
Fil d'Ariane
Entre 1994 et 1997, 74 cadavres sont découverts entre la Suisse, la France et le Canada. Tous ont fait partie, de leur vivant, de l’Ordre du temple solaire (OTS), une secte ésotérique. 30 ans plus tard, Fanny Moille et Gautier Renault ont retracé l’histoire de l’OTS à travers une série de podcasts intitulée « Soleil noir, autopsie d’une secte », réalisé par Didier Rossat. Pour cela, ils ont eu accès à de nombreux documents inédits qui témoignent de l’emprise qu’on exercés les gourous sur leurs adeptes pendant des années.
Le podcast "Soleil noir, autopsie d'une secte", de Fanny Moille et Gautier Renault et réalisé par Didier Rossat pour la Radio télévision suisse.
Il y a 30 ans, le monde entier découvrait l’Ordre du temple solaire (OTS). Le 5 octobre 1994, 23 corps étouffés avec des sacs plastiques ou criblés de balles sont retrouvés dans une ferme en feu à Cheiry, dans le comté de Fribourg, en Suisse. À peu près au même moment, 25 autres cadavres calcinés et empoisonnés sont retrouvés à Salvan, dans le canton du Valais.
Le lendemain, la police québécoise découvre 5 corps carbonisés à Morin Heights, près de Montréal. Au total, en deux ans et demi, 74 personnes seront retrouvées mortes entre la Suisse, le Canada et la France. Leur point commun à tous : avoir fait partie de l’Ordre du temple solaire, une secte ésotérique, dont les deux gourous leur promettaient un « transit » vers l’étoile Sirius afin d’échapper à l’apocalypse.
Partagée entre la Suisse, la Canada et la France, l’histoire de l’OTS est donc une histoire qui a touché une grande partie de la francophonie. Avec une doctrine particulièrement élaborée en français, les gourous avaient pour ambition de s’étendre le plus possible et de toucher un maximum de personnes.
« La particularité de cette secte, c’est qu’à la base, c’est une communauté New Age qui prône des valeurs d’agriculture biologique, et de se soigner autrement. Cette philosophie va être pervertie pendant une dizaine d’années par les gourous qui vont prôner une idéologie plus apocalyptique, en disant que ça va être la fin du monde et qu’ils veulent se sauver en transitant vers Sirius » précise Fanny Moille, journaliste à la RTS et co-autrice du podcast « Soleil noir, autopsie d’une secte ».
Toute une partie des adeptes, en particulier les enfants, ne l’ont pas choisi. Et là, il s’agit de meurtres en vase clos.
Fanny Moile
Si la première hypothèse des enquêteurs de l’époque est celle d’un suicide collectif, selon la journaliste suisse, la réalité est bien plus complexe. Bien que certains des membres de la secte ont en effet choisi de se donner la mort pour rejoindre l’étoile Sirius, « toute une partie des adeptes, en particulier les enfants, ne l’ont pas choisi. Et là, il s’agit de meurtres en vase clos ».
Dans le podcast, on peut entendre une partie des nombreux enregistrements auxquels Fanny Moille et Gautier Renault ont eu accès, parmi lesquels figurent des archives sonores internes à la secte, ou encore des enregistrement de police. En tout, ils ont écouté et visionné plus de 400 heures d’archives suisses et françaises.
« On a pu entendre les questions et les préoccupations des adeptes. Ce qui m’a touché, c’est de petit à petit, reconnaître leurs voix et comprendre que ces gens-là avaient des préoccupations normales et qu’ils étaient en recherche de réponses sur leurs vies, leurs bien-être, ou pour mieux éduquer leurs enfants » explique Gautier Renault.
« La place des enfants nous a aussi interpellés. Dans cette secte, les enfants ont un statut spécifique. On s’est beaucoup identifié à eux parce qu’on est de la même génération. Ceux qui ont survécu ont notre âge maintenant » ajoute Fanny Moille.
Si l’OTS a, comme le souligne la journaliste, « poussé tous les curseurs très loin, autant dans l’emprise que dans le passage à l’acte », 30 ans après les massacres, les dérives sectaires sont toujours d’actualité. En France, la Miviludes ( mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) est chargée de les observer et d’informer le public sur les éventuels risques que ces dernières peuvent représenter. L’organisme « a tiré la sonnette d’alarme l’année dernière, notamment à cause de ce qu’on appelle des gourous 2.0 qui prônent des médecines alternatives par exemple » rappelle Fanny Moille.
Aujourd’hui, les gens peuvent se faire happer en restant derrière leur écran, sur les réseaux sociaux par exemple.
Gautier Renault
Ce que regrette Gautier Renault, co-auteur du podcast « Soleil noir », c’est aussi que l’accès à ces dérives sectaires soit facilité par les réseaux sociaux. « Des personnes comme vous et moi ont besoin de faire partie d’une communauté. On est tous en recherche de réponses fondamentales sur la vie, donc on va à la recherche de réponses et de personnes qui nous donnent des réponses. Certaines sont mal intentionnées et vont vous proposer des réponses qui vont changer complètement votre identité et vous couper de votre réseau social habituel. Ça avait lieu à l’époque de l’OTS, et ça a lieu encore aujourd’hui. À l’époque, on se rendait dans des associations ou on lisait des livres pour avoir accès à ce contenu. Aujourd’hui, les gens peuvent se faire happer en restant derrière leur écran, sur les réseaux sociaux par exemple. »
« Contrairement à l’époque de l’OTS, les dérives sectaires ne font plus la une des médias, il y a 30 ans quand on a découvert les massacres de l’OTS, ça a été une déferlante médiatique, aujourd’hui ça passe un peu sous le radar médiatique » rappelle Fanny Moille.