Pierre Lellouche : « Le premier qui dit la vérité, il sera exécuté »

Lorsque le ministre français des Affaires européennes s’avance ce mercredi 15 septembre 2010 entre les rangs des correspondants de la presse européenne à Paris, il sait sûrement que sa tâche va être difficile. Il a sûrement regardé, voire lu les plus grands quotidiens du jour, espagnol, belge, britannique ou allemand, et pas les plus « gauchistes ». « La France se fait taper sur les doigts, pour cause des Roms » ironise le Financial Times ; « Bruxelles se prépare à attaquer la France », renchérit la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) ; même Une pour El Pais, tandis que La Libre Belgique frappe plus fort : « La honte ».

Il faut dire que la veille, à Bruxelles, Pierre Lellouche a lancé toutes sortes d’attaques en guise de défense, dont celle-ci au député européen Guy Verhofstadt : « Il n’a pas raison sur les Roms, et il devrait s’occuper de la Belgique. » Et cette autre à « l’hypocrisie » de la Commission européenne. Face à cette crise de confiance sans précédent entre les Institutions européennes et la France, c’est dire si l’enjeu de ce déjeuner, en principe décontracté, était important. Une heure trente plus tard, le dernier échange avec le journaliste anglais Peter Gumbel résumait le succès très relatif de cette rencontre : « Monsieur le Ministre, pourquoi êtes-vous tellement sur la défensive ? » « Mais je ne suis pas sur la défensive. Et si vous le pensez, alors j’ai échoué. Je vous laisse à vos commentaires. »

LA CIRCULAIRE, « DYSFONCTIONNEMENT INTERMINISTÉRIEL » Jusqu’à ce début de semaine, la Commission européenne et le gouvernement français semblaient pourtant avancer de conserve pour encadrer les Roms, principale minorité d’Europe. Viviane Reding, la Commissaire chargée de la justice et des droits des citoyens avait même défendu la politique française devant le Parlement européen à la veille du vote d’une résolution contre les expulsions des Roms. Mais voilà que la presse a révélé l’existence d’une circulaire du ministère de l’Intérieur ciblant directement les Roms (à télécharger en PDF ci-contre). C’est le seul sujet sur lequel le ministre se montre farouche, même lorsque Michaela Wiegel, de la FAZ, lui rappelle la présence de représentants d’autres ministères lors de la rédaction de cette directive : « Je n’étais pas au courant de ce texte. Je l’ai découvert après coup. Et je peux même comprendre la colère de Madame Reding qui croit avoir été flouée puisque nous, Eric Besson et moi même, lui avions affirmé que nous ne voulions pas stigmatiser une population. Qu’y puis-je s’il y a eu un dysfonctionnement interministériel ? Cela doit arriver ailleurs non ? »

« LA FRANCE STIGMATISÉE » Pour plaider la position de la France, et justifier les milliers d’expulsions de Roms Tsiganes depuis la fin du mois de juillet, le ministre invoque le divorce entre les institutions et les peuples : « Le poète Guy Béart chantait "le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté" C’est exactement ce qui nous arrive. Au moins j’espère qu’une chose positive sortira de cette crise, qu’elle forcera à une prise de conscience partout en Europe, que quelque chose doit être fait pour ces populations en déshérence. » Lorsque le ministre est mis face aux contradictions de la politique française – expulsion d’une part, aide au retour de l’autre ; confusion entre Roms et Gens du voyage ou Tsiganes sédentarisés et citoyens français ; discours sur la répression plutôt que sur l’insertion -, il a parfois du mal à répondre, alors il préfère renverser les rôles : « Au fond, c’est un comble, mais au nom de la prétendue stigmatisation des Roms, c’est la France qui en réalité est stigmatisée. »