Agression de Salman Rushdie : "Les Occidentaux sous-estiment la menace de la République islamique d’Iran"

La tentative d'assassinat de l'écrivain Salman Rushdie, ce vendredi 12 août a ravivé la terreur imposée par la fatwa émise par les Ayatollahs iraniens contre l'auteur des "Versets sataniques". Hadi Matar, l'agresseur présumé d'origine libanaise, serait d'ailleurs un grand admirateur de Khomeiny. Dans quelle mesure le régime iranien a-t-il une responsabilité dans ces évènements ? La sociologue, politiste et spécialiste de l'Iran, Mahnaz Shirali nous livre son analyse.
Image
Ayatollahs
Des portraits du défunt fondateur révolutionnaire, l'ayatollah Khomeiny, et du guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, sont exposés à l'entrée du village frontalier libano-israélien de Yaroun, au sud du Liban, le samedi 13 août 2022. C'est le village d'origine de la famille de Hadi Matar, l'agresseur présumé de Salman Rushdie.
 
(AP Photo/Mohammed Zaatari)
Partager 7 minutes de lecture

TV5MONDE : L’assaillant présumé de Salman Rushdie est Hadi Matar, un jeune américain, visiblement d’origine libanaise et grand admirateur de Khomeiny. Que sait-on de ses motivations ? 

Mahnaz Shirali, sociologue, politiste et spécialiste de l'Iran : Selon les commentaires de journalistes iraniens vivant aux Etats-Unis et qui ont épluché les réseaux sociaux de Hadi Matar il vouait en effet une grande admiration à Khomeiny. Il semblerait qu’il vienne du sud du Liban et qu'il soit proche du Hezbollah libanais [parti politique islamiste chiite libanais, considéré comme terroriste par de nombreux pays. Il est soutenu et financé par l'Iran, ndlr]. Il est a priori sous l’influence de la pensée des Ayatollahs iraniens, Khomeiny en tête. 

(Re)lire États-Unis : qui est Hadi Matar, l'agresseur présumé de Salman Rushdie ?
 

TV5MONDE : Le jeune homme a moins de 25 ans, est né aux Etats-Unis. La fatwa émise par l'Ayatollah Khomeiny concernant Salman Rushdie date de 1989. Hadi Matar n’était pas encore né. De quoi son engagement est-il le symbole ?

Mahnaz Shirali : C'est quelque chose que l'on a pu remarquer aussi chez de jeunes français qui se sont rattachés à la pensée de DAESH, qui sont allés en Syrie. C’est le même phénomène. Ce sont des enfants de migrants, mais qui ont développé une double relation avec le pays d’accueil de leurs parents : l’amour et la haine. Le pays est attractif mais ils n’ont pas été intégrés comme il fallait. On peut retrouver la même dynamique dans les banlieues françaises, chez certains descendants d'immigrés maghrébins. Le pays d’accueil exprime un genre de mépris envers eux. C'est le cas de Hadi Matar.

(Re)voir États-Unis : ce que l'on sait de l'assaillant de Salman Rushdie

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

Le FBI n’a pas encore donné beaucoup d’informations. Certains journalistes ont découvert que ses parents étaient du Sud du Liban et a priori leur fils a une vision très fantasmagorique de leur pays d’origine. C’est quelque chose de fréquent également chez beaucoup d’Iraniens vivant aux Etats-Unis. Certains ne parlent même pas le persan et idéalisent ce qui se passe en Iran, sans oser critiquer quoi que ce soit venant du pays. Ils sont une cible parfaite pour la propagande islamiste. C’est certainement le cas de ce jeune homme.

C’est un Etat qui a une forte capacité de nuisance aussi bien à l’intérieur de ses frontières qu’à l'extérieur, et ce, même sur le sol américain.
Mahnaz Shirali, sociologue, politiste et spécialiste de l'Iran
(Re)voir Salman Rushdie, 30 ans de vie sous fatwa
TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...
 
TV5MONDE : Cette fatwa appelant à tuer Salman Rushdie avait été émise en 1989 par l'Ayatollah Khomeiny. En 1998, le le président plutôt réformateur Mohammad Khatami a appelé à ne pas l'appliquer. Puis en 2005, le successeur de Khomeiny, l'Ayatollah Khamenei la relance. Le romancier était-il encore un sujet d'actualité en Iran avant cette attaque ? 


Mahnaz Shirali : Les Occidentaux sous-estiment la menace de la République islamique d’Iran. C’est pourquoi on a peut-être pu penser que Salman Rushdie n’était plus en danger. Cela fait 43 ans que ce régime est en place, on n’a jamais voulu prendre au sérieux ses menaces. Bien qu'étant chercheuse, comme je suis Iranienne, quand je le dis, je passe pour une simple opposante politique. Or, les preuves nous montrent que c’est un Etat qui a une forte capacité de nuisance aussi bien à l’intérieur de ses frontières qu’à l'extérieur, et ce, même sur le sol américain, comme on le voit ici.

Je le considère comme un mercenaire avéré de la République islamique d’Iran.
Mahnaz Shirali, sociologue, politiste et spécialiste de l'Iran

Récemment, il y a une succession de faits remarquables. Juste avant Salman Rushdie, on apprenait que Téhéran avait visé John Bolton [ancien conseiller à la Sécurité nationale de Donald Trump, ndlr] en planifiant son assassinat, et avant cela c’est l’opposante iranienne vivant aux Etats-Unis, Masih Alinejad, qui était ciblée ​[un homme armé d'une kalachnikov a été arrêté à New York devant son domicile, ndlr]. En ce moment l’Iran est en pleines négociations concernant l'accord sur le nucléaire. La République islamique d’Iran n’a pas la possibilité d’imposer ses conditions aux puissances étrangères, donc elle fait appel à sa capacité de nuisance.

(Re)lire En exil, la journaliste et militante féministe iranienne Masih Alinejad toujours menacée
 

TV5MONDE : C’est ce contexte politique qui aurait poussé Hadi Matar à agir maintenant ? 

Mahnaz Shirali : Ce n’est évidemment pas un acte isolé. Il faut vraiment ne pas connaître la situation de ce pays pour le croire. Le régime n’arrive pas à avancer dans les négociations diplomatiques, donc il fait appel à d’autres forces. Je le considère comme un mercenaire avéré de la République islamique d’Iran.

TV5MONDE : Salman Rushdie et ses écrits sont-ils encore un sujet d'actualité dans la société iranienne aujourd’hui ? 

Mahnaz Shirali : Pas du tout. Cela dit, après l’attentat la presse iranienne a félicité l’agresseur. Cela représente selon moi, la position de l’Etat iranien, même s’il n’y a pas eu de déclarations officielles du gouvernement. Mais l’opinion publique est catastrophée. Sur des réseaux comme Club House, hier soir, des milliers d’Iraniens étaient horrifiés et voulaient à tout prix se démarquer.

(Re)voir Salman Rushdie, héros malgré lui de la liberté d'expression

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

Les Iraniens s’expriment beaucoup sur les réseaux sociaux, c’est la seule voix qu’ils peuvent utiliser pour communiquer, notamment avec le monde occidental. C'était d'ailleurs le sujet de mon ouvrage "Fenêtre sur l'Iran" (aux éditions les Pérégrines). Les internautes iraniens parlaient de répression à l’intérieur du pays et de nuisance à l’extérieur. Pour moi, le message envoyé par cet attentat, c'est un Etat qui terrorise son peuple et les autres pays.


Une journaliste iranienne partage cette vidéo d'archives montrant le soutien de la classe politique locale (réformateurs et fondamentalistes) à la fatwa concernant Salman Rushdie : 


(Re)lire Des États-Unis à l'Iran, quelles sont les réactions à l’attaque de Salman Rushdie ?

TV5MONDE : Selon vous, quels seraient les effets attendus par le régime de cette tentative d’assassinat sur les négociations concernant le nucléaire iranien ? 

Mahnaz Shirali : Ce que la République islamique d'Iran souhaite, c’est que les puissances occidentales acceptent les conditions iraniennes dans cet accord et surtout qu’elles lèvent les sanctions.

(Re)voir : Iran : les négociations sur le nucléaire reprennent, que faut-il en attendre?

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

TV5MONDE : Quel impact cette attaque contre Salman Rushdie peut-elle avoir dans la société iranienne ? 

Mahnaz Shirali : Cet attentat était destiné à transmettre un message aux puissances étrangères, à usage extérieur. La seule chose souhaitable qui pourrait arriver en Iran aujourd'hui serait que la société civile montre qu’elle est en désaccord avec ses dirigeants. 

(Re)voir Les réactions du monde de la culture à l'agression de Salman Rushdie

Silence des autorités iraniennes, la presse iranienne cible les Etats-Unis 

48h après la violente attaque contre Salman Rushdie, les autorités de la République islamique d'Iran n'ont jusqu'ici pas réagi à la tentative de meurtre de l'écrivain âgé de 75 ans, toujours hospitalisé dans un état grave.

En revanche, dimanche, le quotidien iranien Javan avance que "peut-être qu'un jeune musulman, qui n'était pas né lorsque Salman Rushdie a écrit son livre satanique, a voulu se venger de lui".

Ce journal ultraconservateur évoque aussi l'hypothèse d'un complot ourdi par les Américains: "Un autre scenario, c'est que les Etats-Unis veulent probablement propager l'islamophobie dans le monde", ajoute Javan.

Pour le quotidien Kayhan, "l'attaque contre Salman Rushdie a montré la faiblesse du renseignement des Etats-Unis et démontré que même des mesures de sécurité strictes ne peuvent empêcher des attentats".

"L'agression contre Salman Rushdie prouve aussi que se venger de criminels sur le sol américain n'est pas difficile. Désormais, (l'ex-président Donald ) Trump et (l'ex-secrétaire d'Etat Mike) Pompeo se sentiront plus menacés", ajoute Kayhan.

Le journal brandit une menace contre ces deux anciens responsables, qui sont "les principaux auteurs de l'assassinat du général Qassem Soleimani", éliminé lors d'un raid américain en Irak en 2020. Il était le chef des forces Qods, branche des opérations extérieures des Gardiens de la révolution, armée idéologique de l'Iran.