Un forum international sur l'investissement, organisé à Ryiad, connaît de nombreux désistements de dirigeants étrangers et chefs d'entreprises, ce mardi 23 octobre.L'Arabie saoudite se trouve toujours prise dans la tourmente de la mort du journaliste saoudien Jamal Khashoggi tué dans le consulat de son pays à Istanbul. Le président turc a d'ailleurs donné aujourd'hui une conférence de presse, appelant à punir les responsables de ce "meurtre sauvage".
Recep Tayyip Erdogan a déclaré, ce mardi 23 octobre, que "tous ceux qui ont joué un rôle" dans l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi doivent être punis. Il a même proposé que 18 suspects, arrêtés en Arabie saoudite soient jugés à Istanbul. D'après le président turc, le système de vidéosurveillance du consulat saoudien avait été désactivé.
Dans son discours prononcé devant le groupe parlemantaire de son parti à Ankara, Recep Tayyip Erdogan a affirmé que le meutre du journaliste avait été "planifié" plusieurs jours auparavant. Selon lui, "tous les éléments et preuves qui ont été découverts indiquent que Jamal Khashoggi a été victime d'un meutre sauvage".
Il réclame que soient révélés les noms des commanditaires ainsi que l'emplacement de la dépouille de Khashoggi. Il a tenu à préciser qu'il est "confiant" quant à la coopération du roi Salmane dans l'enquête.
Le "Davos du désert" déserté
À Ryad, de strictes mesures de sécurité ont été mises en place à l'hôtel Ritz-Carlton, lieu du forum où doivent s'exprimer notamment Kirill Dmitriyev, qui dirige un Fonds d'investissement russe, et Patrick Pouyanné, patron du géant pétrolier français Total, selon une liste d'orateurs fournie par les organisateurs.
Future Investment Initiative (FII), qui dure jusqu'à jeudi 25 octobre, avait pour but de projeter comme une destination commerciale lucrative le royaume pétrolier historiquement fermé et qui cherche à diversifier son économie et s'ouvrir aux nouvelles technologies, au tourisme et au divertissement. Mais cette conférence est aujourd'hui totalement éclipsée par le tollé international consécutif au meurtre du critique et journaliste saoudien qui collaborait avec le Washington Post.
Après avoir soutenu que Jamal Khashoggi était ressorti vivant du consulat le 2 octobre, l'Arabie saoudite a fini par reconnaître qu'il avait été tué dans sa mission diplomatique mais nie toujours toute implication du prince héritier Mohammed ben Salmane, considéré comme l'homme fort du royaume.
À la veille du forum, le prince héritier a reçu à Ryad le ministre américain au Trésor Steven Mnuchin, en tournée dans la région mais qui avait renoncé à participer à la conférence après l'affaire Khashoggi.
La présence à la conférence du prince héritier, qui a initié cet évènement, n'a pas été confirmée. L'année dernière, il s'était fait acclamer lors du lancement de la première édition de la conférence, comme un jeune visionnaire, champion d'une Arabie saoudite "ouverte et modérée".
Trump insatisfait
Néanmoins cette année, l'initiative, surnommée le "Davos du désert" par des médias, a vu la liste de ses participants se réduire au fur et à mesure des révélations macabres dans l'affaire Khashoggi qui a terni l'image du royaume, premier exportateur de pétrole au monde.
Outre Steven Mnuchin, la patronne du Fonds monétaire international (FMI) Christine Lagarde, ainsi qu'une vingtaine de PDG de sociétés internationales comme EDF, HSBC, Siemens ou Uber, ont renoncé à faire le déplacement.
De grands médias comme Bloomberg, CNN et le Financial Times se sont également désistés. Mais d'autres ont choisi d'y aller comme le PDG du géant pétrolier Total qui a jugé que la "politique de la chaise vide" ne ferait pas avancer les droits de l'Homme. Après avoir qualifié la version saoudienne de crédible, le président américain Donald Trump, sous pression aux Etats-Unis pour agir contre l'allié saoudien, a changé de ton dimanche 21 octobre en parlant de "mensonges" saoudiens et lundi 22 en se disant "pas satisfait" des explications de Ryad.
Le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Jubeir a affirmé que Jamal Khashoggi avait été victime d'un "meurtre", évoquant une "opération non-autorisée" par le pouvoir et dont Mohammed ben Salmane n'était "pas informé". Il a aussi dit ignorer où se trouvait son corps.
Mais selon le quotidien progouvernemental turc Yeni Safak, le chef d'un commando saoudien de 15 agents dépêchés à Istanbul pour tuer le journaliste a été directement en contact avec le bureau du prince héritier après "l'assassinat".
Le ministre a affirmé que des mesures seraient mises en place pour qu'un meurtre comme celui de Jamal Khashoggi "ne puisse plus se reproduire" et a promis une enquête "approfondie et complète".
Avant l'affaire Khashoggi, l'image du prince héritier, à qui le roi Salmane a de facto délégué les affaires courantes du royaume, avait déjà subi un coup dur avec l'arrestation d'hommes d'affaires, de militants des droits de la femme et de dignitaires religieux.
En outre, l'Arabie saoudite, à la tête d'une coalition militaire depuis mars 2015 au Yémen contre les rebelles, a été accusée de multiples "bavures" ayant causé la mort de civils. L'affaire Khashoggi a aussi relancé le débat sur un réexamen des relations avec Ryad notamment au sujet de la vente d'armes. Berlin a appelé les Européens à suspendre tout nouveau contrat d'armement avec le royaume tant qu'il n'aura pas fait toute la lumière sur la mort de Jamal Khashoggi.