Affaire Max Mosley : les techniques et limites de l'e-réputation

Le terme d'e-réputation se trouve de nouveau propulsé sur le devant de la scène depuis que le président de la fédération internationale automobile, Max Mosley, a saisi le Tribunal de Grande Instance de Paris. Sa demande judiciaire vise à obliger Google à bloquer les requêtes pouvant permettre aux internautes de visionner des photos ou des vidéos de ses frasques sado-masochistes avec des prostituées. Le tribunal a ordonné mercredi 6 novembre à Google de retirer 9 clichés de Max Mosley. Cette décision soulève de nombreuses questions autour de ce concept de la mémoire d'Internet et de la réputation électronique. Entretien avec Bluetouff, spécialiste en sécurité informatique et technologies de l'information et de la communication. 
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Affaire Max Mosley : les techniques et limites de l'e-réputation
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Max Mosley estime que les vidéos et les photos où on le voit déguisé en train de commettre des actes sado-masochistes avec des prostitués (lire en encadré) ne devraient plus être accessibles sur l'Internet. Sa demande de blocage par le moteur de recherche le plus utilisé, Google, est surprenante : il faudrait que l'entreprise américaine programme rien que pour lui un algorithme permettant de repérer les images fixes ou animées le concernant pour en empêcher l'accès à tous les internautes ! Au delà de cette affaire, c'est la problématique de "l'image" de chacun sur le réseau qui résonne, celle de la réputation électronique, que ce soit pour la corriger ou encore pour la fabriquer. Il existe de nombreuses entreprises proposant leurs services autour de l'e-réputation, utilisant des techniques plus ou moins efficaces pour faire disparaître les propos ou images gênants, améliorer la notoriété de quelqu'un ou étouffer des rumeurs. La limite entre censure, propagande et simple communication marketing est souvent étroite, les techniques utilisées pas toujours très éthiques, voire illégales. Entretien avec Bluetouf, hacker, cyber-investigateur et co-fondateur du site d'information Reflets.info :

Bluetouff : “Il faut se poser la question si on doit dans le futur privilégier le droit à l'oubli face au devoir de mémoire“

Que pensez-vous de la demande en justice de Max Mosley envers Google ? Bluetouff : La demande technique est de toute manière assez improbable : créer des algorithmes de détection d'images rien que pour monsieur Mosley coûterait quand même très cher. Par contre, dans cette affaire il y a la notion de droit à l'oubli. On a entendu des politiques qui ont la volonté de nettoyer Internet, de nettoyer Google : ça ressemble surtout à un droit de faire oublier leurs propres bêtises… Il semble que ce droit soit surtout réservé aux élites, aux VIP (Very Important Person en anglais, personnes très importantes, ndlr). "Monsieur et madame tout le monde" ne vont pas facilement bénéficier du droit à l'oubli s'il faut faire des procès à Google. Il est toujours possible de faire retirer des contenus, s'il y a une motivation suffisante. On ne fait pas fermer le site, on fait seulement retirer le contenu qui est gênant pour la personne. Mais la démarche de Mosley est un peu ridicule, il faudrait qu'il s'en prenne aussi à Yahoo, bing, tous les autres moteurs de recherche. Et puis si chaque personne qui veut nettoyer ses contenus peut porter plainte contre un moteur de recherche, on n'a pas fini.
Affaire Max Mosley : les techniques et limites de l'e-réputation
News of the world, le journal qui a divulgué l'affaire Max Mosley
Qui se préoccupe de son e-réputation en France, au premier chef ? B : Toutes les personnes qui ont une vie publique : les politiques, les chefs d'entreprise, les journalistes, les personnes célèbres. Mais en premier lieu, les politiques. La personne qui va demander des sondages sur sa réputation c'est quelqu'un qui veut être élu. Le problème avec l'e-réputation, gérée par des entreprises spécialisées, c'est qu'on ment aux électeurs en nettoyant Internet : si lorsqu'on cherche à connaître un homme ou une femme politique sur Internet et que l'on trouve uniquement des articles élogieux, c'est fausser la donne. Il y a un business autour de l'e-réputation, qu'en pensez-vous ? B : Oui, c'est un marché, il y a de l'argent, on parle de 110 millions d'euros. Il est assez lucratif parce que les personnes qui utilisent ces services ont des moyens. Le prix varie en fonction de jusqu'où va le travail de l'agence : entre simplement toiletter  les réseaux sociaux ou aller jusqu'à agir sur les propositions de recherche de Google, les prix doivent beaucoup varier mais je ne les connais pas précisément.
Affaire Max Mosley : les techniques et limites de l'e-réputation
Quelles sont les techniques utilisées pour améliorer l'image d'un politique, un dirigeant d'entreprise ou effacer certaines informations à leur propos  ? B : C'est souvent à la limite de la légalité et c'est parfaitement à l'encontre de la "netiquette" (éthique internet, ndlr). Typiquement, quand une personne se sent attaquée sur Twitter ou Facebook, elle "aimer" des contenus Facebook ou retwitter des contenus élogieux sur elle-même, visionner des vidéos Youtube qui la concernent et la mettent en valeur. Youtube a d'ailleurs nettoyé pas mal de faux visiteurs sur certains contenus. Universal est passé de plusieurs milliards à quelques millions de visiteurs pour certains contenus, c'est assez drôle. Il y a aussi des tentatives d'intimidation pour faire retirer certains contenus, sur des blogs la plupart du temps. Par contre sur un site d'information, c'est beaucoup plus difficile, il y a la liberté de la presse, le droit d'être informé. La technique de la noyade est aussi souvent utilisée pour faire disparaître des informations dérangeantes dans des pages Google plus lointaines que les gens ne consultent pas ou peu. Il y alors des gens payés dans les agences d'e-réputation pour créer plein de faux contenus positifs, sous forme de blogs, de comptes tumblr, etc… Mais si c'est exagéré, souvent on s'en rend compte, et là, ça finit dans la presse : ça dessert donc la personne plus que ça ne l'aide. C'est ce qu'il s'est passé avec Nadine Morano qui a eu d'un seul coup plein de comptes qui ne tweetaient rien mais la suivaient, on peut penser que c'étaient des "bots" (comptes twitter automatisés, des robots, ndlr). A l'opposé, on peut penser que des spécialistes travaillent à salir l'image de quelqu'un… Qu'en est-il, d'après-vous, du "e-salissement" ? B : Etrangement, je pense que c'est une pratique nettement moins courante. Il faut vraiment en vouloir à une personne, pour lui nuire, et c'est parfaitement illégal. On rentre dans le cadre de la diffamation. Par contre ce qui est vrai, c'est que des commentaires sont dupliqués pour attaquer des personnalités politiques, on les repère assez facilement sur les moteurs de recherche. Les personnes les plus actives dans ce cadre là sont souvent les gens d'extrême droite. Avec Apple, on trouve aussi quelque chose d'assez unique, parce que c'est la seule entreprise dont les fans sont capables d'aller attaquer des marques concurrentes ou d'aller s'enflammer pour leur marque fétiche. Il ne faut pas toucher à Apple ou au Front National en France sous peine de voir pas mal de monde venir s'énerver.
Affaire Max Mosley : les techniques et limites de l'e-réputation
A l'avenir, comment voyez-vous évoluer le principe d'e-reputation et celui de la mémoire d'internet, du droit à l'oubli. Sera-t-il possible de ré-écrire l'histoire, comme dans le roman 1984 d'Orwell ? B : Je vais placer mon point Godwin avec l'affaire Mosley, mais on oppose là le droit à l'oubli avec le devoir de mémoire (Mosley était déguisé en Nazi dans ses ébats sexuels filmés, ndlr). C'est un sacré exemple. Il faut se poser la question si on doit dans le futur privilégier le droit à l'oubli face au devoir de mémoire. On ne sait pas, il y a surement un juste équilibre à trouver, mais je ne crois pas que la démarche de Max Mosley soit la bonne. C'est comparable à la lutte virale et anti-virale : il y aura toujours des gens en pointe dans les techniques de Black SEO (forcer un moteur de recherche dans son référencement), et des entreprises de moteurs de recherche qui trouveront des parades, des méthodes de détections de leurs règles internes. Mais l'imagination est sans limite dans ce cadre, bien que les gens de l'e-réputation auront toujours une longueur d'avance. Il est difficile de contrer le génie d'un cerveau humain avec des algorithmes.

La justice française a tranché

AFP
La justice française a ordonné mercredi 6 novembre 2013 à Google de retirer et de faire cesser l'affichage sur son moteur de recherche Google Images de neuf clichés montrant les ébats sadomasochistes de l'ex-patron de la Fédération internationale de l'automobile (FIA) Max Mosley.                   Ces neuf clichés sont extraits d'une vidéo, dont des images, publiées en 2008 par le magazine anglais News of the World, avaient déjà fait l'objet de plusieurs jugements, rendus en France ou en Angleterre, reconnaissant l'atteinte à la vie privée de Max Mosley.                   "Cette décision devrait inquiéter tous ceux qui défendent la liberté d'expression sur internet", a commenté Daphne Keller, en charge du dossier chez Google. La société a indiqué qu'elle ferait appel de ce jugement, rendu par la 17e chambre civile du tribunal de grande instance de Paris. Mais l'appel n'est pas suspensif, le tribunal ayant ordonné l'exécution provisoire de la décision.                   Le tribunal a ordonné le retrait dans un délai de deux mois suivant la signification de la décision, et ce pendant une durée de cinq années, des neuf images litigieuses, sous astreinte de 1 000 euros par manquement constaté. Le géant de l'internet a également été condamné à verser un euro de dommages et intérêts à M. Mosley et 5 000 euros au titre des frais de justice.                   L'ancien patron de la FIA a en revanche été débouté de ses autres demandes, visant à obliger Google à bloquer en amont toutes les images ou films issus de ces enregistrements, qu'ils aient ou non déjà été diffusés.                   L'affaire avait éclaté en mars 2008 quand l'hebdomadaire News of the World avait diffusé sur son site internet une vidéo montrant Max Mosley avec cinq prostituées, se faisant dominer par des femmes vêtues d'uniformes ou du costume rayé des prisonniers des camps de concentration. La patron de la FIA avait rejeté toute connotation nazie et crié à la violation de sa vie privée. Certains avaient alors réclamé sa démission mais il était resté en fonction jusqu'en novembre 2009.