Le directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH) affirme avoir la confirmation que le chef du groupe Etat islamique serait mort. Daech n'a, pour l'instant, pas communiqué sur cette information. Abou Bakr al-Baghdadi est probablement l'homme le plus recherché de la planète.
"De hauts responsables de l'Etat islamique présents dans la province (syrienne) de Deir Ezzor ont confirmé à l'Observatoire syrien des droits de l'Homme la mort d'Abou Bakr al-Baghdadi, émir de l'EI", a annoncé mardi 11 juillet à l'AFP Rami Abdel Rahmane, directeur de l'OSDH. "Nous l'avons appris aujourd'hui mais nous ignorons quand ou comment il est mort."
Pour l'instant, l'information n'a pas été officiellement confirmée ou démentie par la communication du groupe Etat islamique. Une information dont il faut relativiser l'importance, si elle est avérée, selon notre éditorialiste Slimane Zeghidour : "Le Calife dans l’islam n’est pas l’équivalent du pape. Ce n’est pas l’autorité suprême, ce n’est pas un saint, c’est simplement un chef de communauté. Abou Bakr al-Baghdadi était tout sauf vénéré. Ce qui veut dire que sa mort ne va pas créer un vide. Cela porterait peut-être un coup au moral de ses troupes mais sa mort représenterait plus une perte qu'un séisme."
Et pour Slimane Zeghidour "la question de sa mort restera controversée pendant très longtemps parce qu’il y aura toujours une querelle sur la paternité de la mort de l’ennemi numéro 1 entre les Russes, les Américains, les Iraniens, les Français ou les Irakiens."
Abou Bakr Al-Baghdadi restait toujours introuvable ces derniers mois. Les Etats-Unis ont d'ailleurs offert 25 millions de dollars pour sa capture.
Aucun signe de vie depuis fin 2016
Abou Bakr al-Baghdadi n'a plus donné signe de vie depuis un enregistrement audio diffusé en novembre 2016, après le début de l'offensive irakienne pour reprendre Mossoul dans lequel il exhortait ses hommes à lutter jusqu'au martyre. Depuis, les forces irakiennes ont repris Mossoul, dernier grand bastion urbain de l'EI en Irak.
Selon l'AFP, Abou Bakr Al-Baghdadi aurait quitté la ville début 2017, probablement pour la frontière irako-syrienne. La mosquée al-Nouri, où il avait fait son unique prêche et apparition publique en juillet 2014 a été dynamité par les jihadistes et ses ruines reprises par les forces irakiennes.
Le groupe EI, qui en 2014 avait saisi de larges pans de territoires en Irak et en Syrie, a perdu 60% de son territoire et 80% de ses revenus. Mais ses combattants contrôlent toujours plusieurs zones dans les deux pays, où ils continuent de commettre des attentats.
Le fantôme, le Calife, le commandeur,...
Ses partisans l'appellent "Al-Shabah" (le fantôme), tant ses apparitions sont rares. Il porte aussi d'autres titres : Abou Du'a, le Calife, "Amīr al-Mu‘minīn" (le commandeur des croyants), Cheikh Baghdadi ou encore Abou Bakr Al-Baghdadi, son nom de guerre le plus connu.
Mais derrière la légende du puissant et discret chef du groupe Etat islamique (EI), il y a une réalité bien plus simple, celle d'un Irakien d'une quarantaine d'années, né en 1971 dans une famille pauvre de Samarra, au nord de Bagdad, de son vrai nom : Ibrahim Awad Ibrahim Ali al-Badri al-Samarrai.
"Introverti, patient et bosseur"
Jeune, Ibrahim al-Badri est un garçon
"introverti, pas très sûr de lui", raconte à l'AFP la journaliste Sofia Amara, auteure d'un documentaire sur son parcours. Il rêve d'abord de devenir footballeur puis avocat, mais ses résultats scolaires insuffisants ne lui permettent pas de suivre des études de droit.
Il envisage ensuite de s'engager dans l'armée, mais sa mauvaise vue l'en empêche. Alors il finit par étudier la théologie à Bagdad, avant de se marier et de se consacrer à l'enseignement religieux, apparemment sans autres ambitions.
"Il donne l'impression d'un homme qui n'est pas brillant, mais patient et bosseur", explique Sofia Amara.
"Il avait une vision en amont assez claire de là où il voulait aller et de l'organisation qu'il voulait créer", souligne la journaliste, qui évoque
"un planificateur secret".
Le jihad contre l'invasion américaine de 2003
L'événement déclencheur sera l'invasion américaine de l'Irak en 2003 et la chute du régime de Saddam Hussein. Militant salafiste, Ibrahim al-Badri rejoint alors les rangs des insurgés sunnites et crée un groupuscule jihadiste sans grand rayonnement,
"Jaysh Ahl al-Sunnah oua al-Jama'a". Il prend à cette occasion le surnom d'Abou Du'a.
En février 2004, il est arrêté et emprisonné dans la prison américaine de Bucca, près de la frontière koweïtienne. Ce complexe pénitentiaire, où se côtoient dignitaires déchus du régime baassiste de Saddam Hussein et la nébuleuse jihadiste sunnite, sera surnommé
"l'université du jihad". Abou Du'a s'y forge une réputation et un réseau solide de contacts. Peu à peu,
"tout le monde s'est rendu compte que ce rien du tout, ce type timide, était un fin stratège", explique Sofia Amara.
Libéré en décembre 2004 faute de preuves, il fait alors allégeance à Abou Moussab al-Zarqaoui, qui dirige un groupe de guérilla sunnite sous tutelle d'Al-Qaïda.
Homme de confiance d'Abou Omar al-Baghdadi, un des successeurs de Zarqaoui, il prendra la relève à sa mort en 2010. Il opte alors pour un nouveau nom de guerre, en référence à Abou Bakr, premier calife successeur du prophète Mahomet : Abou Bakr al-Baghdadi est né.
L'ascension fulgurante : d'Al-Qaïda à Daech
L'homme se démarque vite de ses prédécesseurs en intégrant dans ses rangs d'ex-officiers baassistes avec l'aide desquels il transforme son groupe de guérilla en une redoutable organisation armée. Profitant de la guerre civile, ses combattants s'installent en Syrie en 2013, avant de lancer une offensive fulgurante en Irak en juin 2014 où ils s'emparent d'un tiers du pays, dont Mossoul.
Objectif : faire de l'islam, une
"religion de guerre" contre l'occident, et plus généralement contre tous les mécréants, même musulmans. Abou Bakr Al-Baghdadi exhorte ainsi ses coreligionnaires soit à rejoindre le
"califat", soit à mener la guerre sainte dans leur pays.
"L'islam n'a jamais été la religion de la paix", martèle-t-il.
"L'islam est la religion de la guerre".
En l'espace de dix ans, son groupe, rebaptisé Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) puis Etat islamique (EI), s'est affranchi d'Al-Qaïda, pour devenir le mouvement jihadiste le plus connu de la planète. Avec des succès militaires et une propagande soigneusement réalisée et diffusée via réseaux sociaux qui lui attirent des milliers de partisans du monde entier.
Première et unique apparition à Mossoul
C'est à Mossoul que le chef du groupe EI fait sa seule apparition publique connue, en juillet 2014, à la mosquée al-Nouri. En turban et habit noirs, barbe grisonnante, il appelle alors tous les musulmans à lui prêter allégeance après avoir été désigné à la tête du califat proclamé par son groupe sur les vastes territoires conquis en Irak et en Syrie voisine.
"Dieu a donné la victoire à vos frères combattants après de longues années de djihad et de patience, pour qu'ils atteignent cet objectif : qu'ils annoncent le califat et qu'ils y installent un calife. C'est un devoir pour les musulmans, un devoir oublié pendant des siècles", avait-il alors déclaré à ses partisans.
Depuis on ne l'a jamais revu. Du moins dans les médias.
"C'est assez frappant de voir que le chef du groupe terroriste qui accorde le plus d'importance à l'image soit, lui, si discret", souligne Patrick Skinner, ex-officier traitant de la CIA, aujourd'hui analyste au Soufan Group.
Une mort maintes fois annoncée, mais jamais confirmée
Dans un communiqué publié en juin 2017, l'armée russe a affirmé avoir probablement tué Abou Bakr al-Baghdadi lors d'une frappe menée fin mai par son aviation sur une réunion de hauts dirigeants de l'organisation jihadiste près de Raqa, principal bastion du groupe EI dans le nord de la Syrie. L'information n'a pas été confirmée par Washington.
Quelques jours plus tard, c'était au tour de Téhéran d'affirmer que la mort du "calife" autoproclamé de Daech, ne faisait aucun doute. Il
"est assurément mort", a affirmé Ali Shirazi, représentant du Guide suprême de la Révolution iranienne Ali Khamenei auprès de la Force al Qods, l'unité des gardiens de la Révolution chargée des opérations extérieures.
Mais là encore, aucune preuve ne vient étayer ces allégations.
Depuis 2014, des rumeurs et des informations sur la mort du chef de la plus redoutable organisation jihadiste au monde, ont régulièrement circulé et n'ont jamais été confirmées. Si cette fois l'information est avérée, elle pourrait-elle porter un coup dur au groupe Etat islamique qui vient de perdre avec Mossoul son dernier bastion urbain en Irak.