Fil d'Ariane
Une projection publiée ce mardi 1er juillet par la revue scientifique The Lancet alerte sur une très forte augmentation du nombre de morts dans le monde d'ici à 2030 à cause de l'effondrement des financements dédiés à l'aide internationale accordés par l'administration américaine. Près d'un tiers de ces décès concernent des enfants de moins de cinq ans.
Des travailleurs chargent l'aide humanitaire de l'USAID dans un camion dans un entrepôt du Programme alimentaire mondial (PAM) dans le camp de réfugiés de Kakuma, Turkana, Kenya, le mardi 3 juin 2025.
Une décision de l'administration américaine aux "conséquences comparables à celles d'une pandémie mondiale ou d'un conflit armé majeur". L'effondrement des financements américains dédiés à l'aide internationale pourrait entraîner plus de 14 millions de morts supplémentaires d'ici 2030, dont 4,5 millions d'enfants, selon une projection publiée ce mardi dans la revue scientifique The Lancet.
Donald Trump a engagé en janvier une réduction drastique de l'aide humanitaire, supprimant 83% des financements de programmes à l'étranger de l'agence de développement USAID. Les pays à revenu faible et intermédiaire, en particulier les pays africains, sont les principales victimes de cette décision.
Les États-Unis étaient jusque-là de très loin le principal pays donateur pour de nombreuses agences et organisations humanitaires, qui se sont retrouvées avec un gros trou dans leur budget - d'autant que d'autres capitales, comme Paris, Berlin et Londres, ont également revu leurs aides à la baisse.
Cette situation a déjà contraint l'Unicef à licencier un millier d'enseignants dans des camps de réfugiés Rohingyas au Bangladesh. En République démocratique du Congo, l'ONU a réduit de moitié ses ambitions humanitaires. Et en Afrique australe, les progrès de la lutte contre le sida sont menacés.
La situation des pays en voie de développement est d'autant plus délicate que le niveau de dette publique s'est envolé depuis la crise du Covid-19, obligeant ces États à consacrer davantage de ressources au remboursement de leurs emprunts qu'à la santé ou à l'éducation.
"Elles risquent d'interrompre brutalement, voire d'inverser, deux décennies de progrès pour la santé des populations vulnérables".
Davide Rasella, co-auteur de l'étude
"Pour de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire, le choc qui en résulterait serait d'une ampleur comparable à celle d'une pandémie mondiale ou d'un conflit armé majeur", ajoute Davide Rasella, chercheur au Barcelona Institute for Global Health.
La publication de cette étude dans la prestigieuse revue médicale coïncide avec une conférence sur le financement du développement réunissant à Séville en Espagne des dirigeants du monde entier.
Les États-Unis, eux, n'enverront personne: l'administration américaine a en effet claqué la porte des discussions mi-juin en raison d'un désaccord sur le texte soumis aux Etats membres, accusé de créer "de nouvelles structures faisant doublon" et d'empiéter "sur la souveraineté" des pays.
Cette rencontre se tient dans un contexte particulièrement sombre pour l'aide au développement, touchée de plein fouet par la coupe massive du financement décidée par Donald Trump depuis son retour à la Maison blanche en janvier.
En examinant les données de 133 pays, l'équipe internationale de chercheurs a estimé rétrospectivement que les programmes financés par l'USAID ont permis d'éviter 91 millions de décès dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire entre 2001 et 2021.
Et, selon leur modélisation, la coupe de 83% du financement américain - chiffre annoncé par le gouvernement début 2025 - pourrait entraîner plus de 14 millions de décès supplémentaires d'ici à 2030, dont plus de 4,5 millions d'enfants de moins de cinq ans, soit environ 700.000 décès d'enfants supplémentaires par an.
Les programmes soutenus par l'USAID ont été liés à une diminution de 15% des décès, toutes causes confondues, ont calculé ces chercheurs. Pour les enfants de moins de cinq ans, la baisse des décès a été deux fois plus importante (32%).
L'impact le plus fort de cette aide a été observé pour des maladies évitables. La mortalité due au VIH/SIDA a ainsi été réduite de 74%, celle du paludisme de 53% et celle des maladies tropicales négligées de 51% dans les pays bénéficiaires du niveau d'aide le plus élevé par rapport à ceux avec peu ou pas de financement de l'USAID, selon l'étude.
L'un des coauteurs de l'étude, Francisco Saute, du Centre de recherche sanitaire de Manhica (Mozambique), a rapporté avoir vu sur le terrain comment l'USAID aidait à lutter contre le VIH, le paludisme ou la tuberculose.
"La suppression de ce financement ne met pas seulement des vies en danger, elle porte également atteinte à des infrastructures essentielles dont la construction a pris des décennies".
Francisco Saute, co-auteur de l'étude
Selon un outil de suivi récemment mis à jour par Brooke Nichols, modélisateur de maladies à l'Université de Boston, près de 108.000 adultes et plus de 224.000 enfants sont déjà décédés à la suite des réductions d'aide américaine. Cela représente 88 décès par heure, selon ce tableau de bord.
Et d'autres donneurs internationaux majeurs, principalement européens, comme l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou la France, ont annoncé des coupes dans leurs budgets d'aide étrangère dans le sillage des États-Unis.
Cela risque d'"entraîner encore plus de décès dans les années à venir", a prévenu Caterina Monti, autre co-autrice de l'étude et chercheuse à l'ISGlobal.
Une cinquantaine de chefs d'État et gouvernement - dont le président français Emmanuel Macron et la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen - participent à la conférence sur le financement du développement à Séville pendant quatre jours, aux côtés de 4.000 représentants de la société civile. "C'est le moment d'augmenter, pas de réduire" l'aide, a plaidé Davide Rasella.
Avant la coupe dans son financement, l'USAID représentait 0,3% des dépenses fédérales américaines. "Les citoyens américains versent environ 17 cents par jour à l'USAID, soit environ 64 dollars par an. Je pense que la plupart des gens soutiendraient le maintien du financement de l'USAID s'ils savaient combien une si petite contribution peut être efficace pour sauver des millions de vies", a déclaré James Macinko, co-auteur de l'étude et professeur à l'université de Californie (UCLA).