Figurant parmi les « procès » retentissants de l'occupation, celui du groupe désigné s'ouvre le 15 février 1944 dans un grand hôtel parisien devant une cour militaire allemande.
En guise de public, une presse collaborationniste excitée qui voit en Manouchian, «
ce garçon basané au regard fuyant », «
l'homme aux 150 assassinats ». Ses "complices" sont présentés stupides ou monstrueux, animés de motifs crapuleux.
La sentence sans surprise - la mort pour tous, en fait déjà décidée - est « prononcée » le 21 février et exécutée le jour même.
Plus que le simulacre de justice ou le châtiment sinistrement banal – une quarantaine d'autres combattants des
FTP-MOI seront fusillés plus discrètement dans les semaines suivantes - , c'est pourtant une affiche qui se trouve au cœur de la mise en scène. Imprimée, selon des estimations, à près de 15 000 exemplaires – et aussi reproduite dans des tracts – elle sera largement diffusée à Paris et dans plusieurs grandes villes.
«
Des libérateurs ? », interroge t-elle avec la présentation, sur les vingt-trois condamnés, de dix visages choisis notamment pour la consonance rugueuse du nom qui leur est associé. Réponse en forme de slogan : «
la libération par l'armée du crime ! ». La teinte sanglante de l'affiche doit accroître l'effroi. Ses diagonales parodient le V de la victoire.
S'il est aventureux de mesurer
a posteriori son impact auprès de la masse de la population française en un temps où xénophobie et racisme se portaient encore mieux qu'aujourd'hui, il est clair que la propagande n'atteint pas le but souhaité et s'avère même contre-productive. Là où ils devaient répugner, les visages des résistants inspirent souvent compassion et admiration.
Après la nouvelle de leur mise à mort, des inscription griffonnées, voire des fleurs , viennent un peu partout rendre hommage aux suppliciés : «
morts pour la France », «
des martyrs »...
Reconnaissance
L'horreur née de l'affiche n'est pas celle qu'avaient prévue les nazis et leurs collaborateurs, ni d'avantage sa postérité. Si le martyr des vingt-trois combattants s'efface un peu dans le tumulte de la Libération et de l'immédiat après-guerre – où s'édifie la légende d'une résistance d'abord voulue tricolore -, il ne sera pas oublié.
La médaille de la Résistance leur est décernée en 1947. Aragon, surtout, leur consacre un poème en 1955 : «
l'Affiche rouge », composé à partir de la lettre de Manouchian à sa «
petite orpheline », sa femme Mélinée, au matin du dernier jour. Mis en musique et interprété par Léo Ferré, il sera repris par d'innombrables artistes, perpétuant durablement le souvenir des vingt-trois mais aussi des autres, plus anonymes encore, dont le destin continue de résonner.
« Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s´abattant »