Info

Peut-on être chrétien et homosexuel?

A l'occasion de la journée du 15 août, le cardinal Vingt-trois, président de la conférence des évêques de France, a chargé les diocèses du pays de faire suivre aux paroisses une prière qui s'oppose implicitement au mariage homosexuel. L'occasion de s'intéresser à la place de l'homosexualité au sein de l'Eglise, dont les témoignages attestent d'un décalage "hypocrite" entre la hiérarchie ecclésiastique et son action au quotidien.

Elisabeth Masset, la co-présidente de l'association David et Jonathan
Elisabeth Masset, la co-présidente de l'association David et Jonathan
"Ca a duré quinze ans pour que j'accepte ce que je suis mais paradoxalement, le fait d'accepter mon homosexualité complètement m'a permis de retrouver le chemin de la foi". Elisabeth Masset a grandi en milieu catholique, elle a fait "tout le parcours", et se dit "profondément touchée par le message de Jésus, qui ne parle absolument pas de sexualité dans les évangiles".
Pourtant, la co-présidente de l'association David et Jonathan, un mouvement homosexuel chrétien, a eu du mal a trouver sa place au sein de l'Eglise. "J'ai quand même toujours le sentiment de devoir m'excuser d'être lesbienne, parce que c'est très ancré, c'est de l'homophobie intériorisée." Pour elle, il n y a pas de doute, l'homophobie vient de la religion, et l'Eglise en joue d'une manière toute particulière. "Elle tient un discours que j'appelle 'homophobie compassionnelle' c'est à dire qu'on nous plaint parce qu'on souffre, mais la source de cette souffrance c'est justement la personne qui nous plaint. En gros, 'je vous tape dessus et je vous plains parce que ça fait mal' et c'est difficile de débattre avec ça. "

“Pécher, c'est ne pas aimer“

Le Cardinal Vingt-trois, président de la conférence des évêques de France
Le Cardinal Vingt-trois, président de la conférence des évêques de France
Au quotidien, des évêques désignent dans leur épiscopat des prêtres chargés d'accompagner des homosexuels et font régulièrement appel à l'association. Le propre frère d'Elisabeth Masset, qui est prêtre, a été formel : "j'en suis convaincu, pécher, c'est ne pas aimer". Alors elle se demande où le péché peut-il bien être dans son homosexualité. "Je ne vois pas a qui on fait du mal : pas à la famille, pas à la société, pas à l'autre, pas à nous, à personne! Il n'y a aucun mal la dedans." Elle va même plus loin : "la première fois que j'ai eu une relation avec une autre femme, tout se mettait en place, c'était complètement naturel et Dieu était là parce que je l'aimais, elle m'aimait, donc là ou il y a de l'amour, il y a Dieu."
Mais le discours de la hiérarchie ecclésiastique tranche radicalement avec son action au quotidien : "le Vatican donne l'image d'une structure complètement monolithique avec quelqu'un à sa tête qui dicte ce qu'il faut penser, ce qu'il faut dire, qui on a le droit d'aimer et avec qui on a le droit de coucher". Et cette année, l'épiscopat français a donné un message clair : il s'oppose sans détour au mariage gay. Le président de la conférence des évêques de France a appelé à "donner un signe national à l'occasion du 15 août", "compte tenu de la situation et des probables projets législatifs du gouvernement sur la famille." Dans la prière que le Cardinal Vingt-trois diffuse aujourd'hui, il rappelle insidieusement que les enfants doivent "cesser d'être les objets des désirs et des conflits des adultes pour bénéficier pleinement de l'amour d'un père et d'une mère".

“Une main tendue vers les traditionalistes“

Une manifestation du groupe Civitas, le pendant politique de la branche française de la Fraternité St-Pie-X, régulièrement critiquée pour sa proximité avec l'extrême droite.
Une manifestation du groupe Civitas, le pendant politique de la branche française de la Fraternité St-Pie-X, régulièrement critiquée pour sa proximité avec l'extrême droite.
"Cela paraît normal de dire qu'on souhaite que les enfants aient un père et une mère,
défend Elisabeth Masset, mais on sait bien, nous, qu'entre les lignes, l'attaque se prépare". Surtout que pour elle, "la main tendue vers les traditionalistes est évidente, c'est très politique tout ça". Interrogé par le quotidien Libération, le créateur du module "religion et société" à Science Po Eric Vinson explique l'origine de la célébration du 15 août , et sa signification. "En 1638, Louis XIII a fait le voeu de consacrer la France à la Sainte-Vierge pour protéger le pays. La consécration se faisait principalement le 15 août, lors de l'Assomption. C'est un peu étonnant de renouer avec cette tradition de prier pour le pays car depuis 1945, l'Eglise ne mettait pas du tout l'accent sur ce type de prières. Ce sont surtout les milieux les plus traditionnels voire conservateurs qui raniment ces pratiques depuis quelques années."
L'idée est justement de "ne pas laisser le champ aux extrémistes" qui multiplient les interventions musclées contre le mariage gay, analyse Eric Vinson. Avec des slogans comme "Aujourd'hui, le mariage homo, demain la polygamie. Stop!" les mouvements intégristes ont fait pression, avec succès, sur l'épiscopat. Pourtant, il y a deux ans, lors de la journée internationale de lutte contre l'homophobie, l'Eglise était loin de condamner les homosexuels. A cette occasion, le Cardinal Vingt-trois, celui la même qui est a l'origine de l'appel du 15 août contre le mariage gay, avait paraphé une prière qui faisait de l'homophobie, et non de l'homosexualité, un péché.

“La Bible ne parle jamais d'homosexualité“

Face aux intégristes, qui citent Sodome et Gomorrhe ou le Lévitique dans le texte, certains religieux ont imposé leur exégèse. C'est le cas du pasteur Corbaz, qui officie en Suisse, et qui a décidé d'aborder "avec un peu d'appréhension", "cette question délicate". Dans son sermon, il rappelle que "la Bible n'est pas un livre de recettes utilisables directement, qui nous dise ce qu'il faut faire ou non aujourd'hui". En ce qui concerne Sodome et Gomorrhe, il rappelle que ce "passage de la Genèse trouve manifestement que le viol de deux jeunes filles est moins grave que le viol des règles de l'hospitalité. Personne n'aurait idée aujourd'hui de dire que telle est la volonté de Dieu…"
Surtout, le pasteur Corbaz tient a souligner que "la Bible ne parle jamais d'homosexualité!" étant donné que le terme n'existe que depuis le 19ème siècle. "Les deux seuls passages de l'Ancien Testament qui interdisent explicitement les relations homosexuelles sont chaque fois dans le Lévitique". Le lévitique (20,9-13) appelle en effet à la peine de mort  "si un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme". Mais le Lévitique impose aussi la peine de mort pour l'adultère (20:10) et justifie l'esclavage. A tel point qu'une lettre ouverte circule sur Internet pour dénoncer l'archaïsme de tels préceptes.
"J'aimerais vendre ma soeur comme esclave, comme l'Exode (21:7) m'y autorise. A notre époque et à ce jour, quel prix puis-je raisonnablement en demander?" s'interroge l'internaute, auquel le Lévitique pose d'ailleurs beaucoup de questions… "Mon oncle a une femme. Il viole le Lév. 19:19 en semant deux espèces différentes dans un même champ, et sa femme en fait autant en portant des vêtements de deux fibres différentes (coton et polyester mélangés) (…) Est-il nécessaire d'aller jusqu'à alerter toute la ville afin qu'il soit lapidé? (Lev.24:10-20)."
Quant au Nouveau Testament, le pasteur Corbaz rappelle à ses fidèles que "les évangiles n'abordent jamais la question des relations homosexuelles". Lorsqu'on demande à Elisabeth Masset si son homosexualité n'est pas en contradiction avec sa foi, elle s'étonne : "Ben non! Qu'est-ce qu'il a dit Jesus la-dessus? Quand il a rompu le pain, il a dit 'mangez-en tous!', il n'a pas dit "mangez-en tous, sauf les gays, les lesbiennes, les divorcés et les remariés!' il a dit tous."

Une solidarité interreligieuse

Accorder son homosexualité à sa foi est une question qui ne se pose pas seulement pour les chrétiens, au même titre que l'homophobie n'est pas l'apanage de l'Eglise. Les mêmes arguments, les mêmes textes sont utilisés par ceux qu'Elizabeth Badinter appelle "la sainte alliance des réactionnaires". L'association David et Jonathan, forte de se constat, a noué des liens solides avec HM2F, les homosexuels musulmans de France et Beit Haverim, groupe juif gay et lesbien de France. En novembre dernier, ils ont fait ensemble le voyage en Israël-Palestine. "Nous avons été sur les lieux saints des trois religions et nous avions rencontré beaucoup de monde, un père français, un rabbin, un maire musulman arabe, c'était très émouvant" raconte Elisabeth Masset.