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La crise aura-t-elle raison de la Défense française ?

Des soldats français lors de l'intervention au Mali - ©AFP
Des soldats français lors de l'intervention au Mali - ©AFP

Ce 2 août, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a présenté la loi de programmation militaire encadrant le budget de son ministère jusqu’en 2019. Au programme, rigueur économique et suppressions de postes. Paradoxal alors que le gouvernement affiche de véritables ambitions pour la défense française. C’est l’avis de Pascal Le Pautremat, expert des questions militaires. Entretien.   

Jean-Yves Le Drian a parlé de "sanctuarisation" du budget de la défense lors du défilé du 14 juillet. Est-ce le cas ? Non.  Il est prévu de supprimer 24 000 nouveaux postes. C’est la plus récente vague de suppressions qui s’ajoute à bien d’autres. On  ne peut pas dire, d’un côté, qu’on souhaite que la France contribue à la stabilité mondiale tout en limitant les moyens de l’armée. Au de-là des réflexions cliniques sur les chiffres, il ne faut pas oublier qu’il y a des hommes et des femmes derrière qui en pâtissent et qui travaillent à flux tendu. Les Américains admirent notre efficacité avec si peu de moyens. Mais on arrive à un seuil critique, continuer les coupes budgétaires serait catastrophique ! La sécurité des Français est mise en danger.
Pascal Le Pautremat, docteur en histoire contemporaine et expert des questions militaires.
Pascal Le Pautremat, docteur en histoire contemporaine et expert des questions militaires.
Au vu des efforts budgétaires qui doivent être faits, la France sera-t-elle en capacité de mener une opération telle que les interventions au Mali et en Libye ?  
Cela fait longtemps qu’on a perdu notre indépendance logistique. De nombreuses opérations en Afrique ont été récemment menées en louant du matériel. C’est terrifiant. Dans le cadre du Mali, la France a ouvert la voie en espérant le renfort des troupes africaines, mais pour l’instant elles ne sont pas tout à fait au point. Sans l’appui d’autres nations il sera impossible pour la France d’intervenir et encore moins de riposter dans le cas d’une agression. On a perdu de vue l’indépendance militaire du pays.     Comme les opérations militaires de la France sont menées de front avec ses alliés, est-ce une alternative de renforcer l’Europe de la défense ?   On a signé de nombreux traités mais le processus est au point mort. Certaines coopérations militaires fonctionnent très bien au sein des pays européens. C’est le cas de l’opération contre la piraterie dans ce corridor maritime qu’est le golfe d’Aden (situé entre la Somalie et le Yémen NDLR). Même les Indiens et les Chinois s’y sont mis car tout le monde y trouve son compte. Mais en général chacun veille à ses intérêts. L’Europe de la défense n’est pas une alternative.     Des blocages idéologiques semblent s'ajouter aux problèmes budgétaires…   Absolument, on a le syndrome des commissions. On forme un groupe de réflexion qui travaille pendant un an pour ensuite ignorer complétement ce qui a été dit. Les décisions concernant l’armée sont prises dans des ministères par des technocrates qui ne connaissent pas la réalité du terrain. Il existe également un problème culturel. Après la guerre froide on s’est désintéressé de l’armée en croyant qu’il n’y aurait plus de guerre. Or l’actualité prouve le contraire.  Les pouvoirs politiques éprouvent une certaine méfiance à l’égard des militaires.
La France n'a toujours pas réussi à exporter le Rafale.
La France n'a toujours pas réussi à exporter le Rafale.
Le ministère doit compléter son budget notamment grâce à la vente de Rafales [l’administration précédente avait fait le même pari] et aux "ressources exceptionnelles". Est-ce viable ?  Ce n’est pas viable quand on connaît les difficultés que rencontre la France pour vendre ces avions. Au début on comptait sur les Brésiliens, maintenant c'est au tour des Indiens. Sauf que les négociations ne sont pas finies. L’Inde a gelé tout  processus d’achat d’armement aux pays tiers suite à plusieurs affaires de pots-de-vin au sein de l’administration indienne. Entre-temps, la Chine vend de l’armement en Afrique sans aucune difficulté en s’appuyant sur sa célèbre technique du copier-coller. On parle d'un pays qui est en train de fabriquer deux porte-avions 100% made in China qui viennent s'ajouter à celui en circulation. Les autorités chinoises publient un "livre blanc" tous les deux ans et rectifient leur stratégie au fur et à mesure.  La dissuasion nucléaire , que la loi de programmation militaire épargne, reste-t-elle le meilleur atout de la France ?  C’est une question générationnelle. Les plus jeunes s’interrogent sur son utilité. Pour le général Vincent Desportes, (ancien patron de l’École de guerre et professeur à Sciences Po) pour n’en citer qu’un, il serait possible de faire des économies importantes sur le nucléaire. Certains se demandent même pourquoi l’arme nucléaire est réservée à un cercle restreint sous prétexte que ses membres ont été les premiers à l’avoir. Les plus âgés ont grandi avec et ne conçoivent pas la défense sans. Il faudrait dépassionner le débat et se poser sérieusement la question au vu dégâts que causent, par exemple, les armes à l’uranium.
La France va acheter une vingtaine de drones probablement aux États-Unis. Que dit cet investissement de l’avenir de l’armée ? Se dirige-t-on vers une armée de plus en plus "cybernétique" ? C’est une bonne nouvelle. Mais il est trop tard. Personne n’a voulu investir il y a quelques années alors que le savoir-faire existait déjà en France.  Ce n’est pas parce qu’on se fournit chez les Américains qu’on doit compter uniquement sur eux. On n’est plus en 1917. Il faut prendre leur utilisation avec des pincettes. On s’aperçoit que les militaires américains qui les pilotent souffrent tout autant du syndrome post-traumatique que les soldats sur le terrain. Ils assistent en gros plan à la mort de leurs cibles. La technologie ne peut pas remplacer l’humain. On ne peut pas gagner une guerre avec un ordinateur. Il faut des hommes sur le terrain. On est également en retard en matière de cyber-défense. Les États-Unis ont commencé à la prendre au sérieux fin des années 90. Avec l’espace, le cyberespace est le nouveau théâtre de la défense.

La loi de programmation militaire

Des suppressions de postes La loi prévoit 24 000 suppressions de postes, qui s’ajoutent aux 54 000 déjà supprimés en 2009. En 2019, le ministère de la Défense compterait environ 260 000 employés contre 280 000 aujourd’hui.    Un budget stable Le budget annoncé s'élève à 179,2 milliards d'euros sur six ans et à 31,4 milliards annuels jusqu'en 2016. Ce budget est pourtant soumis aux aléas des "ressources exceptionnelles". Le ministère doit trouver 5,9 milliards sur la période 2014-2019 pour compléter ce budget. Il pari de le faire en vendant par exemple ses biens immobiliers et des Rafales.    Fermeture de certains sites Le ministère de la Défense n’a pas encore rendu publique la liste des sites qui seront touchés par les restrictions budgétaires. Mais les suppressions prévues par la loi 2014-2019 concerneraient pour les deux tiers l'administration (États-majors et structures de soutien), soit 16 000 postes. Pour un tiers, les forces spéciales françaises, c’est-à-dire 8 000 postes que Jean-Yves Le Drian souhaite  "préserver". Celles-ci ont déjà fait leurs preuves au Mali et en Afghanistan.   D’importants investissements Suivant les directives du "Livre blanc de la Défense", le ministère souhaite préserver la recherche et mener à bien de nombreux investissements notamment avec l’achat d'une vingtaine de drones.Jean-Yves Le Drian a rendu public le quatrième livre blanc de la défense en mai 2013, qui trace la route de la défense pour les 15 ou 20 années à venir. La loi de programmation militaire dont il est question ne fait que confirmer l’orientation de la "bible de l’armée". L’industrie militaire sera maintenue grâce à un effort financier de 102,7 milliards d’euros et les crédits destinés à la recherche sont en hausse. La France est un des seuls pays à faire de la programmation financière de l’armée.