Afghanistan : "La propagande de Daech dépeint les talibans comme “des suppôts de l’occupation américaine”"

Les craintes de la communauté internationale sur les potentielles menaces terroristes autour de l'aéroport de Kaboul en Afghanistan se sont confirmées : plusieurs explosions ont eu lieu ce jeudi 26 août, à proximité de l'aéroport. Mais d'où vient la menace terroriste qui pèse sur Kaboul et comment la comprendre ? Le professeur Frédéric Esposito, spécialiste du terrorisme et des relations internationales tente de répondre à ces questions. 
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explosion kaboul
De la fumée s'élève dans le ciel de Kaboul, après une série d'explosions meurtrières qui ont frappé la ville.
Wali Sabawoon / AP
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La ville de Kaboul vient d'être touchée par plusieurs explosions, la question de la menace terroriste qui plane sur l'Afghanistan est plus que jamais au coeur de l'actualité. Ce jeudi 26 août, plusieurs pays appelaient leurs ressortissants à s'éloigner de l'aéroport en raison de ces menaces. Frédéric Esposito, politologue et expert en relations internationales à l'Université de Genève, dresse un état des lieux des menaces terroristes en Afghanistan. 
 

TV5MONDE : D’où vient la menace terroriste qui pèse sur l’aéroport de Kaboul ?

Frédéric Esposito, politologue et expert en relations internationales à l'Université de Genève : Elle ne vient pas forcément des talibanS eux-mêmes, ce n’est pas dans leur intérêt de menacer l’aéroport. Ils veulent que l’évacuation des derniers afghans et de la communauté internationale puisse se faire le plus rapidement possible puisque ils ont un enjeu de vouloir garder leur population sur le territoire, notamment les personnes qui sont bien formées.

En 2015, l’État islamique a créé une branche locale, qu’ils ont appelé l’État islamique du Khorasan, qui a connu des défaites militaires dans des places fortes d’Afghanistan, mais qui depuis une année a reconquis un espace non négligeable et qui pourrait profiter de la situation du pays.

Frédéric Esposito, politologue et expert en relations internationales

L’enjeu et la menace viendrait plutôt de Daech, car il faut le rappeler, en 2015, l’État islamique a créé une branche locale, qu’ils ont appelé l’État islamique du Khorasan, qui a connu des défaites militaires dans des places fortes d’Afghanistan, mais qui depuis une année a reconquis un espace non négligeable et qui pourrait profiter de la situation du pays. La propagande de Daech dépeint les talibans comme “des suppôts de l’occupation américaine”. Ils essayent de récupérer des djihadistes en leur faisant croire que la position des talibans n’est pas aussi rigoureuse qu’ils l’ont annoncé.

En dehors de l’aéroport, il y a aussi une tension avec Al-Qaida, qui tout en étant un allié des talibans, puisque les talibans avaient hébergé leur chef Ben Laden en Afghanistan.  Il y a un triptyque entre les taliban, Al-Qaida et Daech, qui vont se livrer à une concurrence forte pour une reprise du pouvoir. Pour autant, que ce soit Al-Qaida ou Daech, ils ont une velléité de développer un terrorisme international, à l’inverse des talibans qui eux se concentrent sur l’espace et le territoire national.

TV5MONDE : À propos de l’État islamique du Khorasan, qui sont-ils et combien sont-ils ?

Frédéric Esposito : Cette zone qui regroupe des combattants djihadistes de cette branche de l’État islamique regroupe à la fois des déçus des talibans mais aussi d’Al-Qaida. C’est une volonté très opportuniste de la part de Daech de récupérer des anciens combattants de ces deux groupes terroristes concurrents. Ils constituent entre 1500 et 2200 hommes environ. Bien qu’étant bien moins nombreux que les talibans, ils ont néanmoins réussi à pouvoir mener des attaques dans Kaboul même, même contre le palais présidentiel, voire viser des chefs talibans.

Les Nations Unies ont dénombré environ 80 attaques de la part de cette branche de l’État islamique contre les talibans et le gouvernement afghan. 

Frédéric Esposito, politologue et expert en relations internationales

C’est donc une menace tout à fait sérieuse qui menace à la fois le pouvoir qui est en train de se mettre en place avec les talibans, mais aussi pour l’instabilité de la région. Plus généralement, l’autre hypothèse sur cette menace terroriste est que l’Afghanistan puisse être considéré comme un sanctuaire terroriste par d’autres groupes terroristes.

Les Nations Unies ont dénombré environ 80 attaques de la part de cette branche de l’État islamique contre les talibans et le gouvernement afghan.  Ils sont présents depuis 2015, donc c’est une menace à la fois récente mais qui s’inscrit aussi dans la durée. Elle est tout a fait prise au sérieux, mais aussi organisée et structurée.

TV5 Monde : Comment différencier ces différentes organisations terroristes ?

Frédéric Esposito : Depuis 1998 où Ben Laden avait annoncé générer ce terrorisme dit global, on avait vu Al-Qaida comme étant principalement un groupe terroriste qui ne cherche pas à être fixé dans un territoire. Même si ses revendications sur un territoire se sont matérialisées assez récemment. À l’inverse, l’État islamique, comme on a pu le voir en Syrie, a toujours voulu fixer au sein d’un territoire son projet politique, qui pour Al-Qaida était dangereux dans la mesure où ça fixait le combat sur un lieu, sur une frontière, alors qu’ils souhaitaient eux être une menace beaucoup plus diversifiée.

On est face à 3 groupes terroristes qui sont particulièrement violents. Ils défendent tous une vision radicale de l’islam et sont, à quelques nuances près, à mettre dans le même panier.

Frédéric Esposito, politologue et expert en relations internationales

La distinction se fait donc d’une part par le projet politique : les deux visent et défendent un terrorisme global, mais n’ont pas la même vision sur le projet politique.  Maintenant sur la nature, je dirais radicale des mouvements, on est face à 3 groupes terroristes qui sont particulièrement violents. Ils défendent tous une vision radicale de l’islam et sont, à quelques nuances près, à mettre dans le même panier. La menace pour la communauté internationale et pour la population afghane et les pays limitrophes est de même acabit.

Les talibans lissent beaucoup leurs discours, parce qu’ils savent qu’il faut gagner la confiance de la communauté internationale parce qu’ils ont un enjeu économique : 22% du PIB afghan provient de l’aide internationale.

Frédéric Esposito, politologue et expert en relations internationales

Dans le contexte actuel, il faut faire attention aux effets de manche, aux effets de communication des talibans qui lissent beaucoup leurs discours, parce qu’ils savent qu’il faut gagner la confiance de la communauté internationale parce qu’ils ont un enjeu économique : 22% du PIB afghan provient de l’aide internationale. Aujourd’hui, le Fonds Monétaire International et la Banque centrale afghane ont gelé leurs crédits jusqu’à ce que la situation soit un peu plus claire. Il y a aussi une volonté de montrer un visage un peu différent, mais le projet politique derrière est assez convergent.