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L'art contemporain réunit Israéliens et Palestiniens au Louvre

Avec sa dernière création, l'artiste israélienne Michal Govner a érigé deux édifices construit en pierres ramassées en Israël et dans les territoires palestiniens. Pour bâtir ces “espaces“ au fort pouvoir symbolique, elle a réunit des maçons israéliens et palestiniens au musée du Louvre. Reportage.

Makom II et Makom IV dans la cour Napoléon. (©LC)
Makom II et Makom IV dans la cour Napoléon. (©LC)
Deux imposantes structures se dressent dans la cour Napoléon du Musée du Louvre, en plein coeur de Paris. L'une est en ruines, l'autre bâtie. Les deux constructions contrastent avec la célèbre pyramide de verre de Ieoh Ming Pei et les bâtiments de l'aile Rivoli édifiés au 19ème siècle. Les deux édifices imaginés par l'artiste israélienne Michal Govner sont intitulés Makom, "espaces" en hébreu, et ont été édifiés avec des pierres collectées dans des décombres de maisons israéliennes et palestiniennes à Jérusalem, Hébron, Bethléem, ou encore à la frontière syrienne. Michal Govner, née en 1957, a étudié le cinéma, la télévision et la philosophie. En 1978, elle a fondé l'école d'Art Camera Obscura de Tel Aviv, où l'on enseigne la photo, la vidéo, le cinéma et l'art numérique. Depuis quelques années, l'artiste israélienne est fascinée par les pierres : "Les pierres représentent l'accumulation du temps : on y voit les marques du temps, les modifications faites par l'humain. Les pierres traversent les siècles, alors que nous avons une durée de vie limitée. Ces pierres seront encore là après notre mort. Et puis elles viennent de la terre, de mon pays. En Israël, on voit des pierres partout, ce sont des morceaux d'histoire sur lesquels on bute en permanence."
L'artiste israélienne Michal Govner devant le Makom IV, dans la cour Napoléon du Louvre à Paris. (©LC)<br/>
L'artiste israélienne Michal Govner devant le Makom IV, dans la cour Napoléon du Louvre à Paris. (©LC)
Un puzzle complexe Pour édifier les Makom, Michal Govner a choisi de ne pas retailler les pierres récupérées malgré leurs différences. Elle les a assemblées de telle sorte qu'elles s'emboîtent parfaitement. Un puzzle complexe qui a donné naissance à Makom II, un grand cube de pierre claire d'environ 5 mètres de large par 3 mètres de haut percé d'une meurtrière verticale. A ses côtés, le Makom IV, à moitié en ruines, est lui construit en pierre volcanique noire venant du plateau du Golan, et marqué d'une large faille. Michal Govner a représenté Israël à la Biennale de Venise en 2004. C'est sa première grande exposition dans un musée français. Marie-Laure Bernadac, conservateur général au Musée du Louvre, dit d'elle qu'elle est "une archéologue du présent" : "Tout son travail est basé sur la mémoire, l'archéologie, les strates de temps - passé, présent, futur - qui s'interpénètrent. Elle travaille aussi sur des pierres et des vestiges archéologiques, et cela me semblait tout indiqué qu'elle fasse un projet spécifique pour le musée du Louvre." Ainsi est né "Histoires", une "chaîne continue de ruptures", comme le souligne Michal Govner, comprenant deux expositions dans les fossés médiévaux et les salles du département des Antiquités orientales, ainsi que les majestueux Makom.
Michal Govner entourée des maçons israéliens et palestiniens qui ont construit les Makom. (©LC)
Michal Govner entourée des maçons israéliens et palestiniens qui ont construit les Makom. (©LC)
Une aventure humaine Mais les Makom sont plus qu'une oeuvre d'art contemporain, il sont aussi une aventure humaine. Les Makom n'ont pas été bâtis par n'importe qui : c'est une dizaine de maçons israéliens et palestiniens qui ont édifié ces constructions surprenantes. Ils sont là dans la cour Napoléon, timides mais fiers, aux côtés de Michal Govner. La complicité et le plaisir d'être ensemble sont évidents. Tom Kabalek est israélien de Jérusalem, Maher Carage est palestinien d'Hébron. Simples ouvriers en intérim, ils ont découvert à Paris que leur "maître d'oeuvre" était célèbre ! Impressionnés, ils sentent qu'ils ont participé à quelque chose de "spécial" visant aussi à diffuser un message de paix. "Nous sommes une représentation miniature d'Israël, explique Maher. La différence, c'est qu'ici nous nous respectons plus. Chacun a besoin de l'autre." Tom voit dans Makom un moyen de changer le regard des étrangers sur son pays : "Sur CNN ou la BBC, on ne voit que des images de violence et de guerre quand on parle d'Israël et de la Palestine. Mais dans notre vie quotidienne nous vivons ensemble, et ça personne ne le sait. La situation est plus complexe et pas si mauvaise !" Il y a des années, lors de son service militaire, Tom est entré, armé et en uniforme, dans la maison de Maher à Hébron. Bien sûr, ils ne se connaissaient pas. Ce mercredi de printemps dans la cour ensoleillée du Louvre, ils rient ensemble devant les Makom qu'ils ont construits de leurs mains. Parfois, la magie de l'art opère des miracles.

“Histoires“, l'exposition de Michal Govner au Louvre

Les fresques - 19 mai au 15 août 2011 - Département des Antiquités médiévales et fossés médiévaux Les Makom - 19 mai au 24 octobre 2011 - Cour Napoléon