Fil d'Ariane
"Notre monde est abîmé par la guerre, frappé par le chaos climatique, meurtri par la haine, couvert de honte par la pauvreté et les inégalités". Le tableau apocalyptique est signé du secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres à quelques jours de l'Assemblée générale de l'organisation. Sombre message adressé aux 150 dirigeants de la planète attendus à New York à partir de ce 19 septembre.
Au centre de ce tableau, la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine en février dernier. Les principaux protagonistes du conflit ne seront pas présents au siège des Nations unies. Vladimir Poutine, dont le pays est pourtant l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, la plus importante instance onusienne, n’a pas fait le déplacement. Quant à Volodymyr Zelensky, il s’exprimera dans une vidéo enregistrée en vertu d'une dérogation singulière.
Cette autorisation exceptionnelle accordée au président ukrainien a logiquement provoqué la colère de Moscou qui y voit la “politisation d’une question procédurale”, mais elle pourrait, et c’est plus insidieux, agacer aussi une importante cohorte de pays lassés de voir le monde occidental ne s’intéresser qu’à la guerre en Ukraine, aux dépens d’autres crises tombées aux oubliettes. “Le monde continue de tourner, a d’ailleurs souligné l’ambassadrice américaine à l’ONU ajoutant que, nous ne pouvons ignorer ce qui se passe dans le reste du monde”.
Avis partagé par la France. En effet, selon l’AFP, le président Emmanuel Macron “aura à cœur de dialoguer avec les partenaires du Sud pour ne pas laisser s’installer l’idée de l’Ouest contre le reste du monde”. Crise alimentaire, urgence climatique... La guerre en Ukraine ne devrait donc pas s’accaparer tous les débats. L’éducation était par exemple au programme ce lundi 19 septembre. Un sommet voulu par le patron de l’ONU mais largement éclipsé par les funérailles d’Elizabeth II à Londres.
L’Assemblée générale des Nations unies sera donc l’occasion de constater que la guerre en Europe n’a pas polarisé le monde autour de deux blocs, "les pro et anti-Poutine" pour schématiser, mais que le conflit suscite aussi une importante vague de neutralité. Le quotidien français Le Monde détaille ainsi ce bloc de “non-alignés” pour reprendre un vocabulaire de l’époque de la Guerre froide : “Un groupe hétérogène, représenté par l’Inde, des pays asiatiques, africains, comme l’Afrique du Sud, du Moyen-Orient et de l’Amérique du Sud, qui ne veulent pas choisir leur camp, et s’inquiètent des conséquences diplomatiques, alimentaires et énergétiques de cette guerre sur le continent européen”.
Un bloc de neutralité au sein duquel figurent de nombreux pays en développement horripilés notamment par l’inaction climatique des pays les plus riches, principaux responsables du réchauffement de la planète.
Impatience exprimée, par exemple, par l'ambassadeur d'Antigua et Barbuda Walton Webson, président de l'Alliance des petits Etats insulaires (AOSIS) qui espère des "engagements" en terme de financement climatique et considère que "nous n'avons plus de temps à gaspiller".
Un thème devrait une nouvelle fois s'inviter à l'occasion de cette Assemblée générale : la réforme de l'ONU et en particulier de son Conseil de sécurité. Depuis la naissance des Nations unies il y a près de 80 ans, en octobre 1945, le schéma est immuable. Cinq pays sont membres permanents du Conseil de sécurité, véritable gouvernement de l'ordre mondiale. Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie et Chine font office de tête pensante, secondés par dix membres non-permanents. Comme si, depuis la sortie de la guerre, le monde n'avait pas changé et devait être régi par les Etats ayant défait l'Allemagne nazie.
Une formule caduque (elle exclut l'Allemagne ou le Japon, ne tient pas compte de l'existence de l'Union européenne, n'inclut pas un continent entier, l'Afrique...) et qui conduit à d'innombrables blocages compte tenu d'un puissant droit de veto dont disposent les cinq membres permanents.
Tout membre permanent qui use de son droit de veto pour défendre ses propres intérêts perd toute autorité morale.
Linda Thomas-Greenfield, ambassadrice américaine à l'ONU.
Nouveauté toutefois cette année, et la guerre en Ukraine n'y est pas étrangère : les Etats-Unis ont, à leur tour, appelé à une réforme. Exaspéré par l'utilisation russe du droit de veto après le déclenchement de la guerre, Washington (qui en a souvent fait usage également) appelle à présent à un gros dépoussiérage. "Tout membre permanent qui use de son droit de veto pour défendre ses propres intérêts perd toute autorité morale et doit être tenu pour responsable", déclarait récemment la représentante américaine à l'ONU, évoquant un "statu quo intenable et dépassé". La sincérité américaine a d'ores et déjà été remise en cause par Moscou, Pékin mais aussi par l'Afrique du sud.
Un important appel au changement avait été lancé en 2005 pour les soixante ans de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Brésil, Allemagne, Inde et Japon avaient alors conjointement déposé leurs candidatures à un siège permanent. Dix sept ans plus tard, rien n'a bougé.
Pour aller plus loin : le site de l'Assemblée générale de l'ONU.