Affaire Magnitsky, un parfum de guerre froide

Une crise diplomatique croît depuis le début du mois de décembre 2012 entre les Etats-Unis et la Russie, qui rappelle les moments les plus intenses entre les deux puissances lors de la guerre froide. Les deux Etats s'écharpent autour de la mort douteuse de Sergueï Magnitsky, un avocat d'affaires américano-russe. Mais derrière les grands principes des droits humains se profilent des enjeux plus commerciaux et économiques.
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Affaire Magnitsky, un parfum de guerre froide
La tombe de Sergueï Magnitsky à Moscou - AFP
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La « falaise fiscale » n’est pas le seul sujet de préoccupation du président Obama en cette fin d’année 2012. Juste avant de partir en vacances, le 14 décembre 2012, il a signé le Magnitsky act, une loi en forme de liste noire d’officiels et de citoyens russes bannis à jamais du territoire américain pour avoir violé les droits humains. A peine une semaine plus tard, le président russe Vladimir Poutine, lors de sa conférence de presse de cinq heures devant plus de mille journalistes de la presse nationale et internationale, confirmait que les citoyens américains ne pourraient plus adopter d’enfants russes. Le mercredi 26 décembre, le parlement votait la loi et de nombreuses familles américaines se tordaient les mains de douleur, en apprenant que leurs processus d’adoption étaient bloqués. Et le jeudi 27 décembre, le président russe annonçait qu’il contresignerait très prochainement le Magnitsky act, version russe. Comme aux temps glorieux de la guerre froide, rien ne va plus entre Russes et Américains, et le bras de fer diplomatique ainsi engagé pourrait bien avoir des répercussions sur d’autres discussions plus stratégiques, telles l’avenir de la Syrie.
Affaire Magnitsky, un parfum de guerre froide
La Une des Izvestia du 28 décembre 2012 : “la loi Dima Iakovlev n'est pas au point juridiquement.“
Le 16 novembre 2009, Sergueï Magnitsky, un avocat d’affaires américain d’origine russe, employé par un fonds d’investissement britannique à Moscou, meurt dans une prison russe où il était détenu depuis près d’un an pour fraude fiscale. Maintenu au secret dans des conditions indignes, le jeune juriste de 37 ans développe une pancréatite aiguë, qui ne sera pas soignée, et dont il mourra. Mais son corps est aussi marqué par les coups. Et les responsables directs de sa mort, rapidement identifiés, ne sont pas inquiétés. Un seul est poursuivi, l’ancien médecin chef adjoint de la prison Boutyrka, Dmitri Kratov, pour négligence. Il a été relaxé le vendredi 28 décembre 2012, tandis que les poursuites post mortem contre Sergueï Magnitsky sont maintenues (le procès devrait être s’ouvrir le 28 janvier 2013). Entre lutte contre la corruption et Etat de non droit Pourtant, au sommet de l’Etat, une enquête avait été diligentée par Dmitri Medvedev lui-même, alors président en exercice de la fédération de Russie. Et puis rien : les responsables pénitentiaires ont été démis de leurs fonctions, et les inspecteurs de la police fiscale promus. Sergueï Magnitsky avait dénoncé un complot dont lui et ses collègues (qui ont fui à Londres) auraient été victimes, mais il est possible aussi que la fraude fiscale soit avérée, tant cette pratique est devenu le sport national favori des compagnies nationales et internationales installées en Russie. Ce qui étonne, c’est la dimension que l’affaire a prise de part et d’autre du monde. Les mauvais traitements ne manquent pas dans les prisons russes (ni dans les américaines, cf le camp de Guatanamo…), et ils sont régulièrement mis au jour par les organisations de défense des droits humains. Il semble que derrière cette indignation, se profilent des raisons plus terre à terre, sous-tendues par la crise : le Magnitsky act américain a en effet suspendu l'abrogation de l'amendement Jackson-Vanik de 1974, qui imposait de sévères restrictions aux échanges commerciaux avec l'Union soviétique et, par la suite, avec la Russie, héritière en droit de l'URSS.
Affaire Magnitsky, un parfum de guerre froide
La Une du Seattle Times, du 27 décembre 2012, aux Etats-Unis : la Russie s'apprête à interdire l'adoption de ses enfants par des Américains
Les Etats-Unis ont même demandé à leurs alliés européens de prendre des mesures semblables, qui rappellent les tourments des pires années de la guerre froide, révélant une nouvelle guerre moins idéologique et beaucoup plus économique. La France n’a pas suivi… Des enfants pris en otages, des deux côtés... Désormais tout citoyen russe, soupçonné de ne pas avoir respecté les droits de la personne, sans que l’on sache très bien qui définira ces atteintes, ne pourra plus pénétrer sur le sol américain. Tandis que, outre une liste noire d’Américains indésirables en Russie, les enfants russes ne pourront plus être adoptés de l'autre côté de l'Atlantique. La loi s’appellera Dima Iakovlev, en souvenir d’un bébé adopté aux Etats-Unis en 2008  et mort après avoir été laissé 4h dans une voiture par plus de 30° à l’extérieur. Deux ans plus tard, une mère adoptive renvoyait sans ménagement du Tennessee son fils de 7 ans vers Moscou, muni d’un aller simple, parce qu’elle ne voulait plus s’en occuper. Les deux affaires avaient bouleversé les médias russes. 46 procédures d’adoption en cours sont d’ores et déjà bloquées, et la loi Dima Iakovlev ne fait pas l'unanimité en Russie, en particulier dans les orphelinats. Dix mille enfants sont adoptés chaque année en Russie, dont plus du tiers par des étrangers.

Vladimir Poutine préfère l'adoption des enfants russes en Russie

28.12.2012
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