Fil d'Ariane
La présidente de la 17e chambre correctionnelle Brigitte Vernay l'a déclaré "coupable" de n'avoir pas signalé à la justice en 2014 et 2015 les agressions pédophiles commises sur des scouts - un quart de siècle plus tôt - par le père Bernard Preynat, dont il fut prévenu par une victime.
Archevêque de Lyon depuis 2002, cardinal depuis 2003, primat des Gaules, Mgr Barbarin est le plus haut dignitaire catholique français à être condamné dans une telle affaire, après deux évêques en 2001 et 2018. Il doit s'exprimer à 13H00 dans des locaux du diocèse.
Le jugement, communiqué à la presse par le parquet, est clair: il reproche au religieux de 68 ans - qui avait martelé durant le procès, début janvier, n'avoir "jamais cherché à cacher, encore moins à couvrir ces faits horribles" - d'avoir "fait le choix en conscience" de ne rien transmettre aux autorités judiciaires "pour préserver l'institution à laquelle il appartient".
"En voulant éviter le scandale (...) Philippe Barbarin a préféré prendre le risque d'empêcher la découverte de très nombreuses victimes d'abus sexuels par la justice, et d'interdire l'expression de leur douleur", ajoute le tribunal.
La défense du prélat a immédiatement annoncé faire appel.
"La motivation du tribunal ne me convainc pas. Nous allons donc contester cette décision par toutes les voies de droit utiles", a déclaré Me Jean-Félix Luciani, relevant qu'il "était difficile pour le tribunal de résister à une telle pression médiatique avec des documentaires, un film... Ça pose de vraies questions sur le respect de la Justice".
A l'audience, la procureure Charlotte Trabut n'avait pas requis de peine à l'encontre de Mgr Barbarin et des cinq anciens membres du diocèse poursuivis avec lui, conformément à la décision initiale du parquet de classer l'affaire.
Les autres mis en cause n'ont pas été condamnés, le tribunal considérant que les faits n'étaient pas constitués pour quatre d'entre eux et prescrits pour le dernier.
Le tribunal a balayé, en revanche, les arguments des avocats du cardinal, dont l'absence jeudi a été dénoncée comme "un énième manque de respect" par un des plaignants.
Pour le tribunal, Mgr Barbarin aurait dû dénoncer les faits dès 2010, quand il s'entretint avec le père Preynat sur son passé. Mais cette période est prescrite. Elle ne l'est pas en revanche depuis 2014, quand l'archevêque rencontra l'une des victimes, Alexandre Hezez, qui l'alerta sur son cas et, potentiellement, beaucoup d'autres.
"L'obligation de dénoncer s'imposait", affirme le jugement, là où les avocats considèrent que l'ancien scout pouvait porter plainte de son propre chef - ce qu'il fit en 2015.
"La responsabilité et la culpabilité du cardinal ont été consacrées par ce jugement. C'est un symbole extraordinaire. Une grande émotion historique", a commenté l'un des avocats des neuf plaignants, Me Yves Sauvayre.
François Devaux, cofondateur de l'association de victimes "La Parole libérée" qui a soutenu la procédure, a salué "une grande victoire pour la protection de l'enfance", qui "envoie un signal très fort à beaucoup de victimes et leur permet de comprendre qu'elles sont entendues, écoutées et reconnues".
Après trois ans de ce scandale qui symbole en France la crise de l'Eglise face à la pédophilie, le procès avait donné lieu à des témoignages poignants qui ont marqué les esprits.
La condamnation de Philippe Barbarin intervient après un sommet inédit, fin février, de la hiérarchie catholique à Rome, où le pape a promis "une lutte à tous les niveaux" contre la pédophilie.
Un membre éminent du Vatican, le cardinal espagnol Luis Ladaria Ferrer, avait été consulté par son homologue lyonnais sur le cas du père Preynat. Il avait conseillé de l'écarter "en évitant le scandale public".
Rome a refusé qu'il comparaisse à Lyon mais la partie civile ne désespère pas "d'aller le chercher: après la condamnation du numéro trois en Australie, ça finirait le travail", estime l'avocat Jean Boudot.