Vers un mai 68 anglais ?

Ce n'est pas encore Mai 68, mais on y arrive. Les Anglais, on le sait bien, ne sont pas le genre à descendre massivement dans la rue. Le célèbre flegme britannique y est pour beaucoup, bien sûr, mais aussi le fait qu'ici, ça ne sert pas à grande chose. Ils étaient plus d'un million - peut-être même deux - à manifester contre la guerre en Iraq en 2003, la plus grande manifestation jamais vue en Angleterre, et qu'est-ce que ça a changé ? Alors qu'en France, en général, ça marche. Depuis 1789, « la rue », ça fait peur. Mais depuis quelques semaines, on commence à voir un début d'autre chose de ce côté-ci de la Manche. Une nouvelle loi de la coalition Conservateur-LibDem (votée par l'Assemblée la semaine dernière, et par les Lords cette semaine), qui obligera beaucoup de jeunes gens de troisième cycle à payer jusqu'à 10 000 euros par an de frais de scolarité au lieu des quelque 3000 actuels, a poussé les étudiants (et, en grand nombre, les lycéens) britanniques à sortir de leur passivité habituelle.

OPÉRATIONS COUPS DE POING ET SACRILÈGES À trois reprises, le centre de Londres a été le théâtre de confrontations d'une intensité peu anglo-saxonne entre manifestants et forces de l'ordre. Un extincteur a été balancé du haut du bâtiment du parti conservateur sur les policiers en contrebas ; la Rolls-Royce centenaire de Charles et Camilla a été attaquée ; le fils - étudiant en histoire à Cambridge - de David Gilmour, célèbre guitariste du Pink Floyd, a grimpé sur le Cenotaph, le monument rendant hommage aux combattants britanniques. Il est vrai, évidemment, que l'essentiel de la violence est du à une minorité, assez importante tout de même, de casseurs et d'anarchistes, venus masqués, armés même, et manifestement cherchant la confrontation. Mais, il est vrai aussi que les étudiants et les écoliers sont très, très remontés - et que face à l'envergure extraordinaire du programme d'austérité prévu par la coalition, ça pourrait n'être que le début des hostilités.

NAISSANCE D’UN MOUVEMENT POLITIQUE Plusieurs salles d'universités sont occupées depuis trois semaines : du jamais vu depuis la guerre du Vietnam. Ce qui a commencé comme une manifestation contre l'augmentation des frais de scolarité est en train de se transformer, peu à peu, en véritable mouvement politique. Une vraie campagne sociale. L'inégalité et la pauvreté croissante, la destruction des services publics, le chômage, les banquiers, les bonus, les multinationales qui ne paient pas d'impôts : même bataille, même lutte, disent-ils (slogan qu'on n'a pas entendu depuis 40 ans). Reste à voir, dans les 18 mois qui viennent, quand les coupes budgétaires commenceront vraiment à se faire sentir pour tous, comment ce mouvement va évoluer. Quand les centres pour la jeunesse disparaitront, quand les piscines municipales, les crèches et les bibliothèques commenceront à fermer, si, à ce moment-la, les baby-boomers, vétérans de notre version « light » de mai 68, prennent eux aussi la rue, ça pourrait donner quelque chose de presque français...
La grogne sociale monte en Europe
Euro-manifestation à Bruxelles : entre 56 000 et 100 000 manifestants venant principalement de Belgique et de France (30 pays en tout) - ont manifesté contre l'austérité et pour l'emploi en Europe le 29 septembre 2010. La dernière euro-manifestation datait de 2001. France : les manifestations et grèves contre la réforme des retraites ont été nombreuses : les 7, 23 septembre, 2 puis 12 octobre. Espagne : Le pays a connu la première journée de grève générale de l'ère Zapatero - et la cinquième de son histoire - le 29 septembre contre une réforme du marché du travail qui facilite les licenciements ainsi que la rigueur budgétaire. Grèce : Six grèves générales ont eu lieu depuis janvier 2010 contre le plan d'austérité décidé suite à la crise de la dette. Portugal : La première confédération syndicale du pays a appelé à la grève générale le 24 novembre.