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Ukraine : "Il y a une nouvelle offensive d'Emmanuel Macron sur le front diplomatique pour éviter le pire"

Un employé municipal se prépare à mettre un drapeau de la République du Donetsk sur un bâtiment officiel, dans cette région de l'est de l'Ukraine, contrôlée par des rebelles pro-russes, ce lundi 21 février 2021.<br />
 
Un employé municipal se prépare à mettre un drapeau de la République du Donetsk sur un bâtiment officiel, dans cette région de l'est de l'Ukraine, contrôlée par des rebelles pro-russes, ce lundi 21 février 2021.
 
(AP Photo/Alexei Alexandrov)

La France a-t-elle retrouvé une place de premier ordre sur le plan diplomatique ? Emmanuel Macron a pris le dossier Ukraine en main.  Joe Biden et Vladimir Poutine ont accepté ce nouvel interlocuteur dans leurs discussions, jusque là bilatérales. Dernière chance ou coup de poker diplomatique pour expliquer cette activité  diplomatique d'Emmanuel Macron ? Éléments de réponses avec Pascale Joanin, directrice générale de la Fondation Robert Schuman.

TV5MONDE : Jusqu'à présent, les discussions étaient bilatérales entre la Russie et les Etats-Unis. Un nouveau médiateur est apparu sur la scène diplomatique avec cette intervention d'Emmanuel Macron. Comment l'expliquez-vous ?

Pascale Joanin, Directrice Générale de la Fondation Robert Schuman : Emmanuel Macron, en tant que chef de l'État français sait très bien quelle est la place de la France. Aujourd’hui, dans l’Union européenne, c'est le seul État membre qui est aussi membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. Pour les Russes, cela a un poids puisque la Russie et les États-Unis le sont également.

Vladimir Poutine aurait aimé voir cette crise réglée seulement par  la Russie et les États-Unis, essayant de rétablir un duopole russo-américain comme au meilleur temps de la guerre froide. Et là, alors que les Américains, depuis plusieurs mandats présidentiels, avaient un tropisme qui penchait plutôt vers l’Asie, il les fait revenir en Europe en quelque sorte. 

Joe Biden ne peut pas jouer sa carte seul, sans ses alliés de l'Union européenne ou ses alliés de l'OTAN. Emmanuel Macron réunit toutes ces casquettes et essaie donc de jouer le rôle qui est le sien, pour essayer de trouver une solution à cette crise.

Ce n'est pas faire injure à nos amis slovènes qui nous ont précédés, mais pour Vladimir Poutine, le fait que la France préside l’UE, ce n'est pas la même chose que si c'était un petit État.
Pascale Joanin, Directrice Générale de la Fondation Robert Schuman

TV5MONDE : C’est la France ou la présidence de l’Union européenne qui tente de s’imposer diplomatiquement ? 

Pascale Joanin : Vous avez raison, il y a une dernière carte que je n'ai pas encore citée. En effet, la France préside pour ces six mois le Conseil de l'Union européenne. On se souvient qu'en 2008, il y avait déjà une présidence française du Conseil, au moment de l'intervention militaire de la Russie en Géorgie. La France et son président de l'époque, Nicolas Sarkozy, étaient intervenus pour tenter de trouver une solution. 
Ce n'est pas faire injure à nos amis slovènes qui nous ont précédés, mais pour Vladimir Poutine, le fait que la France préside l’UE, ce n'est pas la même chose que si c'était un petit État. Il y a aussi l'Allemagne qui joue un rôle.

TV5MONDE : Pourquoi la France prend-elle cette position de première ligne, par rapport à l’Allemagne, justement ?

Pascale Joanin : Pascale Joanin : Parce que la France a une défense que l'Allemagne n'a pas, tout simplement. S'il y avait une intervention militaire, quelles sont les possibilités qu'il y ait des soldats allemands qui soient mis en avant ? Aucune.
De plus, la France est aussi une puissance nucléaire. C’est la seule dans l’UE, puisque les Anglais sont partis. Cette puissance nucléaire, c'est une puissance de dissuasion. C'est une arme de dernier recours, mais nous l'avons, tout comme les Russes et les Américains.

On cherche par tous les moyens à trouver des solutions pour que Vladimir Poutine ne franchisse pas la ligne rouge et en même temps qu’il ne perde pas la face. Mais on lui rappelle qu'il y a quand même un certain nombre d'éléments à prendre en considération en face. Et le président russe voit très bien que l'interlocuteur français a plusieurs cartes à jouer. Notamment celle de s’imposer comme un interlocuteur de premier rang. La France ne veut pas laisser la Russie recréer ce binôme américain du temps de l’Union Soviétique, quand ils se partageaient l’Europe avec les États-Unis. Cette période là est révolue et la discussion doit se faire à plusieurs.

Vladimir Poutine aime le côté homme fort, président fort chez ses homologues. Emmanuel Macron utilise donc toutes ces cordes à son arc, et tente de profiter de l’un de ces avantages pour rappeler que si discussion il y a avec les Américains, il y aura aussi discussion avec les Européens. Et les Européens, ce sera au minimum les Français, puis les Allemands, voire toute l'UE, si c'est nécessaire.
 

Il y a une nouvelle offensive d'Emmanuel Macron sur le front diplomatique pour éviter le pire.
Pascale Joanin, directrice générale de la fondation Robert Schuman.

TV5MONDE : C’est donc une manière d’imposer la voix européenne sur la scène internationale, mais aussi la voix française. 

Pascale Joanin : Oui, puisqu'Emmanuel Macron est avant tout le président de la France. Mais il se trouve qu’il a beaucoup discuté avec les Allemands, avec les Polonais, de retour de son voyage en Russie quand il s’est arrêté à Berlin. La semaine dernière c’est le chancelier allemand qui est allé à son tour en Russie, en Ukraine avant d’en rediscuter avec Emmanuel Macron. Il y a des échanges avec les uns et les autres. Le président français a l'avantage de parler à la fois avec Poutine et Biden, et à la fois avec le président ukrainien, qu'il ne faut pas oublier.

L’Ukraine se trouve quand même sur le territoire européen d’un point de vue géographique, pas politique. L’Ukraine a des frontières non pas avec les États-Unis, mais avec quatre États membres de l'Union européenne (Pologne, Roumanie, Slovaquie et Hongrie). Donc, c'est un pays voisin de l'Union européenne avec lequel nous avons depuis longtemps des liens, des accords d'association. 

Il est normal que l’UE essaye de voir comment elle peut être associée aux discussions. Et c’est aujourd’hui la France qui aide à ce que la voix de la France mais aussi de l’UE y soient associées. La géopolitique a changé, l’Europe a changé aussi. Le fait que la France préside en ce moment l’une de ses institutions aide aussi à ce qu’elle soit plus respectée. Cette réalité ainsi que celle de la puissance nucléaire, de sa présence au Conseil de sécurité secouent quelque peu Vladimir Poutine. Il y a clairement une nouvelle offensive d'Emmanuel Macron sur le front diplomatique pour éviter le pire.


TV5MONDE : Peut-on d'ores et déjà affirmer que les efforts d’Emmanuel Macron sont payants ? 

Pascale Joanin : En tout cas, cela n’a pas été un échec. Vladimir Poutine n’a pas rejeté cette tentative française. Il y a un dialogue à avoir avec la Russie. Un dialogue qui n'est pas conditionné à la seule vue de Moscou, mais en vrai partenariat. Donc, on arrive à faire accepter le fait qu'il y ait cette rencontre. Cela ne changera pas tout, mais en tout cas, il faut déjà se féliciter qu’elle existe. Tous les acteurs de ce jeu peuvent maintenant saisir la balle au bond et voir ce qui va être dit et décidé lors de cette rencontre qui sera une étape de plus dans la tentative de discussion pour éviter l'engrenage fatal.

Vladimir Poutine a peut-être ainsi réveillé l'Europe.
Pascale Joanin

TV5MONDE : Cette étape est-elle celle de la dernière chance dans ce dossier, ou est-ce un coup de poker ? 

Pascale Joanin : On nous annonce tous les matins une invasion imminente. On a annoncé la date du 16 février, ensuite la fin des Jeux Olympiques donc on aurait pu penser que les Russes allaient attaquer ce matin.
Personne ne sait ce qui se passe exactement, donc toutes les cartes diplomatiques sont nécessaires pour essayer de trouver la solution. On les utilise au fur et à mesure. Cela fait partie des négociations. On ne met pas tous les atouts sur la table au même moment, ou alors c’est que vous voulez mettre l’autre dans l'impossibilité absolue de se relever.
Cette initiative n'est pas celle de la dernière chance, mais c'est encore une carte qui peut se jouer. Il faut saisir la chance qu'elle représente et ne pas gaspiller cette chance de parvenir à un résultat positif. 

 

TV5MONDE : Si jamais l’initiative française participe à régler ce dossier, qu’est ce que cela peut changer d’un point de vue diplomatique pour la France ? 

Pascale Joanin : Cela sera mis à son crédit, bien évidemment, mais peut-être pas à elle seule.  Mais oui, cela permettra d’affirmer que l’Europe et la France comptent.  Sans crier "cocorico", il ne faut pas non plus bouder son plaisir de dire que si ça parvenait à quelque chose, on n'y aurait pas été pour rien. Oui, la voix française compte encore dans ce monde où on a l'impression qu'il n'y avait que les Chinois et les Etats-Unis qui existaient. La Russie s'est rappelée à notre bon vieux souvenir. Vladimir Poutine a peut-être ainsi réveillé l'Europe.