Fil d'Ariane
Images des Forces françaises libres rentrant dans Damas en juin 1941 après avoir chassé les soldats français favorables au régime de Vichy.
Janvier 1925. Voilà sept ans que la Première Guerre scelle la fin de trois empires, l’austro-hongrois, le russe, l’ottoman. Sur les ruines du premier se dresse l’Union soviétique, inaugurée par la révolution d’Octobre 1917, et ce en dépit d’une guerre civile entre Rouges et Blancs qui s’est soldée par 12 millions de morts et 5 millions d’orphelins. Une république turque, proclamée début 1924, tire un trait inexorable sur le second, lequel aura néanmoins tenu l’Europe en haleine quatre siècles durant.
Des partisans dans la Ghouta en 1926 lors de la grande révolte syrienne.
Deux autres empires, le britannique et le français, tirant leurs épingles du jeu ont tôt accaparé le Levant, l’ex-province ottomane du Cham ou Grande Syrie, désormais Proche et Moyen-Orient. De fait, alors que la Grande guerre bat son plein, Britanniques et Français ont scellé en catimini, début 1916, sous le regard des Russes et à la barbe des Ottomans, les fameux accords Sykes-Picot lequel divise et partage les dépouilles du Grand Turc, Londres jetant son dévolu sur l’Irak, la Jordanie et la Palestine, Paris s’attribuant la Syrie.
Portrait de Thomas Edward Lawrence dit Lawrence d'Arabie. Cet officier britannique a eu un rôle décisif dans la chute de l'empire ottoman lors de la première guerre mondiale.
En vertu de la doctrine édictée par le président américain Woodrow Wilson, formulée en 14 points, et selon laquelle tout peuple colonisé a vocation à s’affranchir et accéder à la souveraineté sous un seul et unique empire, celui du droit international, Londres a promis aux Arabes la création d’un Royaume arabe unitaire couvrant la quasi-totalité de l’ex-province ottomane de la Syrie. Moyennant cette promesse, le Chérif de La Mecque, ancêtre de la dynastie hachémite qui héritera finalement de la seule Jordanie, a consenti de rallier, sous la conduite de Lawrence dit d’Arabie, les troupes anglaises pour bouter les Turcs hors du Levant « arabe ».
Un an après, mi-octobre 1917, les Bolcheviques, nouveaux maitres de la Russie, révèlent et dénoncent les accords Sykes-Picot, preuve à leurs yeux de la nature « perfide » de l’impérialisme. Le mensonge éventé, il n’y a plus lieu dès lors pour les Français et les Britanniques de cacher leur jeu. Ainsi, un mois après Saint-Pétersbourg, Londres, fort de sa mainmise sur la Palestine, s’engage via la Déclaration Balfour, à y aménager « un foyer national juif en Palestine ». Balfour, du nom du ministre qui annonça par lettre ouverte à son compatriote, Lionel Walter Rothschild, figure du mouvement sioniste, la mise en place d'un futur Etat pour le peuple juif, au détriment d'un autre peuple, celui des Palestiniens. "En Palestine, une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d’une troisième", affirme alors le journaliste britannique juif Arthur Koestler, Hongrois d'origine.
Image d'un timbre de la Palestine mandataire (1920-1948) avec le Dôme du rocher, écrit en anglais, arabe et hébreu.
Il n’empêche, les troupes arabes qui s’installent à Damas, après en avoir chassé les Turcs, y proclament, le 7 mars 1920, le Royaume arabe promis par les mêmes britanniques ont déjà annoncé la création d’un « foyer juif » dans une Palestine déjà découpée de la Syrie et intronisent Fayçal, fils du Chérif de La Mecque. Le mois suivant, la France qui obtient mandat sur la Syrie entreprend aussitôt de saborder le nouvel Etat, y recourant au canon et même à l’aviation jusqu’à l’en anéantir en juillet.
Image d'un passeport de la Palestine mandataire (1920-1948) sous domination britannique.
A la fin de l’an 1920, les Français détachent de la défunte province du Cham, l’Etat du Grand Liban, selon un découpage territorial qui y impose une majorité de chrétiens maronites, en clair catholiques dont la France républicaine et laïque » se dit la « protectrices » depuis Saint-Louis.
Au bilan, début 1925, la France et la Grande Bretagne auront divisé en cinq sections territoriales, esquisses de futurs Etats encore sous mandat, britannique et français. Ce qui restait de la Syrie est subdivisé en quatre zones, vouées à leur tour à servir d’assises à autant d’Etats, ce qui en fait, au final, pas moins de huit pays souverains en projet. Ce contre quoi s’insurgent les Syriens. Ainsi, à peine arrivé à Damas, le 2 janvier, le général Maurice Sarrail, le nouveau haut-commissaire, est interpelé par les notables du Parti du Peuple, lequel réclame l’unité de la Syrie et la souveraineté.
Les Druzes du Golan, auxquels Paris a pourtant promis un Etat rien qu’à eux, se soulèvent, les armes à la main. Leur révolte embrase le pays. La répression est implacable. Le recours massif à l’artillerie, à la Légion et à l’aviation ne dissuade pas les nationalistes qui soulèvent la ville de Hama et propagent l’insurrection jusqu’à la Ghouta, la plaine fertile qui enserre Damas. Faute de mieux, Paris limoge Sarrail, mais le conflit reste grand ouvert.
Tout se précipite au cours de cet an annonciateur de tant de virages historiques, crises et de drames. A l’est, en Iran, le dernier roi Qadjar est déposé et cède la place au Shah Reza Pahlavi. Au nord, après avoir applaudi la répression de la révolte islamiste pro-khalifat conduite par par le Kurde Cheikh Saïd ; le tout nouveau parlement turc d’Ankara adopte une loi interdisant le port du turban, du fez et du foulard islamique. Au sud, à Djeddah, au Hedjaz, Médine succombe aux troupes d’Ibn Saoud, ce qui contraint le dernier hachémite, fils du Chérif de La Mecque de quitter l’Arabie qui deviendra bientôt « saoudite ».
A l’ouest, au Maroc, la milice indépendantiste du Rif envahit le Maroc sous protectorat français. Un certain Philippe Pétain vole au secours du sultan, plus tard suivi du futur maréchal Lyautey.
En Europe, les événements se bousculent, tant au plan des arts qu’au niveau de la grande politique. Entre l’illumination de la Tour Eiffel, l’exposition internationale des Arts décoratifs, le « procès du siècle » Scopes Monkey aux Etats-Unis autour de la théorie de l’évolution de Darwin, Adolf Hitler fait éditer le premier tome de son « Mein Kampf », l’Italien Benito Mussolini se proclame dictateur et refondateur de l’empire romain. A Paris, Georges Valois fonde la Faisceau, un parti fasciste, avec l’appui de dissidents de l’Action française.
Un siècle après, les peuples du Proche et Moyen-Orient se débattent toujours au sein d’Etats conçus offshore, véritables lits de Procuste, trop grands ou trop étriqués, sous les ombres des ex-puissances tutélaires.