TV5MONDE : A travers le personnage de Soraya, la femme de Kader, on perçoit très vite la désillusion des arrivants, le choc entre rêve et réalité...
Laurent Maffre : Les personnes qui quittent leur pays pour la France le font souvent pour des raisons économiques ou politiques. Elle se représentent leur pays d'arrivée de manière embellie : ça reste un rêve auquel elles vont accéder.
Quand ils se retrouvent enfin dans ce pays, ils tardent à retrouver ce rêve, mais ne peuvent pas retourner d'où ils viennent en situation d'échec. Je pense que c'est un mélange de dignité et d'orgueil.
Un départ est une décision qui n'est souvent pas facile à prendre, et ces gens ne peuvent pas avouer ensuite que cette décision n'est finalement pas à la hauteur de ce qu'ils espéraient.
De honte, Kader a caché tant qu'il a pu à Soraya et à ses enfants qu'ils allaient vivre dans un bidonville. Il savait pourtant très bien qu'à un moment ils allaient le découvrir.
On voit aussi dans la BD comment les habitants du bidonville essaient de gommer cela, par exemple en changeant de chaussures à leur arrivée à l'école ou au travail pour ne pas avoir de la boue sur leurs chaussures.
Vivre au bidonville, c'est être stigmatisé comme une population arriérée voire associale, alors que ce sont des gens qui travaillent dans les usines ou sur les chantiers, et qui n'ont pas le choix de leur logement. Pourtant, cette idée de "sous-prolétariat" qui ne saurait pas vivre dans un logement classique est utilisée pour ne pas s'occuper de leur relogement (lire à ce sujet notre entretien avec l'historienne Muriel Cohen, NDLR).