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Karenzi Karake : l’arrestation d’un officiel rwandais emblématique

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Le général Emmanuel Karenzi Karaké
(capture d'écran)

Sur demande de la justice espagnole, l’arrestation en Grande-Bretagne du chef des services de renseignements rwandais Emmanuel Karenzi Karaké, personnage puissant et proche par son itinéraire du président Paul Kagamé, a exaspéré Kigali et embarrassé Londres. Il a été remis en liberté contre une caution jeudi 25 juin en attendant son audience d'extradition.

Conscience tranquille ou sentiment d’invulnérabilité ? Chef des services rwandais de renseignement et haut dignitaire du régime, le général Emmanuel Karenzi Karaké ne s’attendait visiblement pas, le 20 juin, a être cueilli à l’aéroport d’Heathrow comme un vulgaire délinquant, après d’autres séjours paisibles sur cette terre amie d’Angleterre et des années de procédures sans effet. A l’origine du mandat d’arrêt européen, de lourdes accusations portées par la justice espagnole qui le réclame et demande son extradition « dans le cadre de crimes de guerre contre des civils », a indiqué un porte-parole de Scotland Yard.

Le chef des services secrets rwandais qui a refusé d'être remis à l'Espagne, a finalement retrouvé la liberté contre une caution de 1,40 million d'euros. Il devra aussi se présenter une fois par jour à la police d'ici son audience d'extradition prévue normalement fin octobre.

Mandat d'arrêt

Neuf Espagnols tués ou disparus, en particulier, viennent se rappeler au souvenir du général, parmi lesquels trois travailleurs humanitaires de Médecins du Monde assassinés en 1997 à Ruhengeri (nord du Rwanda). Témoins indirects d’un massacre de Hutus, ils auraient été, selon l’accusation, exécutés chez eux par des soldats envoyés par Karaké, alors (déjà) en charge des renseignements.

Depuis 2008, la justice espagnole enquêtait sur des faits plus larges de génocide, crimes de guerre, crimes contre l'humanité et terrorisme en lien avec le conflit rwandais et c'est dans ce cadre qu'un magistrat de l'Audience nationale avait lancé un mandat d'arrêt visant quarante responsables rwandais dont Karake. Le juge Fernando Andreu avait notifié en octobre 2014 la fin de son instruction, sans autre nouveauté, selon une porte-parole de l'Audience nationale.

Dans l'intervalle, les volets relatifs au génocide, aux crimes contre l'humanité et aux crimes de guerre ont été classés, en application d'une nouvelle législation restreignant considérablement la portée de la loi sur la justice universelle en vigueur en Espagne. Celui pour terrorisme concernant la mort ou la disparition des neuf Espagnols reste en revanche bien valable.

Un historique

Connu à Kigali sous le surnom de « KK », le général Karake, fut l'un des principaux chefs militaires de l'Armée patriotique rwandaise (APR), branche armée de la rébellion à dominante tutsi du Front patriotique rwandais (FPR) durant les années de guerre contre le régime hutu de Juvénal Habyarimana, de 1990 à 1994.

En juillet 1994, le FPR prend Kigali après avoir défait les Forces armées rwandaises (FAR), mettant fin au génocide déclenché en avril par le régime extrémiste hutu. « KK » est l'un des officiers du petit contingent de l'APR présents très officiellement dans la capitale dès 1993, dans le cadre d'un accord de paix chancelant entre le gouvernement rwandais et le FPR. Fin et discret, il y occupe les fonctions d'officier de liaison auprès d'un groupe d'observateurs militaires neutres déployé par l'Union africaine puis auprès de la Mission de l'ONU au Rwanda (Minuar). Un poste dont il profite, selon ses détracteurs, pour mener clandestinement d'audacieuses opérations contre l'armée gouvernementale qui tient alors la capitale. Il se rend dans plusieurs régions du Rwanda, notant les forces et faiblesses des FAR. A travers la Minuar, il rencontre également de nombreux sympathisants du FPR : l'occasion de mettre en place un efficace réseau infiltrant les milieux politique, économique et militaire rwandais.

La victoire acquise, il occupe successivement les plus hautes fonctions et des postes opérationnels dans l'APR, rebaptisée en 2002 Forces de défense rwandaises (RDF), en particulier au sein des puissants services de renseignements. Il devient en 2008-2009 le numéro deux de la Minuad, mission de paix ONU-UA déployée au Darfour, dans l'ouest du Soudan.

Emblématique

Plus sombrement, Karake est soupçonné d'avoir joué un rôle dans les massacres de civils attribués à l'APR au Rwanda, lors de son avancée victorieuse sur Kigali et dans les mois qui ont suivi, ainsi que plus tard dans l'est de la République démocratique du Congo (ex-Zaïre).

Anglophone comme l'essentiel de l'ancienne diaspora élevée en Ouganda, il est issu d'une famille francophone. C'est l'une des rares personnalités susceptibles de faire de l'ombre au président Kagame, qui tient le pays d'une main de fer depuis plus de vingt ans et il a connu, vers 2010, un moment de disgrâce. Sa mise en cause judiciaire n’en affecte pas moins implicitement ou par ricochet l’ensemble des dirigeants rwandais qui l’ont bien compris ainsi. « Folie pro-génocidaire », s’indigne Kigali par la voix de sa ministre des affaires étrangères. Épithète ultime, brandi à chaque mise en cause du régime de Paul Kagamé, assorti de l’accusation de complot (« solidarité occidentale pour avilir les Africains », accuse la ministre sur son compte Tweeter).

« Obligation légale », minimisent les autorités britanniques jusqu’alors en bon terme avec le régime du président Kagamé – en délicatesse avec la France et la Francophonie, le Rwanda a adhéré au Commonwealth en 2009 - et qui, embarrassées, ont mis deux jours à rendre l’arrestation publique. « Le gouvernement de Sa Majesté attache une grande valeur aux liens étroits avec le Rwanda », insiste l’ambassadeur britannique à Kigali. Judiciaire et international, le dossier sera cependant difficile à évacuer à l’amiable ou par le jeu diplomatique. Présenté samedi après-midi à un tribunal londonien, le général a été placé en détention en attendant une nouvelle comparution ce jeudi 25 juin, qui décidera de son éventuelle extradition vers l’Espagne. Ce serait une première.