Le revenu de base ou revenu universel... Une proposition largement débattue, dans les pays développés ou en développement, mais jamais testée et analysée scientifiquement, grandeur nature.
Une expérimentation va finalement être menée, en France, grâce à une campagne de financement participatif, lancée début novembre.
A la tête du projet, Julien Bayou, porte-parole d'Europe Ecologie-Les Verts (EELV) et conseiller régional d'Ile-de-France.
Entouré d'une petite équipe de jeunes défenseurs du concept, il a déjà levé près de 30 000 euros, via internet. De quoi financer deux "revenus de base" dès le 1er janvier prochain.
" Mais ce n'est qu'un début, tempère-t-il. Nous avons été surpris par le succès rapide de notre initative. Plus de 900 personnes ont donné de l'argent pour que le projet se concrétise, plus de 50 000 volontaires se sont inscrits sur le site monrevenudebase.fr et espèrent recevoir 1000 euros par mois, pendant un an. La seule condition pour participer est d'être majeur. L'idée est clairement de se projeter dans une protection sociale du 21ème siècle plutôt que de courir, toujours, après le plein-emploi." Les deux premiers bénéficaires seront tirés au sort le 6 décembre prochain. L'opération sera renouvelée en fonction des sommes qui continueront d'être récoltées.
Se projeter dans une protection sociale du 21ème siècle
En parallèle, l'objectif de cette initative, purement citoyenne, est d'évaluer ce que ce revenu de base pourrait changer concrètement dans le quotidien des bénéficaires. Leur nouvelle vie sera documentée, pendant un an, et analysée par Suzanne Bellue. Assistante de recherche au sein du laboratoire J-PAL à l'École d'Économie de Paris, elle travaille sur l'évaluation des politiques publiques. "Nous avons mis en place un questionnaire pour les personnes qui se sont inscrites au tirage au sort : nous les interrogeons sur leur rapport au travail, nous leur demandons ce qu'elles feraient avec 1000 euros par mois garantis", raconte-t-elle. Parmi les premières réponses : vivre plutôt que survivre, payer mes dettes, acheter de la nourriture bio à mes enfants... "Nous saurons ainsi quelle part de la population s'intéresse au sujet, poursuit Suzanne Bellue. L'idéal serait d'atteindre le seuil de 100 000 volontaires et un échantillon d'une centaine de bénéficaires puis de comparer les deux groupes" détaille-t-elle.
Le projet en tant que tel vise plus largement à sensibiliser toujours plus de Français aux potentialités du revenu de base pour pousser l'État à s'engager. " Des territoires sont volontaires pour mener des expérimentations à plus large échelle : la ville de Grande-Synthe, dans le nord de la France, les départements du Gers ou de la Gironde également, explique Julien Bayou. Mais pour cela, une loi d'autorisation doit être votée au Parlement et il faut donc lever les blocages largement partagés au sein de la classe politique française".
Lever les blocages politiques
Des blocages d'abord idéologiques pour ceux qui voient dans la généralisation du revenu de base un affaiblissement de la "valeur travail". Même si sur ce point, rien n'est prouvé. Au Kenya et en Allemagne, des expérimentations proches de celle qui va être menée en France montrent que les allocataires d'une rente garantie réduisent - pour certains - mais en aucun cas ne cessent leur activité professionnelle. Pour Suzanne Bellue, la frilosité des pouvoirs publics s'explique surtout par le fait qu' "à court-terme, la mesure coûterait plus cher à l'État puisqu'on évalue que 30 à 60% des Français qui pourraient percevoir des aides publiques ne les demandent pas. Le revenu de base, lui, serait versé à tous sans conditions et sans besoin de le réclamer", avance l'économiste. Les bénéfices du procédé restent, eux, à évaluer. Les défenseurs du revenu de base sont convaincus qu'il serait un puissant levier de réduction des inégalités . Mais ils savent aussi qu'il faut pour le généraliser, parvenir à promouvoir une toute autre forme de société.