Info

Maradona - Messi : une "rockstar", un "homme simple", deux légendes

Un drapeau à l'effigie de Lionel Messi, à gauche, et du regretté Maradona, au milieu de fans de football argentins après la victoire de l'équipe en demi-finale de la Coupe du monde contre la Croatie, organisée par le Qatar, à Buenos Aires, en Argentine, mardi 13 décembre 2022.<br />
 
Un drapeau à l'effigie de Lionel Messi, à gauche, et du regretté Maradona, au milieu de fans de football argentins après la victoire de l'équipe en demi-finale de la Coupe du monde contre la Croatie, organisée par le Qatar, à Buenos Aires, en Argentine, mardi 13 décembre 2022.
 
© Gustavo Garello/ AP

L'Argentine de Lionel Messi entre dans l'histoire après sa victoire à la Coupe du monde 2022 face à la France le dimanche 18 décembre. Un parcours de légende pour l'attaquant souvent comparé à Diego Maradona, "le gamin en or" de Buenos Aires, vainqueur de la Coupe du monde de 1986. Retour sur deux parcours historiques.

"Deux joueurs extraordinaires, deux extraterrestres." Le journaliste Florent Torchut, auteur de la biographie de Messi "Le Roi Leo", aux éditions Solar (2022), n’y va pas par quatre chemins pour parler de deux légendes du football argentin, Diego Maradona et Lionel Messi. Deux numéros dix, au centre de l’attention après la victoire de l’Argentine en finale de la Coupe du monde dimanche 18 décembre face à la France aux tirs aux buts (3-3, 2-4 tab). Avec ce triomphe, l’homme aux sept Ballons d'Or, Lionel Messi, est peut-être le meilleur joueur du 21e siècle. Diego Maradona, surnommé "Le gamin en or", avait offert cette même récompense à son pays, en 1986, 36 années plus tôt. Il est décédé en 2020.

Maradona était bien plus qu’un simple footballeur, une sorte de rockstar, avec ses travers.Florent Torchut, auteur de la biographie de Messi Le Roi Leo

Petite taille, pied gauche, dribbleur. On les a sans cesse comparés”, rappelle Florent Torchut, qui est le dernier journaliste à avoir interviewé Diego Maradona et connaît personnellement Lionel Messi. Mais "Le roi Leo" accepte difficilement la comparaison. “Messi m’a toujours dit, je fais ma carrière, j’essaye d’être le meilleur joueur, explique le journaliste. Je lutte contre moi-même, mais je ne me compare pas aux autres, surtout pas à Diego.” En dépit de leurs succès communs, les deux hommes sont bien différents sur un plan humain.

Le journaliste Florent Torchut est le dernier à avoir interviewé Diego Maradona, avant le décès de la star en 2020.
Le journaliste Florent Torchut est le dernier à avoir interviewé Diego Maradona, avant le décès de la star en 2020.

Deux joueurs aux “personnalités opposées”

"Maradona était bien plus qu’un simple footballeur, une sorte de rockstar, avec ses travers”, raconte Florent Torchut. “Il avait une extrême confiance en lui, depuis tout jeune.” Une carapace qu’il tient d’un passé difficile. Né dans un quartier de Buenos Aires oublié par l'État, le joueur a dû endosser le rôle de chef de famille. Grâce à lui, ses huit frères et sœurs sont sortis de la misère. “Quand vous commencez votre vie avec ça sur les épaules, ça vous donne le sens des responsabilités. Je dis toujours que Maradona n’a pas eu de jeunesse”, analyse Florent Torchut. De nature engagé, l'Argentin assume un franc-parler et des idées politiques très marquées.“Je suis blanc ou noir. Je ne serai jamais gris de ma vie", avait-il déclaré. Messi, lui, est beaucoup plus introverti.

La simplicité de Messi par rapport à ce qu'il fait sur le terrain, c'est incroyable.Florent Torchut, auteur de la biographie de Messi Le Roi Leo

La vie de Messi à côté du football est presque ennuyeuse, explique le journaliste. C’est quelqu’un qui aime sa routine, comme il m’avait confié pour le dernier entretien pour le Ballon d’Or. Il aime passer du temps avec sa famille, jouer aux cartes avec ses amis, regarder des dessins animés avec ses enfants. On est très loin des frasques de Maradona. La simplicité de ce mec par rapport à ce qu’il fait sur le terrain, c’est incroyable, ajoute le Florent Torchut. Mais son experience au fil des compétitions et sa paternité l'ont beaucoup aidé à prendre du recul et à être plus sûr de lui.” Un homme simple, menant un vie normale, qui a tout misé sur la performance footballistique. Lui a attendu des années avant d'obtenir la reconnaissance du peuple, contrairement à la "rockstar" de 1986.

L'Argentine de Lionel Messi célèbre sa victoire à la finale de la Coupe du monde de football contre la France au stade de Lusail, au Qatar, dimanche 18 décembre 2022.
L'Argentine de Lionel Messi célèbre sa victoire à la finale de la Coupe du monde de football contre la France au stade de Lusail, au Qatar, dimanche 18 décembre 2022.
© Martin Meissner/ AP

Deux histoires d’amour avec les Argentins

Maradona a toujours été un objet politique pour les Argentins. Sa carrière a décollé en pleine dictature militaire (1976-1983). “Il était très jeune, très fort, analyse Alexandre Juillard, journaliste et auteur de "Maradona" (2010) chez Hugo Sport et de "Insubmersible Messi" (2017) aux éditions Solar.  

La dictature militaire avait besoin de Maradona pour que tous les dimanches, les gens soient contents de voir un phénomène.Alexandre Juillard, auteur de Maradona et de Insubmersible Messi 

"La dictature militaire avait besoin de lui pour que tous les dimanches, les gens soient contents de voir un phénomène, ajoute le journaliste. Il représentait la fierté des Argentins : grâce à lui, l’Argentine pouvait être connue partout dans la planète”, ajoute Alexandre Juillard. Pourtant, le mythe Maradona ne fait pas forcément l’unanimité au pays, en écho à ses dérapages verbaux, contrôles antidopage positifs en 1991 quand il jouait à Naples en Italie et en 1994 lors du Mondial américain, ou encore à sa dépendance à la cocaïne. “Maradona a passé des périodes très délicates. Des gens disent que c’est quelqu’un d’exceptionnel. D’autres le critiquent beaucoup.

Diego Maradona capitaine de l'équipe de football argentine écarte les bras suite la victoire de son équipe sur la Yougoslavie en quart de finale de la Coupe du monde à Florence, en Italie, le 30 juin 1990. 
Diego Maradona capitaine de l'équipe de football argentine écarte les bras suite la victoire de son équipe sur la Yougoslavie en quart de finale de la Coupe du monde à Florence, en Italie, le 30 juin 1990. 
© Karl Heinz Kreifelts/ AP

Le vécu de Messi, lui, est beaucoup moins controversé. Mais il n’a jamais joué en première division argentine, ce qui n'est pas au goût de tous les Argentins. Il a commencé le football dans sa ville natale de Rosario en Argentine, avant de rejoindre à treize ans le FC Barcelone, à une époque où la crise sans précédent sévissait en Argentine, dans la fin des années 1990. “Il est le reflet d’une Argentine qui allait mal à un moment donné. Il est parti parce que des agents l’ont amené là-bas, à des fins commerciales”, explique Alexandre Juillard.

On a demandé à Messi tout de suite de gagner aussi bien que ce qu’il gagnait à Barcelone, mais c’était impossible.Alexandre Juillard, auteur de Maradona et de Insubmersible Messi, aux éditions Solar.

Raison pour laquelle le jeune prodige a mis beaucoup plus de temps à être adulé au pays. “Les Argentins ont besoin de s'identifier à des clubs argentins, leurs joueurs en sont le plus souvent issus, rappelle le journaliste.  Alors, on lui a demandé tout de suite de gagner aussi bien que ce qu’il gagnait à Barcelone, mais c’était impossible.” En 2021, après sa victoire à la Copa America, c’est le soulagement. 

En termes statistiques et palmarès, cela fait longtemps que Messi a dépassé Maradona, rappelle Alexandre Juillard. Maradona n'a pas gagné de Copa America, Messi l'a fait. Maradona n’a pas gagné des Jeux Oympiques, Messi l’a fait." Il lui manquait ce titre de Champion du monde, c’est chose faite, comme Maradona, en 1986.

À (re)lire : Coupe du monde 2022 : une finale de légende envoie l'Argentine et Messi au paradis du football

Deux victoires de Coupe du monde, deux symboles

"Ce qu’il s’est passé en 1986 avec Maradona dépasse l’entendement. Il y avait beaucoup de choses très symboliques. On ne les attendait pas à gagner la Coupe du Monde, développe le journaliste. En 1986, ils ont construit leur victoire sur un sentiment de seul contre tous. Même au pays, on disait que c’était une équipe qui ne pouvait rien faire.”

36 ans plus tard, en 2022, une mystique s’est créée autour de l'équipe argentine. Ils n'ont perdu qu'un seul match en deux ans, c’était contre l’Arabie Saoudite (1-2) au début de la Coupe du monde au Qatar. "Ils étaient attendus. Surtout que pour Messi, c’est peut-être sa dernière Coupe du monde, explique Alexandre Juillard. Cette finale, c'était le match le plus important de sa carrière. Pour Maradona, en revanche, il y avait encore beaucoup de choses à écrire après 1986.

À (re)lire : Quel bilan sportif de la Coupe du Monde au Qatar ?

Avec cette victoire, Messi est définitivement entré dans le cœur des Argentins. "Mais Maradona est plus qu’un footballeur, c’est une icône populaire, rappelle Florent Torchut. Quand il avait 18-20 ans, il avait une tête christique. C’est le meilleur et le pire de l’Argentin. Il était capable de choses extraordinaires sur le terrain, d’un autre côté il était roublard, il avait un fils caché, ça lui est arrivé de se battre. Ça a été une vie romanesque. Il est inscrit dans la mémoire populaire. Messi reste un footballeur. Une fois qu’il enlève son maillot, c’est presque Monsieur Tout le monde.”