Affaire Benjamin Griveaux : « On accepte l’assassinat politique d’un candidat de la part d’une personne qui se croit au-dessus des lois »

Benjamin Griveaux, le candidat du parti d’Emmanuel Macron, abandonne sa course au fauteuil de maire de Paris. Le détonateur : des vidéos intimes, publiées par l’activiste russe Piotr Pavlenski, sur Internet ce mercredi 12 février. C’est la première fois qu’un politique en France se retire d’une élection après la diffusion de vidéos intimes. Analyse.
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Griveaux-Benjamin
Benjamin Griveaux, ex-candidat aux élections municipales de Paris du 15 mars 2020, donne une conférence de presse. Paris, France, 13 février 2020.
© AP / Thibault Camus
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Le parti du président Macron, La République En Marche (LREM), dispose de moins de deux mois, pour trouver une nouvelle tête de liste aux municipales de Paris.

Benjamin Griveaux, ex-porte-parole du gouvernement et jusqu’à présent en troisième position dans les sondages aux élections municipales, jette l’éponge. Dans une conférence de presse, l’ex-candidat dénonce un « torrent de boue » et une « violence »  que « personne ne devrait jamais subir ».
 


Entretien avec Florian Silnicki, expert en communication de crise et fondateur de l’agence de communication LaFrenchCom.

TV5MONDE : Quelle a été votre réaction face au scandale de la publication des vidéos à caractère sexuel de Benjamin Griveaux ?

Florian Silnicki :
J’ai été stupéfait par la rapidité de la décision de Benjamin Griveaux. Il abdique alors qu’il n’a rien commis d’illégal. Ces vidéos n’auraient pas dû le contraindre à abandonner la campagne électorale.  

Cette rapidité illustre l’impréparation du candidat et de son équipe face à ce type de risques, ainsi que leur immaturité digitale.

Je trouve hallucinant que Benjamin Griveaux trouve la crise suffisamment grave pour penser qu’il ne puisse plus jamais conquérir les électeurs potentiels à Paris.

Abdiquer, c’est donner raison à l’auteur de la publication des contenus.

Florian Silnicki, expert en communication de crise

Pourquoi trouvez-vous « hallucinant » le retrait de la campagne de Benjamin Griveaux suite à la publication de ces vidéos ?

C’est hallucinant sur le plan de l’anticipation des risques. Quand on gère une campagne, on doit être prêt à répondre immédiatement à ces risques. Manifestement, cela n’a pas été le cas.

C’est hallucinant aussi sur le plan des principes démocratiques. Ici, on accepte le braquage électoral et l’assassinat politique d’un candidat de la part d’une personne qui se croit au-dessus des lois.

Or, cet individu (Piotr Pavlenski) est un délinquant. Il s’agit d’une manipulation électorale. A-t-il été rémunéré pour publier ces vidéos ? Sous quelle influence se trouve-t-il ? On ne le sait pas.
(L’artiste "affirme tenir cette vidéo d'une « source » qui avait une relation consentie avec Benjamin Griveaux", écrit le journal Libération, qui a eu un entretien téléphonique jeudi 13 avec l'artiste réfugié en France, ndlr).

Par ailleurs, le plus dur, c’est la submersion de l’émotion des proches.  Cela conduit le candidat à abandonner la compétition électorale. Dans ce cas, les conseillers du candidat doivent rationaliser son attitude et lui dire que rien ne devrait le conduire à abandonner une campagne. Abdiquer, c’est donner raison à l’auteur de la publication des contenus.

Qui est Piotr Pavlenski, l’artiste-activiste russe qui revendique la publication de contenus de Benjamin Griveaux ?

Piotr Pavlenski obtient l'asile politique en France en mai 2017. Cinq mois plus tard, il incendie la façade d'une succursale de la Banque de France. En 2019, il est condamné à trois ans de prison, dont 2 ans avec sursis.

Avant cela, l’artiste, maître ès performances scabreuses, s'est fait connaître en défiant les autorités russes.
En 2015, il arrose d'essence et incendie les portes du siège de l'ex-KGB à Moscou.

En 2013, il se cloue le scrotum (enveloppe de peau autour des testicules) au pavé face au Kremlin en signe de protestation à la police russe. La même année, il s’enroule nu dans du barbelé devant l’Assemblée législative nationale de Saint-petersbourg.

En 2012, il se coud les lèvres en soutien aux membres du groupe de rock Pussy Riot.

Vous parlez d’ "impréparation" et d’"immaturité" de Benjamin Griveaux ?

L’immaturité digitale est l’incapacité à déployer immédiatement un dispositif de contre-influence face à un risque qui pouvait être facilement identifié (captation des contenus de campagne, échanges privés…).


Les scandales politiques en France sont davantage d’ordre financier, comme la révélation de l’existence d’un compte bancaire en Suisse de Jérôme Cahuzac, ex-ministre français de l’Économie. C’est la première fois qu’un politique démissionne après la publication d’une vidéo à caractère sexuel, où rien d’illégal n’est commis. Peut-on parler d’ « américanisation » de la vie politique française ?

Je parlerais davantage d’  « anglo-saxonisation » de la politique. Ce risque est courant en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Je le vois aussi bien dans le secteur public que privé dans ces pays, où des personnes puissantes, influentes et riches, sont souvent confrontées à ce genre de problématiques.
Parmi mes clients, se trouvent des directeurs généraux d’entreprises cotées, ou sont à la tête de fonds d’investissements à Londres.

Jusqu’à présent, la culture française préservait la vie privée (des politiques, ndlr) avant tout. Maintenant, la vie politique se trouve face à une mutation : les vecteurs d’information ne sont plus seulement les médias classiques (radios, télés…). Les réseaux sociaux permettent la diffusion de contenus sans modération avant publication. La diffusion de vidéos intimes est un risque devenu banal, classique.

Je trouve que les candidats en France, en comparaison avec les personnes que j’accompagne à l’étranger, pensent que cela ne peut pas leur arriver dans la culture française.

Ils pensent aussi qu’il n’y a pas de tabloïds pour relayer ces contenus. La vérité, c’est que ces candidats sont confrontés, comme tout le monde, aux risques liés à leur image et leur réputation.


Comment se préparer, quand on est un politique, à la potentielle divulgation de contenus d’ordre privé ?

Il doit y avoir une pédagogie auprès des Français sur ces risques. Ne pas savoir faire face à ce risque, quand on est le représentant de la majorité présidentielle aux municipales à Paris, est quasiment une faute professionnelle. Il faut par ailleurs protéger le candidat. Cela n’a manifestement pas été fait.


À l’heure où nous écrivons ces lignes, les vidéos intimes de Benjamin Griveaux sont toujours visibles sur Internet. Que dit la loi française ?

C’est parfaitement illégal. Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) permet le retrait de ces publications. L’article 226-2-1 du Code pénal punit cette ignominie de deux ans d’emprisonnement et de 60 000 euros d’amende.

L’auteur et l’hébergeur du site peuvent également être condamnés dans des procédures d’urgence. (On appelle cette pratique le « revenge porn », la « vengeance pornographique », ndlr). Twitter et Facebook sont tenus de supprimer des contenus.

Aux États-Unis, les magistrats ont souvent du mal à faire retirer des contenus, en vertu de la loi sur la liberté d’expression.

La législation française sur le respect de la vie privée est la plus stricte d’Europe. En France, les condamnations ne sont pas assez nombreuses en raison du manque de preuves sur l’identité de l’auteur de la publication. Or, dans cette affaire, c’est inédit : la publication des contenus est revendiquée.

(Benjamin Griveaux a demandé à son avocat, Richard Malka, "d'engager des poursuites contre toute publication" qui ne respecterait pas sa vie privée, ndlr.)
 

  • À (re)voir : l'interview de Piotr Pavlenski en 2017
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