Dès le mois de décembre, la Chine a mis fin aux confinements de milliers de personnes décidés du jour au lendemain en cas de dépistage positif au Covid-19. Idem pour les dépistages aléatoires obligatoires, les restrictions de déplacement à l’intérieur et en dehors du pays pour toute personne transitant par la Chine. Bref, trois années de restrictions sanitaires parmi les plus draconiennes au monde touchent officiellement à leur fin.
Manon Laurent, enseignante à Sciences Po Grenoble et spécialiste de la Chine
Comme le rappelle Manon Laurent, enseignante à Sciences Po Grenoble, “la levée des restrictions a été progressive. Mais en réalité, pour la plupart des Chinois, la stratégie zéro covid a pris fin dès le mois de décembre 2022 avec la fin des mesures qui ciblaient particulièrement le quotidien. “En moins d’un mois, on a eu la fin des QR sanitaires obligatoires pour accéder aux transports ou aux établissements publics, la fin des tests PCR obligatoires toutes les 48 heures, la fin des confinements ciblés dans les petits quartiers en cas de contamination” souligne la chercheuse. “La fin de la quarantaine obligatoire et la fin des restrictions pour les voyages internationaux, c’est un peu la cerise sur le gâteau et ça ne concerne qu’une petite partie de la population chinoise”.
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La nouvelle stratégie de Xi Jinping, reconduit pour un troisième mandat
Tout cet arsenal avait été instauré dès le mois de mars 2020, dans le cadre de la stratégie “zéro covid” portée par le président chinois Xi Jinping. Si les mesures sanitaires en vigueur dans le pays étaient largement décriées par des milliers de manifestants au cours de larges manifestations dans plusieurs grandes provinces du pays qui ont débuté à l’automne dernier, la décision de Pékin de les suspendre toutes a surpris. “Il y a un peu de soulagement et de la crainte au sein de la population chinoise”, commente Antoine Bondaz, enseignant à Sciences po et spécialiste de la Chine. Il reconnaît qu’ “il y avait une vraie demande à ce qu’il y ait un assouplissement des contraintes sanitaires”, mais la levée totale des mesures sanitaires interroge.
Marc Julienne, chercheur à l’IFRI
“Cette décision est due à un certain nombre de facteurs prévisibles et imprévisibles”, souligne Manon Laurent. Pour un certain nombre d’observateurs et spécialistes de la Chine, la stratégie “zéro Covid” allait être allégée dès le début de l’année 2023. “À l’automne 2022, on a eu le congrès du Parti communiste chinois qui s’est soldé par la réélection de Xi Jinping à sa tête pour un troisième mandat”, indique Manon Laurent. Un vote historique, rappelle l’enseignante à Sciences Po Grenoble. Aucun dirigeant n’avait été au pouvoir aussi longtemps en Chine depuis Mao Zedong (1893 - 1976). Or, l’actuel dirigeant chinois a incarné la stratégie “zéro covid” pendant son dernier mandat.
“Remettre en cause cette politique zéro covid avant le congrès du PCC c’était remettre en cause toute la politique de Xi Jinping", analyse Manon Laurent. Un constat partagé par Antoine Bondaz. “La levée des restrictions semblait inévitable. Xi Jinping entame un nouveau mandat. Il lui fallait un tournant, il risque d’y avoir d’autres problématiques à gérer dans les mois qui viennent”.
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Une levée brutale des mesures sanitaires
Mais “l’assouplissement des restrictions sanitaires s’est fait de manière précipitée et de façon complètement non coordonnée”, décrypte Marc Julienne, qui est lui chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Pour lui, “la pression de la rue et les protestations et le fait de mettre en cause le Parti communiste et le président Xi Jinping lui-même a sans aucun doute fait peur au plus haut niveau du pouvoir chinois. Il a pris cette décision en quelques jours à peine”. “Il y a eu le départ massif des employés de l’une des plus grandes entreprises du monde qui est Foxconn, le drame survenu à Urumqi dans le Xinjiang fin novembre qui a fait plusieurs dizaines de morts, les manifestations massives dans tout le pays…”, énumère de son côté Manon Laurent.
Au-delà de la grogne sociale et sociétale grandissante partout en Chine, plusieurs hypothèses sont sur la table pour expliquer un tel choix. Antoine Bondaz en liste quelques unes. “Peut-être que l’épidémie était déjà hors de contrôle et ne pouvait plus être endiguée avec les politiques du zéro Covid, qui sont devenues inefficaces. D’un point de vue économique, il fallait aussi relancer la consommation en Chine. Peut-être que le mécontentement de la population devait être calmé par un geste des autorités”.
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Depuis l’annonce de la fin de la stratégie “zéro covid” courant décembre en marge des manifestations dans le pays, la Chine fait face à un rebond épidémique sans précédent. Bien que les autorités pékinoises peinent à faire toute la transparence sur le taux de mortalité ou celui des nouvelles contaminations, des dizaines de milliers de personnes sont diagnostiquées positives au Covid-19 chaque jour en Chine. D’après les chiffres officiels de l’OMS, elles étaient 34.610 pour la seule journée du 6 janvier 2023. Ces chiffres se basent sur les remontées journalières effectuées par les autorités chinoises auprès de l'organisation internationale. “Ce qui est clair, c’est que la levée des restrictions a amplifié le phénomène épidémique”, reconnaît Antoine Bondaz.
Manon Laurent, enseignante à Sciences Po Grenoble
Levée de bouclier de la communauté internationale
En plus d’un regain de la mortalité en Chine, la levée surprise de l’ensemble des restrictions sanitaires pourrait aussi avoir des répercussions à l’échelle internationale. Face à ce rebond épidémique, plusieurs pays ont décidé de prendre des mesures restrictives à l’encontre des voyageurs en provenance de Chine. En Europe, l'Espagne, le Royaume-Uni, la France en font partie. “C’est surtout parce que les ressortissants chinois sont moins bien vaccinés car ils ne sont vaccinés que par le SINOVAC, un vaccin meilleur pour lutter contre la diffusion de la maladie mais moins efficace pour contrer la dangerosité du virus. Il y a moins d’immunité collective puisque qu'il y a eu plus de confinements”, explique Manon Laurent.(Re) voir : Covid-19 : l'OMS s'inquiète d'une recrudescence de cas en Chine
Mais ces mesures sanitaires restrictives sont largement décriées par Pékin, qui parle de pratiques discriminatoires et stigmatisantes. “Il n’en est rien puisque ce ne sont pas des mesures prises contre les ressortissants chinois mais contre toute personne de n’importe quelle nationalité venant de Chine”, rappelle Marc Julienne. “C’est assez logique que les autorités politiques chinoises réagissent publiquement comme cela”, observe de son côté Antoine Bondaz, soulignant qu’il n'y a quasiment plus de test de dépistage du Covid-19 en Chine à l’heure actuelle. “On a dit à la population chinoise qu’il n’y avait plus besoin de se faire tester et là on leur explique qu’il faut se faire tester lorsqu'ils arrivent à l’étranger. Évidemment il peut y avoir une grogne de la population”.
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La crainte d’une nouvelle pandémie mondiale
Pour Manon Laurent, “il y a encore beaucoup de contamination en Chine à l’heure actuelle." Elle confie même que la plupart de ses contacts sur place "sont actuellement malades, bloqués chez eux en train d’essayer de se soigner. Mais la Chine a arrêté de compter le nombre de morts du covid”. Même analyse pour Marc Julienne, qui rappelle que “l’année 2022 a été pire que les années précédentes de pandémie en Chine, au moment où tout le reste de la planète était déjà prémuni contre le virus.”“Les autorités internationales et notamment françaises veulent savoir s’il y a des nouveaux variants. La Chine ne va jamais communiquer dessus. Donc la seule façon de le savoir c'est de tester les gens qui arrivent de Chine”, explique Marc Julienne. “Il y a trois ans, le virus est apparu à Wuhan, la Chine a fait preuve d’une irresponsabilité totale et d’un manque complet de transparence à cette époque en tardant à prendre des mesures. Donc il est normal de vouloir se protéger”.
Marc Julienne, chercheur et responsable du centre Asie à l’IFRI.