La Suisse se met-elle au ban de l'Europe ?
Un membre de l'UDC s'explique...
11.02.2014Par la rédaction de TV5Monde, avec en duplex Oskar Freysinger, membre de l'UDC.10.02.2014Par nos confrères du Temps.
La Suisse rembobine le film de l’histoire. Le pays a choisi de reprendre le contrôle des frontières. C’est non à la libre circulation des personnes et le retour aux contingents de travailleurs européens. Un tournant historique dans la politique européenne de la Suisse, et qui aura des conséquences imprévisibles. La voie bilatérale devient désormais extrêmement difficile, a reconnu le président de la Confédération, Didier Burkhalter, sommé par l’UDC d’entamer des négociations avec l’UE.
Comme un souvenir de 1992
Ironie du destin, le rapport de force est le même que le 6 décembre 1992, lorsque peuple et cantons refusèrent l’adhésion à l’Espace économique européen: 50,3% de oui à l’initiative de l’UDC "Contre l’immigration de masse", 49,7% de non. Une Suisse coupée en deux. 19 526 voix de différence. Même opposition entre villes et campagnes, même fossé de sensibilité, quoique amoindri, entre Suisse romande et Suisse alémanique. Seuls deux cantons, Zoug, de justesse, et Zurich, ont rejoint les cantons romands et Bâle-Ville en refusant de limiter l’immigration par des plafonds. Une fois de plus, ce sont les régions les moins touchées par l’immigration et la libre circulation qui ont marqué le plus nettement leur volonté de les maîtriser. Mais personne, au Conseil fédéral, n’a voulu approfondir les causes de cette nouvelle coupure entre régions linguistiques et entre villes et campagne. Comme en 1992, c’est un Conseil fédéral véritablement sonné qui est apparu dimanche soir face aux caméras, cherchant à la fois des explications à ce désaveu populaire et tâtonnant pour définir un avenir qui lui échappe. Car c’est un vote de défiance vis-à-vis des autorités politiques et du monde économique, a reconnu Simonetta Sommaruga. Une victoire énorme pour l’UDC qui partait seule contre tous, Conseil fédéral, gouvernements cantonaux, partis politiques, associations économiques et patronales, syndicats.
Un revirement inattendu

Il y a trois semaines encore, un premier sondage ne donnait que 37% à l’initiative. La remontée est spectaculaire et la mobilisation des indécis aura surtout profité aux partisans de l’initiative. Car la participation élevée, 55,8%, reflète bien la vivacité du débat de ces dernières semaines. Le choc est d’autant plus sévère pour le gouvernement et l’establishment politique que c’est la première fois, depuis 22 ans, que le peuple refuse des propositions d’ouverture. On est loin des 67,2% obtenus en 2000 par le premier paquet des accords bilatéraux, ou des 54,6% en faveur de la suppression des contrôles aux frontières, dans le cadre des accords Schengen-Dublin. L’inquiétude suisse Ces dernières semaines, l’angoisse devant un prétendu "stress de la densité", face à la concurrence étrangère sur le marché du travail ou la saturation des infrastructures, a dominé les débats. La crainte d’une pénurie de main-d’œuvre qualifiée, agitée par "Economie suisse" (Fédération des entreprises suisses, ndlr), a très peu pesé. D’une part, en raison d’une campagne d’Economie suisse très critiquée pour son manque de punch et sa distance avec les préoccupations de la population. D’autre part, en raison du très peu d’implication des grands et petits patrons, bien plus présents lorsqu’il s’agissait de s’opposer à l’initiative sur les hauts revenus.
Suisse – UE : un avenir incertain
Que va-t-il se passer désormais ? Didier Burkhalter va devoir entreprendre une tournée des capitales, sans doute à Berlin dès la semaine prochaine, pour expliquer le vote suisse et défendre la volonté populaire exprimée par la démocratie directe. Parallèlement, a annoncé la ministre de la Justice Simonetta Sommaruga, les travaux législatifs pour appliquer le nouvel article constitutionnel doivent aller vite. Objectif: soumettre un texte en consultation cette année encore. Didier Burkhalter, qui sait que rien ne pourra être adopté sans le soutien de l’UDC, a promis une collaboration très étroite avec les partis. Le problème, c’est que l’UDC ne manifeste pas une très grande volonté de collaborer. L’initiative adoptée, elle entend désormais se satisfaire de veiller à son application intégrale. Et, d’abord, par la dénonciation de l’accord sur la libre circulation avec l’UE. Quelle sera la hauteur du plafond, comment seront répartis les contingents, comment seront définies les priorités, selon quelles procédures? Le ministre n’en sait encore rien. Une chose est certaine, désormais, c’est Berne et non plus les entreprises qui décideront de l’attribution de la main-d’œuvre.
Qu'en dit la presse internationale ?
Le journal Le Temps, à Genève, dénonce un retour en arrière. "La Suisse rembobine le film de l’histoire. Le pays a choisi de reprendre le contrôle des frontières". Le Corriere del Ticino, le quotidien indépendant de la Suisse italienne, ne mâche pas ses mots. Il titre "Stop à la liberté de circulation". Côté italien, le Corriere della sera est radical. "La Suisse se ferme aux immigrants". Il mentionne également "l’irritation de l’Union européenne" face à la nouvelle. Le quotidien portugais, Diario de noticias, évoque, lui, une nouvelle inattendue. "La Suisse surprend l’Europe et impose des quotas aux immigrants". Il rappelle que l’Union européenne "menace de revoir tous les accords bilatéraux" passés avec la Suisse. Enfin, pour le quotidien régional Dernières Nouvelles d’Alsace, "la Suisse stoppe l’immigration. Une décision lourde de conséquences pour les frontaliers, qui risque de faire polémique". Quelques Unes en images :