Fil d'Ariane
Imane Khelif, désormais championne olympique, a déposé une plainte contre X pour “harcèlement moral”. Prise dans une polémique sur son identité de genre, l’athlète est la cible d’attaques notamment sur les réseaux sociaux. Un harcèlement largement alimenté par les milieux conservateurs et les mauvaises relations entre le Comité international olympique (CIO) et l'Association internationale de boxe (IBA).
La médaillée d'or algérienne Imane Khelif embrasse sa médaille pour la finale de boxe féminine des 66 kg aux Jeux olympiques d'été de 2024, le 9 août 2024, à Paris, en France.
Le combat n’est pas fini pour Imane Khelif. La boxeuse algérienne de 25 ans est devenue championne olympique de boxe dans la catégorie des -66kg, le 9 août dernier. Un titre arraché au terme d’une compétition entachée par une polémique sur son genre et sa légitimité à participer aux Jeux en tant que femme, accompagnée d’une vague de harcèlement en ligne.
Accusée d’être une personne transgenre qui concourait sous une fausse identité féminine, Imane Khelif a été la victime d’un phénomène récurrent qui touche certaines sportives de haut-niveau ne correspondant pas aux critères de féminités occidentaux.
L’athlète algérienne aurait pu se contenter de sa victoire dans le ring, mais elle en a décidé autrement. Profondément touchée par la violence du discours porté contre elle, Imane Khelif a décidé de porter plainte contre X pour harcèlement moral devant le tribunal correctionnel de Paris.
Dans la plainte, consultée par le journal Le Monde, Me Nabil Boudi, l’avocat d’Imane Khelif dénonce des « spéculations entretenues par des personnes malveillantes » et des publications “postées par des personnalités politiques importantes” : la Première ministre italienne Giorgia Meloni, l’ex-président américain Donald Trump, le député Rassemblement National Gilbert Collard…
D’autres personnalités conservatrices, comme l’autrice britannique JK Rowling, ou le patron du réseau social X Elon Musk, ont pris Imane Khelif pour cible. Des figures publiques possédant énormément d’influence qui ont contribué à faire de la polémique visant Imane Khelif “une campagne misogyne, raciste et sexiste” détaille Me Boudi.
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CIO contre IBA, deux instances sportives en conflit
L’affaire a largement dépassé le monde du sport. La controverse est née des mauvaises relations entre le CIO et l'Association internationale de boxe (IBA).
L’IBA, ancienne instance dirigeante de la boxe, est depuis des années mêlées à des scandales de corruption, notamment lors des Jeux de Rio en 2016. L'instance est aussi régulièrement pointée du doigt pour son manque de transparence financière.
Parmi les anciens dirigeants de l’IBA se trouvent le Taïwanais Wu Ching-kuo, accusé de malversations financières, ou l’homme d’affaires ouzbek Gafur Rakhimov, souçonné par les États-Unis d’être “un parrain de la mafia russe et un baron du trafic mondial d’héroïne” énumère le Huffington Post.
Quant au dirigeant actuel de l’IBA, Umar Kremlev est un oligarque russe et proche de Vladimir Poutine a rendu les finances de l'organisation dépendante du géant pétrolier russe Gazprom.
Umar Kremlev, secrétaire général de la Fédération russe de boxe et membre du comité exécutif de l'Association internationale de boxe (IBA), s'exprime lors d'une conférence de presse à Moscou, en Russie, le 27 octobre 2020.
En poste depuis 2020, c’est sous sa présidence que le CIO a décidé de consommer la rupture et de retirer à l’IBA l’organisation des épreuves de boxe lors des compétitions olympiques. Depuis, les deux organisations sont à couteaux tirés et l’IBA, bien loin de se laisser écarter, mène une politique agressive contre le CIO pour rester au centre du monde de la boxe - et faire avancer un agenda politique très aligné sur les valeurs du Kremlin.
Valeurs du sport contre conservatisme
C’est donc à l’IBA et à Umar Kremlev en particulier qu’on doit les premières rumeurs concernant le genre d’Imane Khelif, en mars 2023. À l'époque, le président de l’IBA avait affirmé que “des tests ADN” révélaient qu’Imane Khelif et la boxeuse taïwanaise Lin Yu-ting “tentaient de tromper leurs collègues en se faisant passer pour des femmes, comme l’attestent leurs chromosomes XY ».
Des déclarations et des tests que le CIO, qui ne reconnait plus l'autorité de l'IBA depuis 2023, a choisi d’ignorer, permettant aux deux boxeuses de participer aux Jeux de Paris 2024. Mais la polémique est relancée lorsque la boxeuse italienne Angela Carini abandonne la compétition après seulement 46 secondes de combat contre Imane Khelif en dénonçant une injustice.
L’IBA apporte immédiatement son soutien à l’Italienne et lui accorde même une récompense en signe de solidarité : 100 000 dollars, dont 25 000 pour la fédération nationale et 25 000 pour l'entraîneur rapporte Eurosport.
La polémique générée par l’abandon d’Angela Carini est l’occasion pour l’IBA d’organiser une conférence de presse à Paris le 5 août dernier pour enfoncer le clou. Le président du CIO, qui apparaît en vidéo entouré d’images religieuses, dénonce pêle-mêle une cérémonie d’ouverture “dégoûtante”, un CIO qui “tue la boxe féminine” et dont le président, Thomas Bach, serait “le sodomite en chef”.
"C’est une stratégie qui va bien au-delà d’Umar Kremlev, c’est une stratégie de l’État russe” explique Lukas Aubin, directeur de recherches à l’Iris et spécialiste de la géopolitique de la Russie et du sport, interrogé par Le Parisien.
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“Je pense qu’il faut l’interpréter en tant que tel. Dans cette stratégie, plusieurs éléments reviennent régulièrement. L’idée que l’Occident possède le sport mondial et qu’il faut le concurrencer, l’idée que l’Occident diffuse des valeurs décadentes (LGBT, satanisme, etc.) par le biais du sport mondial. On l’entend d’un coup chez nous, mais ces discours sont hyper fréquents en Russie depuis plusieurs années. »
Une stratégie portée par la politique de soutien financier de l’IBA envers les athlètes et qui place la “polémique” autour d’Imane Khelif sous un autre jour. L’Algérienne estime que l’équipe d'Angela Carini a “profité” de la situation pour lui nuire. Selon 20minutes, “certains soupçonnent même l'instance d'avoir proposé de l'argent en amont à l'Italienne pour se « coucher » et provoquer le drama que l'on a vu”.
La boxe serait donc devenu le terrain d’un affrontement idéologique où valeurs du sports et conservatisme s’affrontent. “Il y a une guerre culturelle, une polarisation de la société, surtout en ce qui concerne les droits des femmes” nous expliquait Andrea Florence, directrice de la Sports and Rights Alliance (SRA), qui lutte pour promouvoir le bien-être et le respect des droits humains dans le milieu du sport.
“Le sport est utilisé par ces groupes conservateurs parce qu’il y a encore des catégories masculines et féminines” poursuit Andrea Florence. “C'est donc un endroit facile pour introduire ce type d'agenda politique - et détourner l'attention des vrais problèmes auxquels les femmes sont réellement confrontées, comme les abus, le harcèlement sexuel…”
Si le CIO a fait le choix d’adopter une ligne inclusive et apporté son soutien, à maintes reprises, à Imane Khelif et Lin Yu-ting, l’IBA, elle n’en démord pas. Ignorant le désaveu du CIO, elle maintient sa position sur les deux athlètes et maintient le rayonnement dans le milieu de la boxe grâce à ses généreux financements.
World Boxing, la nouvelle fédération internationale créé en 2023 pour tenter de supplanter l’IBA peine à s’installer vraiment dans le milieu de la boxe et ne compte qu’une trentaine de pays membres. Un bras de fer qui laisse l’avenir de la boxe olympique bien incertain, puisque le CIO exige que la fédération qui organise les épreuves olympiques fasse l’unanimité.