Accords commerciaux transatlantiques : TAFTA est mort, vive CETA ?

La France a officiellement demandé la fin des négociations sur le traité de libre-échange transatlantique (TAFTA ou TTIP) entre les Etats-Unis et l'Union européenne. Pourtant, un autre accord commercial avec le Canada, le CETA, doit être ratifié par les parlements des pays membres de l'Union à l'automne. Un traité en remplacerait-il un autre ?
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Ceta
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Le glas semble donc avoir définitivement sonné pour le Traité de libre-échange transatlantique. La France a annoncé ce mardi 30 août 2016 qu'elle souhaitait cesser les négociations de l’accord de libre-échange entre l’UE et les Etats-Unis. Annonce lancée via le compte twitter de Matthias Fekl,  le secrétaire d’Etat chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.
 

Cette décision intervient deux jours après la déclaration du ministre allemand Sigmar Gabriel, laissant penser que les jours du fameux TAFTA étaient comptés, et ouvrant une vague d'espoir chez les opposants au traité de libre échange transatlantique (TTIP). Le ministre de l'Economie et vice-chancelier allemand (parti social-démocrate) avait en effet déclaré: "Les discussions ont échoué, parce que nous, les Européens, ne voulions pas nous soumettre aux exigences américaines". Angela Merkel, favorable pour sa part au "Partenariat transtalantique de commerce et d'investissement" (autre nom du TTIP), n'a pas dû apprécier cet enterrement — certes symbolique — mais de première classe, du fameux TTIP. Dès lundi, la porte-parole de la Commission européenne, Margaritis Schinas, s'est empressée de contester l'arrêt des négociation en déclarant à l'AFP : "Bien que les discussions prennent du temps, le processus est enclenché (…) Le dernier round a eu lieu en juillet".
 
Manifs Allemagne TTIP
Les dernières grandes manifestations contre le TTIP ont eu lieu en Allemagne en avril 2016 (AP Photo/Markus Schreiber)
Le Brexit n'a pas aidé, comme les dénonciations de l'opacité des négociations ou les pétitions et manifestations de mécontentement à l'échelle du vieux continent. Le TTIP fait l'unanimité contre lui, moins les membres de la Commission européenne, et pourtant, un autre accord transatlantique — totalement similaire — est en passe d'être signé à l'automne. Un accord en cacherait-il un autre ?

 


AECG-CETA : un TTIP canadien

L’accord économique et commercial global (AECG), appelé le plus souvent par son acronyme anglais CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) a fait son chemin auprès de la Commission européenne depuis 2009 — sans beaucoup de bruit — et ce, parallèlement au TTIP. La seule différence sensible est que cet accord touche le Canada au lieu des Etats-Unis.

Les négociations autour du CETA ont commencé officiellement le 6 mai 2009 au sommet Canada-UE à Prague. Le vendredi 26 septembre 2014, le gouvernement canadien et le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy accompagné du président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, ont officiellement dévoilé le contenu de l'AECG, lors d'un sommet à Ottawa et annoncé la conclusion des négociations.

L'AECG implique la suppression des droits de douane pour presque tous les produits, dès la mise en œuvre de l'accord dans la plupart des cas. Il comporte aussi un volet concernant le commerce des services, l'harmonisation des normes actuelles et futures, les marchés publics et la protection juridique des investissements. (source : wikipedia - Accord économique et commercial global)

L'accord a été traduit en 23 langues, révisé juridiquement et a été signé le 5 juillet 2016 pour ratification en octobre 2016 par les parlements nationaux.

Les grandes lignes du CETA/AECG sont les mêmes que celles du TAFTA/TTIP : elles touchent la sécurité alimentaire, l'agriculture, l'accès aux médicaments — mais aussi — la protection des données, le droit d'auteur, ou le règlement des différends privés-publics. Le principe central de ce type d'accord est de faciliter les échanges entre les grands acteurs des différentes filières économiques des deux entités politiques concernées : l'Union européenne et le Canada. Il est donc prévu de permettre, des deux côtés de l'Atlantique, d'ouvrir les marchés publics au firmes privées, de supprimer les droits de douane, et d'octroyer des nouvelles possibilités pour les industriels, jusque là limitées ou très réglementées .

Des protections… limitées

José Bové
Le député EELV et militant, José Bové en 2011 (Photo Wikicommons : Claude Truong Ngoc)

José Bové, le député européen Europe écologie les vert (EELV) et militant altermondialiste est monté au créneau au mois de mai pour dénoncer certaines dispositions du CETA concernant les appellations contrôlées (AOP). Dans une tribune publiée sur son blog Mediapart, José Bové explique les dangers de l'ouverture des marchés européens à "l'agro-business" canadien : "Un marché de 50 000 tonnes de viande bovine et 75 000 tonnes de viande porcine s’ouvre en Europe pour l’agro-business canadien. Ces importations massives ont de quoi mettre définitivement à terre des dizaines de milliers de paysans européens, alors que ces productions sont déjà en crise."

Mais la colère du député ne s'arrête pas là, puisque c'est au sujet des AOP qu'il écrit cette tribune. Ce système d'appellation est une garantie de qualité de produits du terroirs, une reconnaissance, et une protection contre le plagiat, explique José Bové : "La labellisation AOP est la garantie  pour un producteur que son savoir-faire et le terroir qu’il fait vivre sont uniques et ne seront pas plagiés. C’est un parcours du combattant. Lorsque la reconnaissance officielle arrive enfin, elle fait la fierté des paysans qui se considèrent, à juste titre comme les passeurs d’une tradition. Pour les consommateurs, c’est la garantie d’avoir un met de qualité, produit selon un cahier des charges exigeant."

Les accords CETA ont pourtant bien pris en compte les AOP, et le site de la Commission européenne s'en félicite, arguant que "140 produits européens des filières alimentaires et vinicoles (dont les fameux fromages français ou le Gouda hollandais) bénéficieront d'un haut niveau de protection sur le marché canadien là où aujourd'hui il n'y en a pas. Le CETA certifiera que seuls ces produits uniques pourront être vendus au Canada sous ces appellations."

C'est cette disposition que José Bové dénonce, puisqu'en retenant moins de 200 produits en AOP, le CETA écarte 90% des productions européennes sous cette protection. "Sur les 1400 AOP européennes, seules 174 (la Commission en dénombre 140, ndlr) ont eu la chance d’être nommées dans l’Annexe 20-A qui se trouve à la page 516 de ce document roboratif", déclare le député EELV."

CETA : cheval de Troie Nord-américain ?

Un tribunal arbitral privé était prévu dans le TTIP, tout comme dans le CETA, et ce dernier a finalement opté — comme le premier — pour la constitution d'une "Cour sur l’investissement". La possibilité pour des multinationales de porter plainte contre des Etats—  si les multinationales estiment que des dispositions sont défavorables à leurs investissements — reste donc possible. Avec des juges… au lieu d'avocats d'affaires pour arbitrer les conflits.

L'instigateur du CETA, le trois-fois-premier ministre canadien (Parti libéral) Jean Charest estimait au début des pourparlers que cet accord commercial serait une "grande porte d'entrée pour les Amériques". Le TTIP est donc peut-être enterré pour Sigmar Gabriel, mais l'accord CETA, s'il est ratifié, pourrait bien être une nouvelle façon de démontrer — en Europe et aux Etats-Unis — que le TTIP avec les Etats-Unis est toujours le bienvenu, mais pas avant l'année prochaine, pour cause… de présidentielles américaines.