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Thaïlande : pourquoi un nouveau coup d'Etat ?

Capture d'écran du général Prayut annonçant le coup d'Etat.
Capture d'écran du général Prayut annonçant le coup d'Etat.

Ce jeudi 22 mai, l’armée thaïlandaise a pris le pouvoir à l'issue d'un énième coup d’Etat. Le Premier ministre renversé, Niwattumrong Boonsongpaisan, et ses ministres doivent désormais se présenter aux militaires. La Constitution a été suspendue et toute réunion de plus de 5 personnes est interdite. Pourquoi ce coup d’Etat intervient-il maintenant, après l’introduction de la loi martiale ce mercredi 21 mai et le début des discussions entre les rivaux politiques ? Entretien avec David Camroux, chercheur au CERI (centre de recherche de Science Po Paris) et spécialiste de l’Asie du Sud-Est.

Après la mise en place de la loi martiale, l’armée a annoncé sur une chaîne de télévision, ce jeudi 22 mai, un coup d’État. Pourquoi maintenant ?

C’était prévisible depuis des mois. Dès le début des manifestations des chemises jaunes en novembre, de l’occupation de Bangkok (capitale du pays, ndlr), de l’occupation du centre des affaires de Bangkok. Le général des armées est intervenu à plusieurs reprises dans les médias en annonçant que l’armée restait toujours prête si la situation se dégrade. Je crois que la dernière fois qu’il a pris la parole, il n’a pas parlé de "coup d’État", mais il a utilisé l’expression de "moyens exceptionnels" qui seront employés. On était quand même averti.

Deuxièmement, la tactique des chemises jaunes dès octobre/novembre a été d'instaurer un climat d’instabilité et de violences qui pouvait faire craindre une intervention de l’armée avec un coup d’État.

Annonce du coup d'Etat sur la télévision thaïlandaise

22.05.2014Récit d'Amandine Sellier
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L'ancien Premier ministre thaïlandais déchu en 2006 : Thaksin Shinawatra ©AFP
L'ancien Premier ministre thaïlandais déchu en 2006 : Thaksin Shinawatra ©AFP


C’est sous l’égide de l’armée que les discussions ont débuté cette semaine. Que s'est-il passé ?

Elle n’avait pas encore fait de coup d’État, car l’instabilité n’était pas telle que la situation méritait une intervention. Si le général de l’armée Prayut Chan-O-Cha était hésitant, c'est que la dernière fois que l’armée est intervenue, en 2006, ça ne s'est pas très bien passé. Certes, Thaksin Shinawatra (ancien Premier ministre thaïlandais déchu, ndlr) a été déchu. Mais un an après, son parti est revenu au pouvoir et a bénéficié d’un vote de confiance du Parlement grâce à de basses manœuvres de politiciens. Et puis en mars 2010, les chemises rouges - soutien de Thaksin et de son parti - ont occupé le centre de Bangkok. Cela s’est terminé dans un bain de sang faisant 90 morts. L’image de l’armée a beaucoup souffert de ce coup d’État.

Le général Prayut Chan-O-Cha au centre ©AFP
Le général Prayut Chan-O-Cha au centre ©AFP
Justement, comment est considérée l’armée en Thaïlande, maintenant ?

Après le coup d’État de 2006, l’armée s’est un peu retirée de la scène pour soigner son image. Dès le début des dernières instabilités (en novembre dernier, ndlr), le général Prayut Chan-O-Cha a fait une très bonne communication. La preuve c’est que le quotidien Bangkok Post a fait un sondage hier auprès de 1300 personnes, dans lequel 75% des interrogés approuvent la loi martiale.

Pourquoi cette loi martiale est-elle approuvée par la population alors que les médias se retrouvent sous contrôle ?

C’est pour revenir au calme. Cela fait trop longtemps que cette crise dure. L'instabilité commence d’ailleurs à avoir des retombées économiques, entraînant une petite chute de croissance.

A peu près 15 milliards d’investissements sont bloqués, surtout de la part des Japonais - les plus importants en Thaïlande - qui hésitent à investir dans ce climat d’instabilité. L'impact est aussi sensible sur le tourisme.

La Première ministre destituée le 7 mai 2014 Yingluck Shinawatra ©AFP
La Première ministre destituée le 7 mai 2014 Yingluck Shinawatra ©AFP
Ce 19e coup d’État en quatre-vingt ans s'est-il déroulé dans un contexte vraiment différent ?

C’est différent pour plusieurs raisons. On essaye de déloger le gouvernement de Yingluck Shinawatra (Première ministre déchue, ndlr) par plusieurs moyens : les manifestations, l’occupation de Bangkok et maintenant le coup d’État. Mais en même, s’est déroulé un coup d’État judiciaire. C’est-à-dire que l’on fait appel aux cours constitutionnelles, la commission nationale anti-corruption et la commission électorale pour se débarrasser de Yingluck Shinawatra et de son parti. L'opposition s'exprime par deux voix : celle de la rue et celle des institutions et de la justice.

Cela a presque bien fonctionné, mais pas complètement. Dès que Yingluck Shinawatra a été destituée, le 7 mai, par la Cour constitutionnelle, avec neuf de ses ministres, la commission nationale anti-corruption l’a envoyée devant le Sénat pour des questions de négligence de devoir.

Mais elle reste toujours éligible pour les prochaines élections. Ils ne sont donc pas allés jusqu’au bout pour que son parti soit vraiment déchu et pour que Yingluck Shinawatra soit déclarée inéligible.

L’armée est sûrement intervenue parce que cela traînait trop, et que le sénat, malgré les appels des chemises jaunes hésite à nommer un gouvernement par intérim. L’intervention de l’armée est une façon de faire pression sur le sénat et les autres institutions pour mettre fin à cette période d’instabilité.

Le roi Bhumibol Adulyadej ©AFP
Le roi Bhumibol Adulyadej ©AFP
Quelles vont être les conséquences de ce coup d’État ?

Maintenant, on va pousser le sénat à nommer le gouvernement par intérim, et la commission électorale et la Cour constitutionnelle à établir la 20e Constitution du pays pour organiser ensuite les prochaines élections dans 6 mois à un an.

L’armée joue par défaut le rôle que jouait  le roi Bhumibol Adulyadej dans les années 1970 et dans les années 90. C’est-à-dire le père du pays, l’arbitre neutre qui intervient pour régler les querelles. Mais le roi n’est plus en mesure de le faire. A 86 ans, il est souffrant. Ce coup d’État révèle aussi, sans doute, les inquiétudes pour la santé du roi. Le prince héritier est très impopulaire est considéré comme proche de Thaksin (le Premier ministre déchu, nclr).

Ce n’est pas simplement une crise politique et sociale qui mine la Thaïlande, entre le Nord pauvre et le Sud riche, c’est une querelle entre les élites, attisée par le climat de fin de règne.

©AFP
©AFP
Farouche adversaire de l’ancien Premier Ministre Thaksin Shinawatra, Prayuth Chan-O-Cha, 60 ans, est commandant en chef de l’Armée Royale Thaïlandaise depuis le 1er octobre 2010. Proche des cercles royalistes, dur, le général Prayut a été l'un des principaux partisans de la répression militaire sur les soulèvements des " chemises rouges ", ces partisans du gouvernement thaïlandais, en 2009 et 2010. Avant son annonce du coup d’État, le général Prayut Chan-O-Cha était aux responsabilités pour tenter de trouver une issue à la crise politique qui secoue le pays depuis six mois. Il avait réuni autour d’une table les principaux acteurs : le Premier ministre par intérim, le vice-président du Sénat et les chefs politiques des deux bords, gouvernementaux ("chemises rouges") et opposition ("chemises jaunes"). Il s’agit du 19ème coup d’État dans le pays depuis la fin de la monarchie absolue en 1932.

 

La crise politique en Thaïlande

Par Frantz Vaillant
A l’origine des manifestations antigouvernementales qui secouent le pays depuis sept mois un projet de loi d’amnistie voté le 1er novembre et rejeté quelques jours plus tard par le Sénat. Les manifestants redoutaient le retour de Thaksin Shinawatra, ex-Premier ministre en exil à DubaÏ et frère de l’ancienne cheffe du gouvernement déchue en mai. Selon ses détracteurs, il est accusé d’avoir instauré un système de corruption généralisé ou “système Thaksin”. Dans le Bangkok Post, une politologue résumait ainsi la situation : "le conflit actuel oppose un nouveau type de réseau royaliste aux groupes capitalistes menés par Thaksin".