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La “communauté internationale“ : une pensée magique ?

Avec l'utilisation d'armes chimiques, le conflit syrien a franchi une ligne rouge pour la "communauté internationale". La Turquie appelle la "communauté internationale" à agir fermement, tandis que les Etats-Unis n'agiront que de concert avec elle... Mais de qui parle-t-on, au juste ? Une phrase comme "la communauté internationale est indignée par le comportement de la Russie," n'est-elle pas déjà une absurdité ? Décryptage avec Hubert Védrine, ancien ministre français des Affaires étrangères.

Que recouvre la notion de “communauté internationale“ ?


C'est un terme qui change de sens selon celui qui l'invoque. Quand les Occidentaux l'emploient, c'est pour parler d'eux, puisque ce sont eux qui ont conduit les affaires du monde tout seuls ces trois ou quatre derniers siècles. Comme s'ils s'arrogeaient le droit de parler au nom du monde entier, ainsi qu'ils l'ont fait pendant si longtemps. Comme s'ils formaient à eux seuls toute la communauté internationale ! Auprès de l'opinion publique, il y a un amalgame de bonne foi, mais qui peut devenir un mélange cynique ou calculé de la part des politiques.

Ceux qui l'invoquent pensent à une communauté de valeurs, en s'appuyant sur le fait que tout le monde a signé la charte des Nations unies, mais cela ne reflète pas la réalité. Car si la Chine et la Russie mettent leur véto, à tort ou à raison, on ne peut plus parler de communauté internationale. Quand les Russes ou les Chinois parlent de communauté internationale, c'est une façon de rappeler que les Occidentaux ne peuvent pas décider sans eux s'ils veulent rester dans la légalité.

Ainsi la "communauté internationale" peut-elle aussi bien être une arme de prétention un peu narcissique de la part des Occidentaux qu'un rappel à l'égalité de la part des autres. C'est une notion à géométrie variable selon qui l'emploie, à quel moment et dans quel but. Mais c'est par les Occidentaux qu'elle est la plus galvaudée.

On persiste pourtant à parler de “communauté“, pourquoi ?

Hubert Védrine
Hubert Védrine
 
Communauté est un terme chaleureux qui donne l'impression qu'il existe une véritable unité de pensée, de conception. Or ce qui est frappant, c'est que la communauté internationale que l'on invoque sans arrêt, notamment dans les médias européens, n'est pas du tout une communauté. A supposer que le monde actuel formerait une communauté, celle-ci serait divisée.

Il existe un véritable contraste entre la fréquence de l'emploi et le fait que cela ne coïncide pratiquement jamais avec un point de vue unanime des représentants du monde entier. Le seul cas où l'on peut employer valablement ce terme, c'est lorsque les 5 membres du Conseil de Sécurité de l'ONU s'accordent, à un moment donné, pour prendre une décision grave en invoquant le chapitre 7, et c'est une situation assez rare. C'était vrai pour la libération du Koweit annexé par l'Irak, pour l'opération en Libye ou au Mali.

Alors utopie ou opportunisme ?


C'est une formule magique, une de plus dans le discours médiatico-politique occidental. C'est une façon de susciter une réalité qui relève de la "pensée magique", comme disent les anthropologues. Une partie de l'espèce humaine, très chimérique, idéaliste et sympathique, veut croire qu'il y a une sorte d'unité du monde en constitution. Alors on essaie de lancer des mots en espérant qu'ils vont enclencher un processus.

Après la Première Guerre mondiale, quand on a parlé de Société des Nations, ce n'était évidemment pas une société, mais plutôt une jungle... Après la Seconde Guerre mondiale, quand on a créé les Nations unies, elles n'étaient pas unies, puisque d'emblée séparées par la guerre froide. Et puis la troisième période où cette croyance est revenue en force, c'est après la guerre froide, lorsque les Occidentaux ont eu le sentiment d'avoir gagné - ce qui est exact - et ont cru qu'ils pouvaient  incarner à eux seuls ce monde nouveau, cette communauté et ses valeurs. C'est la théorie américaine de la fin de l'histoire : l'histoire est finie car tout le monde est d'accord.

Or non seulement ce n'est pas la fin de l'histoire, mais plutôt sa remise en marche, avec des affrontements énormes. Aujourd'hui, il est inutile d'invoquer la communauté internationale, ni pour l'éducation du public, ni pour la compréhension des faits. Appelons les choses par leur nom : ce qui se prépare en Syrie, c'est une intervention brève et ponctuelle des Occidentaux.

Une offensive “punitive“ contre la Syrie semble se préparer... Quelle est sa légitimité ?

28.08.2013Par François-Xavier Freland
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“A problème commun, solution commune“

Par Philippe Moreau-Defarges

Ce qui définit la communauté internationale, ce sont les problèmes communs : comment gérer la planète sans la détruire ? Comment gérer les flux mondiaux d'hommes et de capitaux ?  Aujourd'hui, la terre doit être gérée comme une totalité. L'humanité est condamnée à gérer ces problèmes en commun et ne pourra vivre que si elle se bâtit en système mondial.

La solution passe forcément par une forme institutionnelle et juridique, dont l'ONU est la forme actuellement la plus achevée, avec le Secrétaire général et le Conseil de sécurité comme porte-parole. Tous les pays sont membres d'un même pacte ; c'est très fort, même si cela fonctionne mal.

Les Anglo-Saxons parlent-ils d'une “international community“ ?

Par Philippe Moreau-Defarges

Il a les mêmes ambiguité, fréquence, connocation, conviction et scepticisme derrière le terme anglais d'"international community". A cela près que les Anglo-Saxons y croient plus que nous. Ils ont une vision plus moderne que nous du système. Les Français ont une vision traditionnelle, axée sur les Etats souverains. Les Anglo-Saxons, eux, ont compris que nous n'évoluons plus dans un  monde d'Etats souverains.