Malgré les précisions avancées par un site d’investigation sur le cursus militaire d’un des suspects de l’affaire Skripal - l’empoisonnement d’un ex-espion russe réfugié au Royaume-Uni et de sa femme - , Moscou persiste à nier toute implication et accuse Londres de désinformation.
Affaire d’États ou crime crapuleux ? Espions ou touristes ? La Russie a rejeté jeudi les informations publiées par le site d'investigation Bellingcat présentant l'un des deux hommes accusés par Londres d'avoir empoisonné l'ex-espion Sergueï Skripal en mars en Angleterre comme un colonel du renseignement militaire russe.
Le Royaume-Uni accuse Moscou d'être derrière cette attaque, à l'origine d'une grave crise diplomatique entre le Kremlin, qui nie toute implication, et les Occidentaux. «
Y aura-t-il quelque preuve que ce soit de l'implication de qui que ce soit dans l'empoisonnement ? », interroge une de ses porte-paroles.
Le miroir aux espions
L’homme qui enfièvre les chancelleries se nomme Sergueï Viktorovitch Skripal. Son visage reste inconnu du public.
C’est un ancien officier russe de 67 ans du renseignement militaire et un ancien agent double pour les services de renseignement du Royaume-Uni. Recruté par ces derniers au milieu des années 1990, il a fourni des informations au MI 6, le service de renseignement britannique.
En décembre 2004, il est arrêté par le contre-espionnage russe (FSB). Jugé en 2006, reconnu coupable de haute trahison, il est envoyé dans un camp de prisonniers en Mordovie.
Le 9 janvier 2010, Sergueï Skripal est gracié par le président Medvedev et échangé contre des espions russes arrêtés en Occident dans le cadre du « Programme des Illégaux ». Il est débarqué en Grande-Bretagne, récupéré par les Britanniques. Il s'installe à Salisbury.
L’air mauvais de Salisbury, l’escalade planétaire
Le 4 mars 2018, Skripal et sa fille Ioulia, qui était venue en visite de Moscou, sont empoisonnés avec un agent neurotoxique de type Novitchok. Les Skripal survivent à l'empoisonnement, ainsi qu'un policier contaminé en leur portant secours.
Il n’en est pas moins classé comme une tentative de meurtre. Le gouvernement britannique en accuse Moscou et annonce, malgré ses dénégations, des mesures de rétorsion. Il reçoit le soutien des États-Unis et de plusieurs alliés. 23 diplomates russes seront expulsés du Royaume-Uni mais aussi 60 des États-Unis, quatre de France, autant du Canada, un de Belgique…
Moscou riposte: au moins 121 diplomates en poste en Russie sont expulsés dont 60 américains.
En marge de l’affaire Skripal, deux nouvelles personnes ont entretemps été contaminées par l'agent innervant Novitchok. Dawn Sturgess, une mère de trois enfants âgée de 44 ans est hospitalisée dans un état critique. Elle décède le 8 juillet. Son compagnon, Charlie Rowley, sort de l’hôpital quelques jours plus tard. Il explique avoir ramassé une bouteille de ce qu'il pensait être du parfum pour l'offrir à sa compagne.
Les charges de Londres
Selon l'enquête de Londres, l'attaque les Skripal a été perpétrée par deux « officiers » du GRU (Renseignements militaire russe), identifiés par la police britannique comme étant les ressortissants russes Alexander Petrov et Ruslan Bochirov, deux noms que la police soupçonne cependant d'être des noms d'emprunt. Ils font l'objet le 5 septembre d'un mandat d'arrêt.
Moscou, de son côté a toujours nié toutes ces accusations. Pour ses dirigeants et médias, l'affaire Skripal est montée de toutes pièces par le Royaume-Uni dans le but de discréditer la Russie. Les ressortissants russes incriminés y sont, dit-on, inconnus.
Theresa May persiste. Son secrétaire d'Etat britannique à la Sécurité, Ben Wallace, considère le président russe Vladimir Poutine responsable «
en dernier ressort » de l'attaque au Novitchok.
Tourisme
Mi-septembre, ce dernier annonce lui-même que les accusés de Londres ont enfin pu être identifiés : des « civils » n'ayant rien fait de « criminel ». «
Nous espérons, ajoute le président, qu'ils apparaîtront eux-mêmes au grand jour pour dire qui ils sont ».
Les deux hommes ne tardent pas en effet à apparaître, interviewés par la télévision russe. Ils se décrivent comme de simples touristes, venus visiter la cathédrale de Salisbury, parfaitement étranger à l’empoisonnement des Skripal.
Incrédulité en Grande-Bretagne, et réponse ironique sur Twitter du ministre britannique des Affaires étrangères Jeremy Hunt : «
La dernière fois que l'armée russe a prétendu être en vacances, c'est quand elle a envahi l'Ukraine en 2014 ».
Renvoi de balles
Le 26 septembre, le site d’ « investigation » anglais
Bellingcat déclare avoir trouvé la véritable identité de l’un des deux « touristes ». Ruslan Boshirov, affirme-t-il, est en fait le colonel Anatoli Tchepiga, un officier du GRU décoré de hautes distinctions.
Le site publie une photo du passeport d'Anatoli Tchepiga datant de 2003, qui ressemble au « Ruslan Boshirov » de la photo diffusée par Londres.
Selon Bellingcat, Tchepiga est né en 1979 à Nikolaïevka, village de l'est de la Russie. Sorti d'une prestigieuse académie militaire de cette région, il a ensuite servi au sein des forces spéciales du GRU, selon cette source, et s'est rendu à trois reprises en Tchétchénie alors qu'il était dans les forces spéciales. Il aurait reçu la prestigieuse distinction de « Héros de Russie » en 2014.
L’escalade dans la précision ne démonte pas la diplomatie russe, dont la porte-parole Maria Zakharova réplique ce jeudi 27 septembre sur Facebook : «
Il n'y a aucune preuve, donc ils continuent leur campagne sur le front de l'information dont le seul but est de détourner l'attention de la principale question: que s'est-il passé à Salisbury ? ». Certes.