismatique.
Clashs entre prêtres chanteurs

Le Padre Marcelo Rossi et son ex-disciple devenu rival, le Padre Fábio de Melo, se croiseront probablement lors de la messe finale du Pape à Rio de Janeiro. Mais après avoir enregistré un album ensemble, les deux prêtres chanteurs se sont visiblement brouillés. Ces dernières années, le prêtre Marcelo Rossi est revenu plusieurs fois à la charge pour reprocher à son ex-compagnon de route, « de demander des cachets lors de ses concerts » de discuter un peu trop « avec ses fans féminines » et même de « de se produire sur scène sans soutane ». Réponse de l’intéressé : « la soutane ne fait pas le prêtre ».