L'Europe, la Grèce et l'austérité punitive
(mise à jour le 21 février 2012) Arraché ce mardi 21 février vers 4 heures du matin au terme d’une longue semaine d’atermoiements et d’ultimes marchandages, l’accord conclu à Bruxelles entre les États de la zone euro et ce qu’il reste de la Grèce ne représente pour celle-ci qu’une modeste étape dans son long chemin de croix supposé la conduire, en cas de survie, sinon au salut, au moins au purgatoire des pêcheurs budgétaires repentis. Concrètement, son franchissement lui ouvre une aide de la zone euro de 230 milliards d’euros (plus d’un an de PIB) : 100 milliards d’effacement de dettes par les banques et 130 milliards de prêts publics, versés sur comptes bloqués pour éviter tout malentendu. But premier de cet apport, en effet : permettre à Athènes de … faire face à ses remboursements, et d’abord celui de 14,5 milliards exigible avant le 20 mars, et d’échapper ainsi au redouté « défaut de paiement ».
Règle d’or étendue

Adopté une semaine plus tôt au prix d’une soirée d’émeutes et d’une quarantaine de défections parlementaires, son troisième plan d’austérité de l’année (septième en deux ans) restait encore insuffisant aux yeux des États de l’ « Eurogroupe » (en particulier ceux, très en forme, du « Club AAA ») qui lui ont imposé 325 millions d’euros d’économie de plus dans son budget 2012 (en cours, donc). La disproportion – presque de 1 à 1000 – entre les sommes en jeu et la saignée supplémentaire exigée par les prêteurs ne rend pas cette dernière dérisoire mais tend plutôt à en souligner la dimension vexatoire, confirmée et augmentée par une autre exigence de ces derniers : l’engagement écrit des principaux partis politiques à mettre en œuvre les réformes après les élections d’avril. Sorte de « règle d’or » étendue aux partis avant scrutin, ce dernier point – présenté avec un stupéfiant naturel et peu relevé par les médias - souligne que si les « sauveurs » de la Grèce consentent – non sans agacement - à un certain exercice résiduel de la démocratie formelle, ils n’entendent pas que son résultat puisse infléchir le sort de sa population scellé ailleurs. S’il ne touche ni aux privilèges des armateurs (puissance économique majeure du pays) ni à ceux de l’Église (premier propriétaire foncier), ni ne s’attaque franchement au travail noir ou à l’évasion fiscale, le train de mesures voté le 13 février dans une capitale fumante par les parlementaires les mieux rémunérés d’Europe n’a pourtant rien de l’affichage. Salaire minimum abaissé de 22 % à 586 € bruts (32 % pour les moins de 25 ans). Allocation chômage mensuelle portée de 461 à 360 €. Suppressions de postes et baisse des traitements des fonctionnaires. Réduction des remboursements de médicaments. Et bien sûr, volet sensible pour un pays à l’économie modeste mais au patrimoine convoité, accélération des privatisations.
Le mythe du redressement

Ministre des finances d’un duché à forte culture bancaire mais jusqu’alors méconnu pour sa vertu fiscale, le Luxembourgeois Luc Frieden a su trouver des mots choisis pour traduire la compassion européenne à l’égard de l’un des siens dans l’infortune : « s’ils ne le font pas (…), ils s’excluent d’eux-mêmes ». « Adopter le plan d’austérité est une chose, l’appliquer en est une autre », avait un peu plus tôt commenté, connaisseur, son collègue autrichien des affaires étrangères. Ce scepticisme, paradoxalement, en cache un autre : des décideurs politiques aux économistes en passant … par les agences de notations, il ne reste plus grand monde, en Europe, pour croire sérieusement à l’effet bénéfique de ces purges à répétition. Imposées depuis 2010 notamment par l’U.E. et le F.M.I ., leurs différentes applications n’ont abouti, sans redresser les comptes, qu’à accentuer la récession qui vient de se hisser à 7 % pour l’année écoulée. Dans cette spirale destructive, le projet affiché de ramener d’ici 2020 la dette au niveau « acceptable » (?) de 120 % et non 129 % (??) du PIB (160 % aujourd’hui) parait de plus en plus relever de la fantaisie comptable ou de la communication tant les prévisions en la matière se révèlent peu scientifiques, même dans des contrées mieux loties.
Lapsus

« Toutes ces mesures n’ont pas pour but de faire souffrir les gens mais de remettre la Grèce sur la voie de la croissance », a cru devoir préciser le ministre allemand des finances Wolfgang Schäuble. L’homme n’étant pas réputé pour son humour, c’est peut-être, par une légitime extrapolation psychanalytique, le contraire qu’il faut comprendre. Ce pays « n'est pas une menace pour l'économie mondiale », reconnait Jörg Asmussen,l'un des directeurs de la BCE, dans un entretien publié ce lundi. Depuis le début de la crise, le cauchemar de l’Europe n’est pas en soi la Grèce (moins de 5 % de son PIB) mais une douzaine de ses membres au moins, dont quelques-uns des plus grands, aux comptes certes moins falsifiés mais à l’économie virtuellement aussi chancelante. Or, dans la foi libérale qui prévaut, l’adversaire désigné est partout le même : non l’acharnement monétariste en vigueur mais « la dérive des dépenses publiques », l’État dit « providence », le coût du travail et donc sa protection… Et la solution supposée, son antithèse nommée par détournement de langage « la rigueur ». Dans cette perspective, adoucir le sort des Grecs apparaitrait, selon la terminologie même des dirigeants européens et de la finance comme « un signal désastreux », notamment pour les nations (Italie, Portugal…) présumées sur le chemin de la rédemption. Plus que le rétablissement d’un pays dont la faillite et la sortie de l’euro sont officieusement considérées comme de plus en plus plausibles, le spectacle de l’acharnement pseudo-thérapeutique infligé à la Grèce semble désormais avoir valeur d’exemple.
La colère du Président Papoulias
16.02.2012(AFP)
Le président grec Carolos Papoulias, qui fut un adolescent actif dans la résistance anti-nazie, ne supporte pas les "railleries" du ministre des Finances allemand, ou des dirigeants néerlandais et finlandais sur le combat que mène Athènes pour rester dans la zone euro. "Je n'accepte pas que mon pays soit raillé par M. (Wolfgang) Schäuble" a dit le président de la république grecque lors d'une visite au ministère de la Défense mercredi. "Qui est M. Schäuble pour railler la Grèce? Qui sont les Néerlandais? qui sont les Finlandais?" s'est exclamé le chef de l'Etat, personnalité consensuelle du monde politique de son pays, jouissant d'une grande popularité. "Nous avons toujours eu la fierté de défendre non seulement notre liberté, mais aussi celle de l'Europe" a ajouté le président grec, actif dans la résistance anti-nazie de 1942 à 1944, alors qu'il n'était qu'adolescent, qui a plus tard étudié le droit à Munich et Cologne. Le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble avait répété mercredi la volonté de son pays d'aider la Grèce, mais seulement si celle-ci n'était pas "un puits sans fond". Les Pays-Bas et la Finlande sont aussi à l'origine d'appels au sein de la zone euro en faveur d'une ligne dure vis-à-vis de la Grèce, afin que le pays surendetté et croulant sous les déficits honore rapidement toutes les promesses de réformes faites lors d'un premier memorandum signé en 2010. L'Allemagne, la Finlande et les Pays-Bas sont trois des quatre pays de la zone euro qui ont conservé leur notation AAA auprès de l'agence Standard and Poor's, avec le Luxembourg, lors de la dernière vague de rétrogradations du 14 janvier.