Le journaliste Jean-Marc Surcin vient de réaliser un documentaire "
Ils ont débarqué en Normandie" sur les
derniers survivants du débarquement du 6 juin 1944. Polonais, Anglais, Américains, Canadiens et Français témoignent. Ce documentaire est diffusé sur TV5MONDE jeudi 5 juin et samedi 7 juin. Qu’est-ce que tous ces témoins que vous avez rencontrés pour votre film ont en commun ? Ils avaient tous cette espèce d’insouciance et d’enthousiasme liés à leur jeunesse. Tous ceux que j’ai rencontrés avaient à l’époque entre 17 et 24 ans. Mais en même temps, ils avaient conscience qu’il fallait combattre pour libérer l’Europe et le monde du nazisme. Ils étaient surtout insouciants parce qu’ils ne savaient pas du tout ce qui les attendait. Aujourd’hui, si on nous disait qu’il y avait un débarquement - même sans l’avoir vécu - on peut s’imaginer ce que c’est. Mais eux, il n’y en avait jamais vu. A part ceux qui avaient débarqué en Afrique et en Sicile, tous les autres ne savaient pas à quoi s’attendre. Ils avaient aussi en commun cette peur de l’inconnu, de se faire tuer. Le Québécois, le Canadien, le Français qui est devenu GI avec les troupes américaines, le Polonais, l’Anglais, tous voulaient absolument s’engager. Mis à part l’Allemand, enrôlé à 16 ans, il n’a pas eu le choix. C’était soit le front russe soit devenir parachutiste. Alors il a choisi d’être parachutiste.
Quel souvenir gardent-ils de cet événement ? Certains gardent des anecdotes drôles du débarquement en gommant tout ce qui était moche. D’autres comme le Québécois (Gilbert Boulanger, décédé depuis la fin du tournage ainsi que deux autres témoins), étaient dans des avions bombardiers. Il garde sur la conscience qu’en libérant la France ils ont aussi tué des tas d’innocents. Il disait : « j’ai participé à tuer des gens dans leur sommeil, des personnes âgées, des femmes, des enfants, … au motif qu’on venait les libérer ». Pour d’autres, comme celui qui était avec l’armée polonaise, il garde davantage le souvenir de ceux qui sont tombés. Pour lui, on se doit de faire des commémorations, de se souvenir de ça parce que tous ces gars ont donné leur vie pour notre liberté. La plupart des témoins avaient laissé cette histoire derrière eux. Quand la retraite est arrivée et qu’ils ont avancé en âge, leurs enfants se sont penchés sur cette histoire et ils ont commencé à s’y intéresser de nouveau, à revenir en Normandie avec leur famille.
Craignent-ils que l’on oubli ce qu’il s’est passé ? En Normandie, ça ne peut pas être le cas car chaque plage a son musée, il y a les cimetières américain, allemand, anglais, … Ce sont des endroits très visités tout au long de l’année. Beaucoup de scolaires travaillent sur cette thématique, qu’ils soient d’ailleurs allemands, anglais ou français. Donc il n’y a aucune chance que cela soit oublié. En revanche, ce qui est important pour eux c’est d’essayer de témoigner tant qu’ils le peuvent encore et qu’ils sont encore en vie. Car bientôt, il n’y aura plus de témoins vivants de cette période pour incarner cette Histoire. Je pense aussi qu’arriver à un certain âge, il est assez agréable pour eux d’être en quelque sorte traités comme des « héros » même s’ils s’en défendent tous en disant que les vrais héros ce sont ceux qui sont morts et qui sont enterrés là-bas.
Qu’avez-vous appris au cours de vos entretiens que vous ne connaissiez pas sur le débarquement ? Je ne savais pas qu’il y avait des
Polonais impliqués dans le débarquement. Comme pour De Gaulle, ils ont un général qui est parti très vite de Pologne et qui est allé en Londres, le général Masczek. Il a demandé à tous les jeunes qui étaient hors de Pologne de ne pas s’engager avec les Allemands. Ils ont formé un gros régiment lors du
débarquement. Je ne savais pas non plus que des Français avaient intégré les rangs des GI américains. Par contre, ce que j’ai entendu a confirmé le gigantisme de cette entreprise (lire en encadré). Les Alliés ont noyé les Allemands sous une profusion de matériels de toutes sortes. Les soldats ne manquaient de rien. Ils avaient même fait passer un pipeline (opération
PLUTO)entre l’Angleterre et Port-en-Bessin pour alimenter les Alliés en essence car les chars, par exemple, consommaient beaucoup. Il y avait une logistique incroyable mise en œuvre.
Interview Gilles Perrault, écrivain et journaliste auteur du Dictionnaire amoureux de la résistance (encadré)
Propos recueillis par Léa BaronQuel a été le rôle de la résistance française avant et pendant le débarquement ? Avant le débarquement, la résistance a joué un rôle essentiel en fournissant un flot de renseignements très précis aux Alliés. Quand ces derniers ont débarqués, ils connaissaient dans le détail le dispositif allemand. Et d’ailleurs, les chefs militaires Alliés l’ont tous reconnu dans leurs comptes rendus et leurs mémoires. Eisenhower a beaucoup insisté là-dessus dans ses mémoires
Croisade en Europe. Mémoires sur la deuxième guerre mondiale publiées en 1949 sur l’excellence des renseignements fournis par la résistance. Quand vous débarquez, c’est évidemment d’un intérêt vital de savoir ce à quoi vous allez vous heurter, quels sont les système de défense de l’ennemi, quelles sont les forces dont ils disposent, etc. On peut dire que dans l’histoire militaire, peu de troupes ont débarqué avec autant de renseignements que ceux dont disposaient les armées alliées grâce à la résistance française. Les Alliés savaient qu’ils réussiraient à débarquer. Le problème était celui des renforts qui arrivaient par la mer et mettaient beaucoup plus de temps que les renforts qui arrivaient par la terre. Les Allemands bénéficiant d’un excellent réseau routier français pouvaient amener des renforts et notamment des divisions blindées beaucoup plus rapidement que les Alliés. Donc la résistance, sans exagérer leur rôle, ont permis de retarder l’arrivée des divisions de renfort allemandes. Ils ont donc aidé les armées alliées débarquées à surmonter ce handicap qui pouvait être très grave.
L’action de ces résistants n’est-elle pas un peu oubliée dans l’histoire du débarquement ? On n’en parle moins qu’on le devrait car les renseignements restent un travail complexe, très discret et qui n’est pas spectaculaire alors que le débarquement lui-même l’est. Les 177 Français qui ont débarqué à Ouistreham, sont reconnus, largement célébrés. Alors que les fourmis du renseignement le sont moins, tous ces gens qui fournissaient des renseignements minuscules mais qui mis bout à bout dressaient le tableau complet de la Wehrmacht en France. Ils ont joué un rôle capital. Est ce que la mémoire du débarquement se perd un peu ? Il faut rappeler cet épisode autant que possible. C’est le rôle des historiens et des médias. Mais il est vrai qu’on s’attache plus au côté spectaculaire, strictement militaire et le reste passe un peu à l’as.
Le débarquement en chiffres
AFPLe Débarquement allié du 6 juin 1944, au nom de code "Neptune", a été le plus grand débarquement de l'histoire en termes de navires engagés. A la fin de la journée, plus de 200 000 hommes vont se trouver face à face. ALLIES - Effectifs: 156 177 hommes (5 divisions d'infanterie et 3 divisions aéroportées) sont débarqués le jour J, dont 10 470 seront tués, blessés ou disparus, selon les chiffres du Mémorial de Caen. Par mer, environ 133 000 hommes : soit 58 000 Américains sur les plages Utah et Omaha, 54 000 Britanniques sur Gold et Sword et 21 000 Canadiens sur Juno; 177 Français débarquent aussi sur Sword. Par air, 23 000 hommes : 13 000 parachutistes américains sont largués sur Utah et 10 000 Britanniques entre l'Orne et la Dives. - Aviation alliée : pendant la seule journée du 6 juin, 11 500 appareils (dont 3 500 planeurs de transport, 5 000 chasseurs et 3 000 bombardiers) survolent les plages normandes et déversent 11 912 tonnes de bombes sur les défenses côtières allemandes. Les pertes seront faibles : 127 avions perdus et 63 endommagés. - Force Navale alliée : L'opération "Neptune" engage 6 939 navires et la force de débarquement proprement dite comprend 4 126 navires et barges constitués en 47 convois. Une partie des transports (les LCA, Landing craft assault) accompliront la traversée à bord de bateaux plus puissants pour n'être mis à la mer qu'au large de l'une de leurs 5 plages de débarquement. Les autres types de péniches traverseront la Manche par leurs propres moyens, notamment: les LCI (Landing craft infantry), petits transports de troupes, les LCT (Landing craft tanks) qui transportent des chars et des véhicules, les LCVP (Landing craft vehicle personal), les LST (Landing ship tanks), ainsi que les fameux "ducks" (canards), engins amphibies propulsés par une hélice. 20 000 véhicules et un millier de chars ont ainsi été transportés. La flotte logistique : 736 navires auxiliaires et 864 navires marchands pour le transport de vivres, munitions et les hôpitaux flottants. Parmi les navires marchands, 54 blockships seront coulés pour former des rades artificielles. L'escadron de combat : 137 navires de guerre dont 7 cuirassés, une vingtaine de croiseurs, 221 destroyers, frégates, corvettes, 495 vedettes, 58 chasseurs de sous-marins, 287 dragueurs de mines, 4 poseurs de mines, 2 sous-marins. FORCES ALLEMANDES - Effectifs : un peu moins de 150 000 hommes de la 7e armée sont stationnés en Normandie et environ 50 000 dans la zone de débarquement. A proximité des plages, une seule division blindée, la 21e, au sud-est de Caen, et 6 divisions d'infanterie. Deux autres divisions blindées, la 12e SS (Hitler-Jugend) et la division Panzer-Lehr, sont respectivement près d'Evreux et vers Alençon-Le Mans. Trois autres divisions - 1ère SS, 2e et 16e - se tiennent au nord de la Seine, aux environs de Mons, Péronne et Senlis. - Aviation allemande: Moins de 500 appareils, dont une bonne partie vient d'être envoyée sur le front est. Restent quelques dizaines de bombardiers et chasseurs. - Marine allemande: 30 vedettes, 4 destroyers, 9 torpilleurs, 35 sous-marins.