Fil d'Ariane
Le procès correspondant du Wall Street Journal s'ouvre mercredi 26 juin en Russie. Il encourt jusqu'à 20 ans de prison. Le quotidien dénonce "des accusations montées de toutes pièces".
Jour 1 du procès contre le journaliste américain Evan Gershkovich. Crane rasé, cernes étendus et chemise sombre à carreaux, le correspondant de 32 ans est présenté dans un box vitré pour sa première audience qui se tiendra à huis clos, dans le tribunal régional de Sverdlovsk. Malgré un sort incertain, il adresse un sourire discret et un "salut" à peine audible aux journalistes qu'il reconnaissait.
Il était en plein reportage à Ekaterinbourg lorsqu'il a été interpellé en mars 2023 par les services de sécurité russes. Moscou le charge d'espionnage pour le compte de la CIA. Des accusations qui n'ont par ailleurs jamais été étayées et dont le dossier est resté dans le plus grand des secrets. Son journal, le Wall Street Journal, dénonce les "accusations montées de toutes pièces" contre son correspondant et craint "un procès secret qui ne lui offrira que peu, voire pas du tout, les protections juridiques dont il bénéficierait aux Etats-Unis et dans d’autres pays occidentaux". Depuis l'époque soviétique, aucun journaliste n'avait été accusé d'espionnage dans le pays. "Il est choquant de le voir une nouvelle fois dans la salle d'audience", poursuit le journal dans un communiqué.
(Re)voir : Russie : ouverture du procès du journaliste américain E.Gershkovich
Après cette première comparution, une porte-parole du tribunal, Irina Tochtcheva, a précisé que la prochaine audience se tiendra le 13 août et que la presse ne sera pas autorisée à filmer à nouveau le journaliste avant l'énoncé du verdict, à une date encore indéterminée. Du côté des autorités russes : silence radio. Contacté par l'AFP, le service de presse du service fédéral des prisons (FSIN) a refusé d'indiquer où Evan Gershkovich sera maintenu en détention d'ici à cette nouvelle audience. Seul son avocat ou ses proches "peuvent fournir cette information", a indiqué le FSIN. Il a aussi affirmé ne pas savoir pourquoi il avait désormais le crâne rasé, et s'il s'agissait de la coupe réglementaire des prisonniers, ou d'une décision personnelle.
"Evan est un journaliste, et le journalisme n'est pas un crime", a déclaré la famille dans un communiqué. "Nous exhortons le gouvernement américain à continuer à faire tout son possible pour ramener Evan à la maison maintenant". L'ambassade américaine à Moscou a assuré que ses représentants avaient pu assister mercredi à une courte partie de l'audience. "Pendant ce laps de temps, les autorités russes n'ont présenté aucune preuve corroborant les accusations", a dénoncé l'ambassade, en réaffirmant que le journaliste était détenu "illégalement" et utilisé comme "monnaie d'échange" par la Russie "pour atteindre des objectifs politiques".
Les enquêteurs accusent le correspondant d'avoir collecté des informations sensibles pour la CIA sur l'un des principaux fabricants d'armements du pays, l'entreprise Ouralvagonzavod. Mais Russie n'a jamais rendu public le moindre indice confirmant ces affirmations. Cette société société produit notamment des chars T-90 utilisés en Ukraine et ceux de nouvelle génération Armata, ainsi que des wagons de marchandises.
Le journaliste, sa rédaction et ses proches récusent fermement ces accusations, tout comme Washington, estimant que Moscou a fabriqué l'affaire afin d'échanger le journaliste contre des Russes détenus en Occident. Selon le Wall Street Journal, le reporter, qui encourt jusqu'à 20 ans de prison, a été arrêté pour avoir "simplement fait son travail". Il a passé sa détention provisoire dans la prison moscovite de Lefortovo, administrée par le FSB, mais est jugé à Ekaterinbourg, où il a été arrêté.
La famille du journaliste a expliqué à l'AFP début 2024 compter sur la promesse du président américain Joe Biden d'obtenir la libération du journaliste. Mais le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, a, lui, une nouvelle fois refusé de s'exprimer sur un éventuel échange de prisonniers.
Un haut responsable diplomatique russe, Sergueï Riabkov, a affirmé la semaine dernière que Moscou avait fait une proposition à Washington en vue d'un tel échange, sans révéler le contenu de cette offre. Mercredi, cité par l'agence Interfax, il a appelé les Etats-Unis à étudier "sérieusement" les "signaux" envoyés par Moscou sur ce sujet. Vladimir Poutine a, quant à lui, déjà reconnu que des négociations étaient en cours et sous-entendu qu'il exigeait la libération de Vadim Krassikov, condamné à la prison à vie en Allemagne pour avoir assassiné à Berlin en 2019, pour le compte de Moscou, un ex-commandant séparatiste tchétchène.
(Re)voir : Russie : un français soupçonné d'espionnage arrêté à Moscou
La Russie détient plusieurs autres Américains, dont la journaliste russo-américaine Alsu Kurmasheva, arrêtée en 2023 pour une infraction à la loi sur les "agents de l'étranger", et l'ex-marine Paul Whelan, qui purge une peine de 16 ans de prison pour espionnage, accusation qu'il conteste. Fils d'émigrés juifs venus d'URSS, Evan Gershkovich a grandi dans le New Jersey et travaillait en Russie depuis 2017 pour plusieurs médias.