Fil d'Ariane
Il s'agit d'une crise humanitaire grave. Plus de 550 000 Afghans ont fui les derniers combats en Afghanistan. La France, pourtant, n'entend pas ouvrir ses frontières à tous ces réfugiés de guerre. C'est ce qu'a affirmé avec force le président français, Emmanuel Macron dans son allocution télévisée : "Nous devons anticiper et nous protéger contre les flux migratoires irréguliers importants qui mettraient en danger ceux qui les empruntent et nourriraient les trafics de toute nature."
Cette prise de position irrite de nombreux responsables associatifs, acteurs de terrain auprès des demandeurs d'asile en France. C'est le cas de François Guennoc, président de l’association L’auberge des migrants. Cette dernière œuvre à Calais auprès des populations en exil, candidats au voyage pour le Royaume-Uni. Les Afghans constituent la majorité de ces populations réfugiées présentes sur Calais.
“Pour nous ce n’est pas un flux migratoire, ce sont des personnes, des gens, des hommes, des femmes, des enfants qui ont une histoire de vie, qui fuient la guerre, la dictature, les dangers de mort”, réagit François Guennoc. Selon lui, la question de l'asile doit d'autant plus se poser que la situation est dramatique en Afghanistan.
“Le minimum absolu serait que la France accueille ceux qui ont coopéré avec l’ambassade et l’armée française, ce qui ne paraît pas si évident. La France devrait aussi accueillir ceux qui fuient leur pays en guerre”, rajoute-t-il.
La déception reste aussi de mise du côté d'Amnesty International France (ONG de défense de droits humains). Leur directrice de l’action, Nathalie Godard, interrogée sur le plateau de TV5MONDE ce mardi 17 août exprime son ressenti : "On attendait un signal fort pour l’accueil et la protection des personnes en danger. On peut dire qu’on ne l’a pas eu”, se désole-t-elle.
Le vocabulaire utilisé par le président français ne passe pas pour la jeune femme. “On parle de personnes qui vont fuir un régime de terreur. C’est désastreux du point de vue humain mais également contraire au droit international. Ces personnes dépendent du droit des réfugiés, du droit de pouvoir trouver asile ailleurs. Ce ne sont pas des personnes en situation irrégulière, mais des personnes qu’il faut protéger. Ce message-là, on ne l’a pas entendu”, déplore-t-elle.
Le président Macron a promis de “protéger les personnes les plus menacées”, c'est-à-dire celles ayant coopéré avec les autorités françaises, notamment à Kaboul. Pour la directrice de l'ONG, cette promesse manque de précisions concernant les action à mener. “Ce discours n’a pas été accompagné de chiffres ou de propositions concrètes, comme des visas humanitaires par exemple. Les mots 'asile' ou 'réfugiés' n’ont même pas été prononcés”, regrette-elle.
Selon Amnesty International France, le regard se tourne forcément vers la politique migratoire de l’Union Européenne. Les pays membres sont incapables de se mettre d'accord sur une politique d'accueil commune. Le pacte migratoire proposé par la Commission européenne en septembre 2020 reste aujourd’hui à l’arrêt.
De nombreux pays membres, dont la Slovénie, ou la Hongrie refusent d’entendre parler d’asile et de réfugiés. “On attend de l’Europe qu’elle prenne vraiment des dispositions, afin de proposer une position commune pour une politique d’accueil coordonnée, à la hauteur des enjeux de protection, et contre les renvois en Afghanistan”, détaille t-elle.
Pour autant le discours d'Emmanuel Macron n'a pas choqué tous les défenseurs des droits des migrants. C'est le cas de Pierre Henry, ancien président de l'association France - Terre d'asile, et président actuel de France Fraternité : “Pour analyser les propos d'Emmanuel Macron, il faut prendre l’ensemble du discours et le mettre face à celui d’Angela Merkel. En realité, ils disent la même chose. Il est nécessaire, dans un premier temps, de protéger les personnes qui fuient les talibans, les personnes les plus menacées. Ensuite, il faut travailler avec les pays de premier accueil, les pays limitrophes, comme le Pakistan". Et de poursuivre : "C'est ce qu'Angela Merkel a évoqué".
Selon le président de France Fraternité, Pierre Henry, il faut d'abord s'occuper des personnes déjà présentes et qui n’ont pas de statut. “Les personnes présentes sur le territoire européen qui errent car ils ont été déboutés, vont-ils se voir attribuer un titre de séjour ?", s’interroge-t-il.
Selon lui, le risque d’arrivée massive d’Afghans sur le territoire français est quasiment nul. “En 2020, 40 000 Afghans ont demandé asile en Europe, dont 10 000 en France. L'Europe ne risque pas (pour l’instant) de tsunami migratoire. Il faut en effet de l’argent pour migrer jusqu’ici. Les pays limitrophes vont effectivement absorber la majeure partie du flux migratroire”, explique Pierre Henry.
La priorité pour ces acteurs de terrain est d'éviter le drame des expulsions. En juillet, Kaboul avait demandé à l’Europe de geler les expulsions vers l’Afghanistan. Tous les pays de l'Union Européenne n’ont pas répondu positivement à cette demande. La France a officiellement accepté de ne pas renvoyer en Afghanistan les ressortissants n’ayant pas de situation régulière sur son territoire.
Néanmoins, la situation n’est pour autant pas idéale estime François Guennoc. "Pour le moment la France n’a pas prévu de renvoyer les gens en Afghanistan, mais elle les renvoie parfois dans d’autres pays, dans le cadre du règlement de Dublin. Nous ne savons pas ce que vons décider ensuite ces pays. L’insécurité qui pese sur les exilés afghans aujourd’hui, va continuer”, regrette François Guennoc.
Pour tous ces acteurs associatifs de l’aide aux demandeurs d’asile, la réponse de la France n’est donc pas à la hauteur de la tragédie qui se joue aujourd’hui en Afghanistan. Pour Nathalie Godard, l’Union Européenne, ainsi que la France ne semblent pas avoir appris des expériences passées : “Il faut tirer les lecons de la crise migratoire de 2015 pour avoir une réponse commune à la hauteur de ce défi. il faut que l'Union Européenne ait un vrai pouvoir pour y arriver".