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Le destin des mineurs chiliens devenu un grand show médiatique

Après 70 jours bloqués à 700 m de fond, les 33 mineurs remontent à la surface. Le campement Espoir où sont installées les familles, est envahi par des centaines de journalistes du monde entier. Sous terre, les «33» avaient suivi un « media training », pour les préparer à affronter la pression des médias à leur sortie. Mi septembre, l'écrivain chilien Mauricio Tolosa nous décrivait déjà les prémisses de ce « grand show médiatique ».

Mauricio Tolosa, écrivain chilien.
Mauricio Tolosa, écrivain chilien.
Ils sont trente-trois. Ils habiteront « le fond » du désert pendant trois ou quatre mois. Tout dépendra du rythme et du succès du plan de sauvetage A, B ou C. Les trois différentes équipes avec leur énormes machines font la course pour ouvrir le tunnel de l’espoir. Les Chiliens, tout en fêtant le Bicentenaire de la déclaration d’indépendance de l’Espagne, suivent l’événement qui sature les médias. Le campement de base de l’opération de sauvetage San Lorenzo, comme l’a baptisé le président de la République Sebastian Piñera, n’est pas seulement un espace pour les techniciens et les familles, c’est aussi un studio géant, une usine de production de mots, sons et images pour la presse, radio et télévision. L’étonnant désert chilien sert de paysage pour une étrange continuité thématique. Sur la surface de cette terre aride qui a servi dans de nombreuses occasions à tester des véhicules destinés à l’exploration de Mars et de la Lune, travaillent maintenant des spécialistes et conseillers de la NASA et de Mars500 (les projets spatiaux des Etats-Unis et de la Russie), experts de la conduite humaine dans des conditions d’isolement extrême.
Les mineurs à 700 m de fond.
Les mineurs à 700 m de fond.
BERCEAU DU MOUVEMENT OUVRIER Là où il n’y a pas de continuité, c’est dans le discours social et politique qui entoure les mineurs piégés. Le nord du Chili a été le berceau du mouvement ouvrier et populaire. Il y a un siècle, les luttes des travailleurs des mines du salpêtre ont donné naissance aux syndicats et fédérations ouvrières, au Parti communiste chilien et aux mouvements anarchistes. Leurs luttes ont nourri l’imaginaire collectif du mouvement de gauche. La célèbre Cantate Santa María de Iquique, chantée par le groupe de musique Quilapayun à travers le monde entier, en est un témoignage. Voilà quelques années, le discours venu du fond de la terre aurait été différent. Dans ce désert, où les empreintes d’une marche sur le sable salin peuvent se conserver pendant une dizaine d’années, les choses ont changé. À travers la « sonde ombilicale » qui a permis d’établir un premier contact avec le fond de la terre et de récupérer le morceau de papier où a été écrit le message « nous sommes vivants, les 33, au refuge », sont arrivées aussi les premières images vidéo. On y voit des fantômes, dans l’obscurité, maigres, barbus, avec leur casque, spectres d’un autre temps qui paraissent essayer de regarder vers l’extérieur à travers la caméra. C’est l’image des ouvriers du XIXème siècle, de la Révolution industrielle, un peu floue, décolorée. Le monde s’est ému. Il n’y avait pas que la joie de les trouver vivants, il y avait aussi une reconnaissance du « stéréotype » du monde du travail qui se sacrifie pour nous et notre confort.
TELE REALITE Mais le système médiatique ne peut pas se permettre de faire durer une image qui mette en question le spectacle quotidien. Rapidement, le méga studio de la surface, où jouent artistes, stars de la télé, pianistes, ministres et journalistes, a commencé à émettre les transmissions du fond de la terre. Le deuxième envoi montrait déjà un espace d’habitation et un état d’esprit différent. Le rapprochement avec les « reality shows » est explicite. À travers Twitter, une ministre d’Etat compare le représentant des mineurs enfouis au protagoniste de l’un des shows nocturnes les plus suivis de la télévision chilienne. Une icône de la culture spectacle du Chili entreprend le voyage depuis Miami pour faire un reportage et constate les aptitudes d’animateur du leader médiatique ouvrier. Maintenant, devant nous, s’offre un long week-end. Pour célébrer le Bicentenaire de notre pays, le parlement a « offert » deux jours additionnels de congé obligatoire. Ce sera la fête dans tout le Chili. Pas pour les familles des mineurs qui essaient de faire entendre leur voix, et ne sont que rarement écoutées, en tout cas, jamais en tant qu’organisation ou collectif ; dans ce scénario, on accepte seulement les acteurs individuels. Les familles des mineurs ensevelis ont décidé qu’elles ne célébreraient l’indépendance que lorsqu’elles seraient réunies avec les leurs. Pour nous, l’image quotidienne télévisuelle rend les 33 « virtuellement » présents et vivants ; mais pour leurs épouses, parents et enfants, ils sont vraiment absents.