Accord sur les migrants : que veulent les Turcs ?

L'Union européenne et la Turquie viennent de conclure un accord pour tenter de contrôler le flux des migrants. Depuis le début des négociations, Ankara, en position de force, n'a cessé de faire monter les enchères. Mais que veulent les Turcs, au juste ?

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Merkel Davutoglu
Conférence de presse d'Angela Merkel et Ahmet Davutoglu, Premier ministre turc, le 8 février 2016 à Ankara, à l'issue des négociations sur la crise des migrants.
@AP/Burhan Ozbilici)
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Débordés par l'arrivée de 1,2 million de migrants en 2015 qui, pour la plupart, fuyaient les guerres en Syrie, en Irak et en Afghanistan, l'Union européenne s'est divisée comme jamais ces derniers mois sur la réponse à apporter à cette crise qu'elle ne parvient pas à gérer.  

Pour tenter de mieux contrôler la situation, l'Union européenne, ce 18 mars, vient de conclure avec la Turquie un accord inédit, controversé et particulièrement difficile à mettre en oeuvre. Sa mesure phare, "temporaire et extraordinaire", prévoit le renvoi vers la Turquie de tous les nouveaux migrants qui arriveront à partir de dimanche sur les îles grecques, y compris les demandeurs d'asile. Ces renvois "commenceront le 4 avril", dixit la chancelière allemande Angela Merkel, qui a joué un rôle clé dans la genèse de l'accord. Pour chaque clandestin renvoyé, les Européens se sont engagés à "réinstaller" dans l'Union européenne un autre réfugié, protégé en Turquie par le HCR (Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies).

Pas fiers...

"Personne n'est fier de cet accord, mais on n'a pas d'alternative", résume un diplomate européen. De fait, la pression était très forte sur les Européens pour trouver enfin une solution avec une Turquie en position de force. "Dans l’accord sur les migrants, les Turcs ne sont pas demandeurs. La situation les place au centre du jeu. Ils s’appuient aussi sur l’asymétrie politique, voire morale, de la situation, puisque, eux, accueillent entre 2,5 millions et 3 millions de réfugiés sur leur sol, et en assument les coûts," souligne Yves Bertoncini, directeur de l'Institut Jacques Delors.

Autant d’arguments pour faire passer l’aide financière des 3 milliards d’euros, dont il était initialement question, à 6 milliards d’euros d'ici fin 2018 ; obtenir la libéralisation des visas européens pour les ressortissants turcs dès juin 2016 ; rouvrir les chapitres d’adhésion à l’Union européenne concernant le budget et les finances. Et ce, tout en multipliant les provocations dans le domaine des droits de l'Homme et de la liberté de la presse - interpellations dans les milieux proches de la cause kurde, expulsion de journalistes étrangers...

Les visas : un argument électoral

Même s'ils affirment qu'ils ne transigeront pas sur les critères à remplir, les Européens ont accepté d'accélérer le processus de libéralisation des visas pour les ressortissants turcs. "La question des visas est très importante aux yeux du président Erdogan pour élargir sa base électorale aux jeunes et aux hommes d’affaires, précise Yves Bertoncini. Cette libéralisation ne concerne toutefois que les séjours de moins de 90 jours.

Légitimer l'autoritarisme

Ankara a également obtenu que se tiennent régulièrement des sommets Turquie-Europe pour négocier sur un pied d’égalité. "Voilà qui permettra à Erdogan d'opposer à une opposition un argument choc sur sa dérive autoritaire et isolationniste." Pour l'heure, l'opposition, quant à elle, se déclare indignée par les compromissions de l'Union européenne. "Cet accord est contraire à la Charte des droits fondamentaux de l’Europe. Ainsi, l’Union européenne ne respecte pas ses propres valeurs et ses propres règles", déclare Kemal Kilicdaroglu, chef des sociaux-démocrates. 

En parvenant à l'accord signé le 18 mars, les Européens ont surmonté les réserves de Chypre, pour promettre à la Turquie d'ouvrir de nouveaux chapitres dans ses négociations d'adhésion à l'Union européenne. "C'est un jour historique, a déclaré vendredi le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu. Nous avons réalisé aujourd'hui que la Turquie et l'UE avaient la même destinée".
 

Les négociations d’adhésion, ce n’est pas pour faire entrer la Turquie en Europe, mais pour faire entrer l’Europe en Turquie.
Yves Bertoncini

Pour le gouvernement turc, la rouverture des chapitres d’adhésion à l'Union portant sur les finances et le budget — au moment précis où il profite de sa position de force pour multiplier les opérations contre les Kurdes et la presse — a des allures de revanche. Car le blocage des négociations, imposé par le tandem Merkel-Sarkozy dans les années 2000, a laissé un goût amer aux Turcs qui, à l'époque, fondaient de grands espoirs dans les perspectives d'adhésion.

La Turquie, était alors prête à adopter les fonctionnements européens. "A Bruxelles, chacun sait que l’une des rares politiques étrangères dont dispose l’Europe, c’est l’élargissement, explique Yves Bertoncini. La stratégie d’adhésion a toujours été très efficace pour attirer dans sa sphère d'influence les pays candidats. Prêts à tout pour adhérer, ils ne ménagent pas leurs efforts pour s'aligner sur les normes de l'Union européenne."

Aujourd'hui, la situation s'est renversée, et "quand la chancelière Angela Merkel vient à Ankara ; quand le Premier ministre Davutoglu dîne en tête à tête avec elle, les Turcs jubilent. D'autant plus que la communauté turque, en Allemagne, est très importante", constate Yves Bertoncini.

Or la Turquie des années 2010, celle du très conservateur Recep Tayyip Erdogan, a-t-elle sa place dans l’Union européenne ? De moins en moins. Paradoxalement, c'est maintenant que reprennent les négociations, au moment où, en position de faiblesse, l’Europe n'a plus de moyens de pression sur la Turquie.

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