Son pays d’adoption, le Mexique, a salué « le plus grand romancier d’Amérique latine de tous les temps », a déclaré le président Enrique Pena Nieto lors de la première cérémonie d’hommage rendue ce lundi 21 avril à la mémoire de Gabriel Garcia Marquez. Au Palais des Beaux Arts de Mexico, des milliers d’admirateurs, anonymes, se sont succédé devant l’urne de « Gabo », surnom donné en Amérique latine à l’écrivain colombien décédé le 17 avril. Le sol était jonché de roses jaunes, chères à Gabriel Garcia Marquez et censées protéger du mauvais sort. Devant le palais, des lecteurs se relayaient pour lire des extraits de son œuvre majeure Cent ans de solitude. Après une minute de silence autour de l'urne funéraire, les applaudissements ont retenti longuement pour conclure cette cérémonie à laquelle assistaient également des représentants politiques colombiens. Parmi eux, le président Juan Manuel Santos, ému, a rendu hommage au « plus grand Colombien de tous les temps. » Le pays natal de « Gabo », organise également une cérémonie solennelle ce mardi 22 avril dans la cathédrale de Bogota. Et mercredi, journée internationale du livre, le gouvernement colombien coordonne dans plus de 1 000 bibliothèques publiques et collèges, la lecture du roman de Gabriel Garcia Marquez Pas de lettre pour le colonel (1961). Après le décès de cet écrivain majeur, le monde entier a salué son talent jusqu’aux Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) qui ont exprimé leurs condoléances sur leur compte Twitter : « Une perte pour la Colombie, une perte pour le monde avec le décès de #Gabo. » Quant au lieu choisi pour la dernière demeure de l'écrivain, la famille n'a pas encore communiquer sa décision. Mais l'écrivain pourrait reposer au Mexique et en Colombie. Ses deux patries.
Premier hommage solennel rendu à “Gabo“ à Mexico
22.04.2014Récit de Stéphane LeroyerSi sa vie d’écrivain au talent incontestable est bien connue du public, on découvre au détour de sa biographie, publiée ces derniers jours dans de nombreux médias, que son engagement politique a débuté loin de l’Amérique latine : en France. Il arrive dans l’Hexagone en 1955, envoyé par le quotidien El Espectador. Il a publié cette année-là une série de 14 articles : le témoignage d’un survivant de la catastrophe du Caldas. Un navire de guerre colombien qui transportait des marchandises de contrebande. Huit hommes sont tombés à la mer quand les câbles de cette cargaison illicite ont lâché. Les Colombiens s’arrachent le récit de ce survivant rencontré par le journaliste que Gabriel Garcia Marquez était alors. Par peur des représailles du régime militaire au pouvoir, son quotidien El Espectador décide de l’envoyer en Europe. Il arrive à Paris, dans un pays en pleine guerre d’indépendance de l'Algérie.
Trois questions à notre éditorialiste Slimane Zeghidour
Propos recueillis par Léa BaronDans quel contexte Gabriel Garcia Marquez arrive-t-il en France ? Il est arrivé en 1955 à Paris, en pleine guerre d’Algérie (qui a duré de 1954 à 1962, ndlr). C’est l’année aussi où il publia son premier livre Des feuilles dans la bourrasque. Il fréquentait alors les bistrots du Quartier latin où se retrouvaient beaucoup d’Algériens. Un soir de 1961, il y a eu une rafle de la police dans l’endroit où il se trouvait. Et il a été embarqué avec les Algériens par simple délit de faciès parce qu’il avait une vraie gueule d’arabe, ce dont il était fier. Il a été amené au poste de police de Saint-Germain-des-Prés. La place dans la cellule était tellement réduite que Gabriel Garcia Marquez dormait à tour de rôle avec ces Algériens. Au petit matin, quand les policiers ont découvert qu’il était en réalité un journaliste colombien, ils l’ont laissé partir.

Qu’est-ce que cette arrestation a changé pour lui ? A partir de ce moment-là, il a commencé à entretenir des rapports avec le Front de Libération National (FLN). Tout ce qu’il a dit sur ses rapports avec le FLN, c’est ceci : « la lutte algérienne pour l’indépendance est la seule de toutes les causes que j’ai défendue pour laquelle j’ai fait de la prison ». C’est ce qu’il écrit dans un article publié dans le quotidien colombien El Espectador le 16 décembre 1982, à l’occasion du 20e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie et l’année de son Prix Nobel de littérature. Il a écrit un grand reportage depuis Paris « De Paris, avec amour » dans lequel il revient sur cette histoire algérienne et comment cela l’a marqué. Est-ce que cette période marque les prémisses de son engagement politique ? C’était plus que les prémisses. Son séjour en France a marqué son éveil politique. C’était une période cruciale de sa vie. Il a connu le stress, les insultes, le panier à salade, il n’a vécu ça ni avant ni après. Cette période était une plongée concrète dans un pays où il y avait une guerre d’indépendance et des rafles. La fédération de France du FLN perpétrait des attentats, des manifestations avaient lieu tous les jours. C’était la guerre, on la sentait même à Paris. Il a vécu profondément le conflit. Cela a été d’autant plus fort pour lui qu’en Colombie il y a une diaspora arabe très importante. Le personnage de l’Arabe est très présent dans ses romans. Dans Cent ans de solitude, il raconte que quand il était enfant, dans son village, il était émerveillé de voir le marchant ambulant arabe, le camelot qui arrivait avec ses brillantines, ses miroirs, ses chewing-gums les jours de fête. Dans le roman qu’il a publié ensuite Chronique d’une mort annoncée, le personnage principal est un Arabe. Il est resté très proche de l’Algérie sentimentalement et il a toujours été très proche de la diaspora arabe latino-américaine.