60e anniversaire des accords d’Evian : la fin de la guerre d'Algérie

Alors qu’ils ont mis fin à la guerre d’Algérie, les accords d’Evian du 18 mars 1962 continuent de susciter polémiques et interrogations soixante ans après. Retour sur le long et douloureux cycle de négociations qui a précédé leur signature, mais aussi l’échec du pari de la réconciliation des communautés dans l’Algérie indépendante.
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Délégation FLN
La délégation du GPRA lors de la signature des accords d'Évian, le 18 mars 1962, avec de gauche à droite : Taïeb Boulahrouf, Saâd Dahlab, Mohamed Seddik Benyahia, Krim Belkacem, Benmostefa Benaouda, Redha Malek, Lakhdar Bentobal, M'Hamed Yazid et Seghir Mostefaï.
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Les accords d’Evian ont mis fin à la guerre d’Algérie débutée en novembre 1954, et que les autorités françaises désignent alors sous un euphémisme tragique : événements d’Algérie. Signés le 18 mars 1962, à Evian-les-Bains, dans le centre-est de la France, ces accords qui forment un document de 93 pages, sont précédés par une longue période de négociations. Pour les indépendantistes algériens du FLN, Front de libération nationale, l’ouverture des négociations est conditionnée à la reconnaissance de la souveraineté algérienne.

Les pré-négociations officieuses

D’ailleurs, un extrait de la proclamation du FLN datée du 31 octobre 1954 poursuit « l’indépendance nationale par la restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social, dans le cadre des principes islamiques et dans le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de race et de confessions. » Dès les premiers contacts avec les émissaires français, en 1956, le FLN se fait beaucoup plus précis : il n’envisage pas de négociations avant la reconnaissance préalable de l’indépendance, tout comme le cessez-le-feu n’est pas possible avant la conclusion d’accords politiques.

(Re)voir : Les accords d'Evian ont 60 ans

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L'éditorialiste de TV5MONDE Slimane Zeghidour revient sur les 60 ans des accords d'Evian

La plate-forme de la Soummam, issue du congrès du FLN qui s’est tenu dans la clandestinité du 13 au 20 août 1956, à Ifri, dans le nord-est de l’Algérie, définit les buts de guerre, les conditions du cessez-le-feu et les points de discussion nécessaires à un accord. Le FLN exige notamment la reconnaissance de la nation algérienne une et indivisible, l’indépendance de la nation algérienne et sa souveraineté dans tous les domaines, y compris la Défense nationale et les Affaires étrangères. Et pour finir, le FLN se présente comme le seul interlocuteur dans les négociations, le seul garant responsable du cessez-le-feu.

Quant aux questions en discussion, elles concernent la minorité française, les limites du territoire algérien, la dévolution des biens de l’Etat et des citoyens français, le transfert des compétences, et les formes d’assistance et de coopération françaises dans les domaines économique, monétaire, social, culturel… Autour de ce conflit meurtrier, de nombreuses négociations sont organisées autant sous la quatrième que la cinquième République. Des pré-négociations officieuses se tiennent ainsi entre avril et septembre 1956, à l’initiative des émissaires du gouvernement socialiste Guy Mollet, alors que sur le terrain les combats s’intensifient.

« L’Algérie sera indépendante », affirme le général de Gaulle

Jusqu’en septembre 1959, la politique de paix que propose la France tourne autour d’un triptyque : cessez-le-feu, élections et négociations. Mais le 16 septembre 1959, le général de Gaulle, revenu au pouvoir après la crise de mai 1958, annonce que la France reconnaît à l’Algérie le droit à l’autodétermination. Cependant, dès 1944, de Gaulle pense qu’il est trop tard pour une politique d’assimilation et de francisation. Et à partir de 1955, quelques mois donc après le début de la guerre d’Algérie, il aurait confié à des proches : « L’Algérie sera indépendante ». A l’époque, pour le général de Gaulle, le seul moyen d’éviter la sécession totale de l’Algérie, c’est « de l’associer dans une communauté plus large que la France. »

De Gaulle a Alger
Visite du général De Gaulle en Algérie !
© Capture d'écran

Une vision à laquelle s’oppose une partie des militaires de l’armée française en Algérie. Ce qui débouche sur la tentative de coup d’Etat du 21 avril 1961, fomentée en particulier par quatre généraux d’armée : Raoul Salan, Maurice Challe, Edmond Jouhaud et André Zeller. Après ce qu’on appelle donc le putsch d’Alger, une première conférence d’Evian se tient du 20 mai au 31 juin 1961. Malgré un accord de principe sur la création d’un exécutif provisoire, cette conférence échoue sur plusieurs points :

  • La trêve unilatérale d’un mois décrété par la France et considérée comme un piège par les Algériens qui reprennent la guerre
  • La reconnaissance du Sahara comme partie intégrante de l’Algérie
  • Le refus d’un statut particulier aux Européens. 

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Le 9 décembre 1961, se tient la première entrevue secrète des Rousses, en territoire français, entre deux personnalités ayant rang de ministre : Louis Joxe et Saâd Dahlab. Les négociations décisives des Rousses se tiennent cependant du 11 au 18 février 1962, entre une délégation algérienne forte de onze membres dont quatre ministres du GPRA, le gouvernement provisoire de la République algérienne, et une délégation française de sept personnes, donc trois ministres – Louis Joxe, Robert Buron et Jean de Broglie). Les émissaires des deux camps parviennent à un accord de principe. Cependant, les Algériens souhaitent soumettre l’ensemble des textes au CNRA, le Conseil national de la Révolution algérienne.

La signature des accords d'Evian

Après les accords préliminaires des Rousses, les accords d’Evian sont signés le 18 mars 1962. Entretemps, le projet d’accord est ratifié à Tripoli par le CNRA, mais aussi par le gouvernement français qui consulte également d’autres forces politiques algériennes, sans toutefois tenir compte de leurs suggestions. Les accords d’Evian se présentent comme un ensemble de textes disparates. Les deux parties signent non seulement un accord de cessez-le-feu, mais aussi 93 pages de clauses politiques et militaires. Les conditions du cessez-le-feu sont applicables dès le 19 mars à partir de 12h. Ces accords d’Evian sont le seul texte sur lequel un Algérien, Belqacem Krim, appose sa signature au nom de la délégation algérienne, mais pas du GPRA que ne reconnaît pas la France à ce moment-là. Depuis sa création en 1958, le GPRA s’efforce en effet d’être reconnu par la France.

cessez le feu

A l’époque, les autorités françaises parlent de « déclarations gouvernementales », plutôt que d'accords ou de « conclusions des pourparlers d’Evian » par exemple. Rédigée par Bernard Tricot et Redha Malek, la Déclaration générale en cinq chapitres, engage le gouvernement français et le FLN, car il y est écrit que c’est d’un commun accord qu’ont été décidées les conditions de l’autodétermination, l’organisation des pouvoirs publics pendant la période transitoire, et la définition de l’indépendance de l’Algérie en coopération avec la France. La présentation française de cette déclaration générale se réfère au référendum du 8 janvier 1961 sur l’autodétermination de l’Algérie ; elle parle également d’une solution déterminée d’un commun accord entre les autorités françaises et le FLN. Les Algériens quant à eux évoquent alors des pourparlers entre le GPRA et le gouvernement français.

Referendum

De son côté, le peuple algérien doit aussi prendre à son compte ces accords d’Evian à travers le référendum d’autodétermination du 1er juillet 1962. La question posée est dans ce cadre est alors la suivante : « Voulez-vous que l’Algérie devienne un Etat indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par la Déclaration du 19 mars 1962 ? » 

Le contenu des accords

El Moujahid

En France, ces déclarations gouvernementales font l’objet d’une publication dans le Journal officiel. Elles sont ensuite partiellement mises en vigueur par six décrets règlementaires datés des 19, 20 et 22 mars. Avec ces accords, Paris maintient sa souveraineté sur l’Algérie jusqu’à la proclamation des résultats du référendum d’autodétermination. Il est prévu cependant un partage de l’administration et du maintien de l’ordre entre le haut-commissaire de France et un exécutif provisoire franco-algérien auquel les pouvoirs seraient ensuite transmis.

En dehors du cessez-le-feu, les accords d’Evian ne relèvent pas vraiment du droit international. Ils n’en décident pas moins, au nom du principe d’autodétermination, des solutions prédéterminées d’un commun accord. L’Etat algérien exerce une souveraineté pleine et entière, mais un certain nombre de conditions lui sont imposées :

  • Il souscrira à la Déclaration universelle des droits de l’homme
  • Il fondera ses institutions sur des principes démocratiques et sur l’égalité des droits politiques entre tous ses citoyens
  • Il respectera toutes les libertés et accordera aux Français toute une série de garanties (une juste et authentique représentation dans les assemblées algériennes, des garanties judiciaires, comme l’assurance d’un jury mixte ou la présence d’un juge non-musulman
  • L’existence d’une cour des garanties et d’une association de sauvegarde.

En marge de tout ceci, il est précisé que les Français disposeraient pendant trois ans des droits civiques algériens. Au terme de cette période, ils pourraient soit opter pour la seule citoyenneté algérienne, soit demeurer seulement citoyens français, comme étrangers résidant en Algérie. Les garanties concernent aussi les intérêts économiques, stratégiques et culturels de la France. En matière culturelle, la France poursuit son œuvre. Dans les écoles et lycées algériens par exemple, elle doit fournir les enseignants dont le pays a besoin. Par ailleurs, elle doit accueillir les étudiants et stagiaires algériens dans ses établissements.

Echec du pari de la réconciliation des communautés

En France, les accords d’Evian suscitent chez certains une franche hostilité. L’économiste Maurice Allais par exemple, parle d’une « honteuse capitulation ». Par ailleurs, ces accords continuent d’ignorer le GPRA, d’autant que les autorités françaises ne veulent connaître que le FLN. Après le cessez-le-feu du 19 mars et le référendum du 8 avril 1962 en France sur les accords d'Evian, l’exécutif provisoire franco-algérien est installé. Au même moment, en Algérie, Benyoucef Ben Khedda, le président du GPRA célèbre dans un discours la grande victoire du peuple algérien. Ce dernier ratifie à son tour les accords d’Evian par référendum le 1er juillet 1962.

Population algerienne
La population algérienne dans les rues du pays durant la période coloniale. 
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Le 3 juillet 1962, la France reconnaît enfin l’indépendance de l’Algérie. Dans la foulée, le haut-commissaire transmet ses pouvoirs au président de l’exécutif provisoire Abderrahmane Farès. Celui-ci organise ensuite les élections d’une Assemblée nationale constituante le 20 septembre 1962. Cinq jours plus tard, cette constituante reçoit les pouvoirs de l’exécutif provisoire et du GPRA, puis elle investit un gouvernement présidé par Ahmed Ben Bella. Malheureusement, la déception arrive très vite après la signature des accords d’Evian. Le cessez-le-feu est en effet immédiatement violé par l’OAS, Organisation de l’armée secrète, opposée à l’indépendance de l’Algérie après le putsch d’Alger, et qui déclenche des opérations meurtrières de chasse à l’Arabe, à travers des bombardements des quartiers arabes, des attentats aveugles à la voiture piégée.

Armee française
Les militaires français en Algérie durant la période coloniale.
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Outre un grand nombre de victimes algériennes, ces opérations de l’OAS provoquent des affrontements très meurtriers entre communautés. Craignant pour leurs vies, des centaines de milliers d’Européens décident de quitter leur pays natal, l’Algérie. Les représailles de l’ALN, l’Armée de libération nationale, bras armé du FLN, sont en effet féroces et d’une ampleur inédite. Plutôt sélectifs à l’origine, les enlèvements tournent à la chasse à l’Européen. Entre mars et décembre 1962, plus de trois milles Européens sont portés disparus en Algérie, parmi lesquels 1245 auraient ensuite été retrouvés vivants.  

Dans le même ordre d’idée, les garanties aux biens fondées sur le droit français (droit de propriété, liberté d’emporter ses biens ou de les vendre…) sont très vite bafouées. L’exode des populations européennes s’accompagne de pillages et de spoliations. En plus de limiter les transferts de biens meubles et de fonds vers l’étranger, le gouvernement algérien met en application sa politique de « récupération des richesses nationales ». C’est ainsi que les « biens vacants » et les terres des colons restés en Algérie sont nationalisés sans indemnités. Seules les sociétés minières sont préservées de ce processus, en particulier les sociétés pétrolières situées dans le Sahara, et qui seront nationalisées en 1971. Dans l’ensemble, les intérêts stratégiques français sont préservés.