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Khaos : les visages humains de la crise grecque

Plus de 30 000 personnes ont manifesté contre l'austérité mardi 9 octobre à Athènes pour envoyer un signal fort à Angela Merkel, en visite officielle chez le président de la République hellénique. Manifestations, austérité, plans d'aide, il ne se passe pas une semaine sans que la crise grecque fasse la Une des journaux. Mais que signifie réellement cet état de crise et comment se ressent-elle au quotidien? C'est la question que la journaliste franco-roumaine Ana Dumitrescu a posé aux Grecs qu'elle a rencontrés d'Athènes à Trikala, réunissant leurs témoignages dans un documentaire qui sort ce mercredi dans toute la France : "Khaos, les visages humains de la crise grecque". La réalisatrice répond aux questions de TV5monde.  

Grand-reporter, Ana Dumitrescu s'attache à poser les problèmes de société en s'appuyant sur le regard de ceux qui les vivent.
Grand-reporter, Ana Dumitrescu s'attache à poser les problèmes de société en s'appuyant sur le regard de ceux qui les vivent.
De tous les témoignages que vous avez recueillis, qu'avez-vous dégagé comme points communs? 
Chacun explique à sa manière ce qu'il vit dans la crise. Il y a ce marin pêcheur qui raconte que quand il prend de l'essence, il en dépense énormément quand il doit se rendre aux quatre stations service qu'il reste sur vingt-quatre qu'il y avait avant. Il y a cette professeure de dessin qui voit ses élèves arriver en ayant faim et qui leur demande d'acheter du matériel de dessin. Elle se sent déconnectée de la réalité, elle ne voit plus l'importance de son travail et de son existence. Si on doit en tirer un trait commun, c'est que tout le monde est touché d'une manière ou d'une autre. Ce que je voulais faire, c'est donner un visage humain à cette crise, c'est à dire montrer ses conséquences dans la vie quotidienne. Chaque témoignage, mis bout à bout, permet de comprendre l'ampleur de cette crise, et ce changement sociétal finalement. 
Au cours de votre tournage en Grèce, y a-t-il des anecdotes qui vous ont particulièrement marquée? 
Oui, il y a cet homme qui est dans le film mais dont je ne citerai pas le nom. Ce père de famille nombreuse qui m'a dit hors caméra qu'il avait fait un stock de nourriture d'un an chez lui. Parce qu'il a peur de la famine. Ca, c'est quelque chose qui m'a beaucoup marquée car son attitude est caractéristique de ce sentiment d'état de siège. On ressent lourdement cet état de guerre, surtout à Athènes. 
Comment les gens réagissaient à vos questions? Etaient-ils contents d'obtenir une tribune ou étaient-ils réticents face à la caméra? 
Je n'étais pas du tout agressive au niveau de la caméra, je les ai vraiment laissés parler, en leur posant des questions ouvertes, sans attendre de réponse précise. Beaucoup de gens se sont adressés directement à la caméra, sans même que j'ai eu besoin de leur poser des questions. Ils ont parlé très facilement, il n'y a eu aucune préparation avant, toutes les images ont vraiment été tournées à chaud. Finalement, c'est de fil en aiguille que l'histoire s'est construite à la rencontre de chacun. 
Panagiotis Grigoriou est historien-anthropologue et l'auteur du blog “GreekCrisis Now“. Il se définit lui-même comme “blogueur de guerre économique“.
Panagiotis Grigoriou est historien-anthropologue et l'auteur du blog “GreekCrisis Now“. Il se définit lui-même comme “blogueur de guerre économique“.
Cet ensemble de témoignages est cohérent grâce à la présence de Panagiotis Grigoriou, un anthropologue grec qui tout en étant l'un des visages de la crise, arrive à y apporter beaucoup de recul. Sa présence était-elle prévue dès le départ? 
Non, en réalité, je suis partie en Grèce avec un minimum d'informations parce que je voulais voir par moi-même ce qui se passait. Le seul point d'ancrage que j'avais pris, c'était le blog de Panagiotis Grigoriou, "Greek Crisis Now", et je l'ai contacté pour le rencontrer, mais je n'avais pas du tout l'idée d'en faire le fil conducteur du film. Et puis le courant est très bien passé, j'aime sa démarche. Il est historien et anthropologue et ce qui est intéressant, c'est qu'il raconte dans son blog des anecdotes qui lui arrivent au quotidien dont il tire des analyses. Je trouve cette approche extrêmement intéressante, et elle colle à la mienne, puisqu'elle est concrète. Finalement de l'empirisme, il tire une réflexion : lui même est impliqué dans la crise, son statut professionnel a été dégradé par la crise mais il arrive quand même à avoir ce regard extérieur qui lui permet de vivre la crise à sa manière d'historien. Dans les visages de la crise grecque, on s'attendrait à voir des visages d'immigrés, dont on parle beaucoup, pourquoi sont-ils absents du film? L'immigration, on en parle effectivement beaucoup, et je trouve qu'on en parle d'une manière dangereuse, stigmatisante. Je pense que l'immigration est un problème complexe et mériterait un film à elle toute seule, et avec beaucoup de pincettes, parce qu'on a tendance à stigmatiser les immigrés quand les choses vont mal. C'est exactement ce qui est fait en Europe : on montre du doigt la Grèce en disant "attention, la France va devenir comme la Grèce, la Grèce est le mouton noir de l'Europe". La Grèce va à son tour montrer l'immigration du doigt. Nous sommes dans une logique dans laquelle on essaye toujours de désigner le coupable. Or, tant qu'on cherche le coupable, on ne cherche pas les solutions et je trouve ça extrêmement dangereux.

Bande-annonce

Retrouvez les projections du film Khaos sur le site www.khaoslefilm.com La réalisatrice remarque aussi que "des programmations se sont faites sur demandes. Peu de gens le savent, mais une programmation citoyenne se met en place un peu partout, et surtout dans les petites villes".