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Rio+20 : pallier les défaillances des Etats

Vingt ans après le sommet de la Terre, l’heure n’est plus à l’analyse des symptômes dont souffre la planète bleue, comme le réchauffement climatique, mais aux remèdes envisagés pour la sauver : une économie « verte », en prise avec l’environnement, et une gestion efficace des problèmes d’environnement par les gouvernements. Or ces enjeux, au lieu d’engendrer la dynamique espérée, ont plutôt révélé des oppositions au sommet Rio 20 qui se tient jusqu’à vendredi à Rio de Janeiro, au Brésil. Si les processus intergouvernementaux sont malades, la société civile, elle, semble bel et bien avoir pris le relais. Entretien avec Laurence Tubiana de l’Institut du développement durable et des relations Internationales.

Depuis la prise de conscience du premier sommet de Rio, en 1992, quels ont été les principaux acquis en matière d’environnement ?   Si l’on regarde l’état général de la planète, les choses se sont globalement détériorées. Perte de biodiversité, état des océans et des forêts, concentration des émissions de gaz à effets de serre… On a régressé à mesure que les pays ont accéléré leur développement au prix d’un usage abusif des ressources naturelles et d’une hausse de la pollution. L’action internationale, elle, n’a été que peu renforcée depuis 1992, ou de façon chaotique. Aujourd‘hui, plus encore qu’à Johannesburg, en 2002, les choses positives se passent en dehors des processus intergouvernementaux, qui sont grippés, comme le montre le manque d’appétit des participants à négocier.  
De Rio à Rio+20, un reportage de nos partenaires de la RTS
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Alors qu’est-ce qui a changé ?   On constate des progrès aux échelons nationaux : aujourd’hui, tous les pays du monde ont un ministère de l’Environnement ; tous ont intégré dans leur discours, si ce n’est dans la pratique, la notion de développement durable. Cela se ressent aussi aux échelons locaux : toutes les entreprises sont sensibilisées au sujet, des transnationales dans un premier temps, jusqu’aux plus petites maintenant. Le grand progrès depuis 1992, même si les résultats sont encore incertains, c’est la prise de conscience et l’implication de très nombreux acteurs de la société. Chacun dans son rôle, les maires des villes, les chercheurs, les ONG, les dirigeants d’entreprises pensent tous qu’ils ont un rôle à jouer, et ils assument une responsabilité qui n’est pas seulement celle de leur gouvernement. Ils jouent leur réputation et sont redevables vis-à-vis de leurs électeurs, de leurs consommateurs ; ils s’engagent vis-à-vis de l’opinion publique mondiale et de leurs pairs. Ainsi les villes organisées en réseaux de développement durable ont-elles annoncé qu’elles prenaient des engagements de réduction d’émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030, allant plus loin que ce qui avait été décidé après Copenhague. Des entreprises sont aussi en train de publier leurs engagements. Où en est le consensus sur la croissance verte ?   Malgré les efforts de la communauté européenne, je ne crois pas à un accord sur la croissance verte. Les pays s’accorderont plutôt sur la nécessité d’une réflexion sur ce qu’est l’économie verte, sur des objectifs de développement durable et les processus à définir pour les atteindre. La grande avancée, c’est que ces objectifs seront à la fois universels et spécifiques à chaque pays, contrairement aux objectifs du millénaire, qui s’adressaient exclusivement aux pays pauvres. Cela nous permettra de sortir de ce débat qui polarise les conflits, même s’il restera à l’ordre du jour. Car on sent un énorme blocage entre les deux principaux camps : les pays européens et les pays émergents, qui craignent que la croissance verte devienne un argument pour freiner leur croissance. Pour surmonter ce conflit traditionnel, réfléchissons à ce que peut être le développement durable dans chaque pays – tel est le consensus. Les objectifs définis, partagés par l’ensemble des pays, seront matérialisés par un accord commun à négocier d’ici 2015.
Quelle est la portée des questions commerciales dans les négociations ?   C’est la pierre d’achoppement cachée de ces discussions, une question traitée en pointillé dans les groupes de travail, mais jamais de front. Les pays émergents ont très peur de l'impact économique d’une politique verte. Tant qu’ils voient des conséquences commerciales à chaque mouvement renforçant le pilier environnemental, ils bloqueront sur les institutions, alors qu’il faudrait discuter du problème économique.   Comment surmonter ce blocage ?   L’appropriation des politiques environnementales par chaque pays est une étape importante. A mesure que la Chine, l’Inde ou l’Afrique du Sud vont les assimiler, ils vont gagner confiance en leurs performances. Quand leur politique verte sera reconnue par les autres, via des indicateurs positifs sur les émissions de gaz à effet de serre, par exemple, ils baisseront la garde face à une autorité internationale qui pourrait les sanctionner, mais aussi reconnaître leurs efforts. Pour l’instant, leur incertitude est source d’une grande méfiance.   Qui bloque le plus ?   Ce n’est pas un pays émergent en particulier qui bloque, mais bien une désaffection générale du  groupe des pays émergents, ressoudé pour l’occasion, qui se manifeste. Ils ne croient pas que la croissance verte peut amener leur population à un niveau de vie correcte. Or nous n’avons pas nous-même une vision claire et précise de ce qu’est l’économie verte. Nous pouvons simplement en dessiner les contours. Et tout ce que nous savons faire aujourd’hui, c’est de la croissance qui consomme de plus en plus de ressources naturelles. D’où la méfiance des pays émergents.
Quid de la société civile ?   On a beau être effaré de l’incapacité des gouvernements à négocier, l’engagement est beaucoup plus clair autour et hors des négociations. Il existe un très grand décalage entre le salmigondis officiel et les discussions initiées par le gouvernement brésilien, par exemple, les sustainable dialogs, qui ont mobilisé des dizaines de milliers de personnes du monde entier sur la toile. Là, le débat a été réel et précis. Toutes sortes d’acteurs se sont impliqués, et plus seulement les militants écologistes. Cette mobilisation a débouché sur des votes auxquels ont participé 70 000 personnes. Pour chaque thème, les consultations ont été organisées par trois universités, une du Brésil, une autre d’un pays du Nord et une autre d’un pays du Sud. Les débats ont accouché d’une trentaine de recommandations à remettre aux chefs d’Etat le jour de l’ouverture du sommet. Ce genre de processus en est encore à ses balbutiements. Toujours est-il qu’on constate déjà des points communs entre les votes en Chine, au Mali ou en France. Il faut en tirer des conséquences pour la sortie de Rio et créer des processus autres que les processus onusiens traditionnels - c’est urgent et très important.   A quand une organisation mondiale de l’environnement sous l’égide de l’ONU ?   Difficile à dire, car les pays émergents sont très méfiants : ils ne veulent pas d’une hiérarchie des priorités, avec les questions de développement subordonnées aux questions d’environnement. Ils y voient une base légitime pour appliquer des restrictions commerciales contre les pays qui n’ont pas une bonne politique environnementale. "Pour nous, la réduction de la pauvreté et le développement économique passent avant tout, et tout ce qui mettrait ces priorités à l’arrière-plan se heurtera toujours à notre refus." Sans compter l’opposition traditionnelle des Etats-Unis à renforcer n’importe quelle institution des Nations unies. Beaucoup d’ONG, dont l’Iddri, plaident pour sortir des structures de l’ONU un forum du développement durable, mais l’idée n’a pas débouché. Donc rien ne devrait vraiment bouger sur le front de la réforme de la gouvernance centrale. Nous allons revenir à une structure intergouvernementale, une Commission du développement durable améliorée, mais certainement pas nous diriger vers la création de l’Organisation mondiale de l’environnement voulue par certains pays européens, notamment la France et l’Allemagne. Le rôle du Programme des Nations unies pour l’environnement devrait se renforcer dans la mesure où tous les pays voudront participer, et pas seulement certains pays piliers.
Laurence Tubiana est fondatrice de l’Institut du développement durable et des relations Internationales (Iddri), à Paris. Elle est également directrice de la Chaire Développement durable de Sciences Po et professeur à l’université de Columbia (New York, États-Unis). En mai 2009, elle s’est vu confier la mise en place de la nouvelle Direction des biens publics mondiaux du ministère des Affaires étrangères et européennes. Elle participe aux négociations internationales sur le changement climatique (chef adjoint de la délégation française à Copenhague en décembre 2009 et conseillère du Président du groupe de négociation sur le changement climatique), dans lesquelles l’Iddri est fortement impliqué. Membre du conseil d'administration du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), elle est également membre de l’Indian Sustainable Development Council et du China Council for International Cooperation on Environment and Development.