Agriculture française : l'exemple à ne pas suivre pour l'Afrique

Alors que le salon de l'agriculture referme ses portes ce dimanche 3 mars à Paris, dans une ambiance tendue suite au scandale de la viande de cheval surgelée, les déclarations politiques rassurantes peinent à trouver un écho favorable auprès du grand public. Le modèle agro-industriel français va mal, et si il pouvait donner des leçons au reste du monde il y a encore quelques décennies, ce sont des structures d'Afrique de l'Ouest qui aujourd'hui promeuvent un modèle agricole respectueux de l'environnement et de la biodiversité.
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Agriculture française : l'exemple à ne pas suivre pour l'Afrique
MacDonald au salon de l'agriculture : provocation ou fatalisme ?
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Les choix effectués après guerre en France (la révolution verte, NDLR), des grandes exploitations ultra modernes et dévoreuses d'eau, de cultures bourrées de produits chimiques et de subventions européennes aux seules exploitations agricoles de centaines, voire de milliers d'hectares, sont parvenus à leur limite : la petite et moyenne paysannerie est quasiment morte au profit des grands céréaliers. La France est désormais forcée d'importer de nombreuses productions agricoles qu'elle ne peut plus cultiver en quantité suffisante sur son propre sol. Quant aux terres cultivées, elles diminuent chaque année, plus polluées que jamais par les engrais chimiques et autres pesticides.

Un modèle français à bout de souffle

L'agriculture française semble parvenue à une étape inquiétante de son évolution : terres épuisées, eaux polluées, destruction de la bio-diversité, scandales sanitaires… Si le salon de l'agriculture permet le temps d'une semaine, de redorer le blason de cette activité millénaire, la réalité est toute autre que celle présentée en ce moment même au public français, faite d'éleveurs et de producteurs radieux garants de produits de qualité.  Depuis le Grenelle de l'environnement de 2007 les résultats pour aller vers une "autre agriculture" se font attendre. La France s'est pourtant engagée à atteindre 20% de sa surface agricole cultivée en agro-écologie (agriculture bio, sans produits chimiques) à l'horizon 2020, et 6% en 2012 : il n'y a aujourd'hui que 3% de surface agricole utile cultivée en bio, et à peine 10% des agriculteurs (propriétaires de petites exploitations pour la plupart), se sont convertis aux méthodes agricoles non-intensives. Dans le même temps, les demandes des grandes exploitations agricoles pour légaliser l'utilisation de plantes transgéniques (de type OGM, Organismes Génétiquement Modifiés ) s'accentuent sous la pression des multinationales avec leur lot de promesses de rentabilité décuplée. Le modèle agricole français, européen, est celui de la monoculture, de l'épuisement des terres et des technologies compensatrices (tels les OGM générant des pesticides) des effets pervers d'une activité en réalité plus proche de l'industrie que de l'agriculture. Si ce modèle permet encore d'alimenter les populations européennes et d'exporter, les conséquences à moyen et long termes sur la santé, la perte de goût des aliments, les qualités nutritives en baisse, la disparition des terres fertiles sont réelles et ne peuvent être écartées. Le modèle occidental de l'agriculture intensive est à bout de souffle. Etonnamment, en Afrique de l'Ouest, ce modèle occidental est contesté depuis plusieurs années et des alternatives s'y développent. Le donneur de leçon du nord serait-il inspiré d'aller voir du côté de ses ex-colonies du sud ?

Afrique de l'Ouest : une autre agriculture est possible…

Agriculture française : l'exemple à ne pas suivre pour l'Afrique
Champ de coton biologique au Bénin : encore l'exception
La COPAGEN (voir encadré) est un réseau d'associations paysannes, d'ONG, d'associations de consommateurs, d'associations de développement, de syndicats, de mouvements des droits de l'homme, qui "œuvre pour la sauvegarde du patrimoine génétique agricole africain, et pour une utilisation durable des ressources biologiques africaines, à travers la protection des droits des communautés locales et des agriculteurs". Cette coalition s'est formée en 2004 suite à l'introduction des premiers essais de cotons transgéniques en Afrique de l'Ouest un an auparavant, ainsi qu'après un rapport de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) préconisant l'utilisation des biotechnologies pour "aider les plus pauvres". Le président de l'association béninoise Jinukun, membre de la COPAGEN, René Segbenou, défend une agriculture traditionnelle et agro-écologique qui correspond à un savoir-faire local, synonyme de performance, loin des promotions de la culture intensive seule capable de super-rendements :  "en dépit de leur fragilité apparente, les paysans africains petits producteurs ont un savoir faire fondé sur une biodiversité agricole d’une grande richesse. Les approches qui savent valoriser cette richesse, associées à certaines techniques agro-écologiques permettent d’obtenir des résultats très satisfaisants. A titre d’exemple, l’utilisation de la fumure organique telle que le compost et la lutte anti-érosive ont permis de doubler, voire quadrupler, les rendements des semences locales. La lutte intégrée contre les prédateurs sans utilisation de pesticide a permis d’avoir plus de 30% d’augmentation de la production. Au Mali, le producteur de riz de l’Office du Niger qui a eu le prix du meilleur rendement avec plus de 8 tonnes à l’hectare n’a utilisé que la fumure organique et les semences locales !" L'agriculture ouest-africaine est majoritairement familiale et si des incitations à utiliser des engrais chimiques ont été effectuées ces dernières décennies, le résultat n'a jamais été satisfaisant : le modèle d'agriculture intensive occidental a du mal à se transposer au vu des investissements massifs qu'il requiert. Est-ce un mal ? Pour le président de Jinukun, c'est au contraire une chance, malgré des politiques qui cherchent avant tout à financer les cultures de rente : "Il faut avant toute chose parler de la politique agricole : elle ne soutient pas l'agriculture paysanne, largement pratiquée chez nous, mais des produits de rente, d'exportation, comme le coton, l'ananas, et pas les productions vivrières."

Autosuffisance alimentaire et performance de l'agro-biologie

Agriculture française : l'exemple à ne pas suivre pour l'Afrique
Champ de Fonio bio (céréale) au Burkina Faso
Il est difficile de généraliser lorsque l'on parle d'autosuffisance alimentaire, pour une région aussi vaste que l'Afrique de l'Ouest, mais le président de l'association béninoise estime que ce problème n'est pas aussi marqué qu'on veut bien le dire : "Il y a toujours des différences entre les régions, mais il y a des pays qui sont auto-suffisants, comme le Bénin, le Burkina Faso : ces pays produisent assez pour nourrir leur population." Le problème de la politique agricole est central, mais commence à se modifier : "Il faut souligner que depuis très peu de temps, certains gouvernements commencent à soutenir des productions vivrières, ce qui change la donne pour l'auto-suffisance alimentaire, cela n'avait jamais été le cas jusqu'ici. Mais ce n'est pas suffisant, ça n'a aucun rapports avec les soutiens donnés aux culture d'exportation." Le modèle occidental d'agriculture intensive ne s'est pas fortement développé au niveau des cultures vivrières mais s'est par contre généralisé pour les grandes exploitations de cultures de rente, avec des doses de Roundup (herbicide vendu par Monsanto, firme spécialisée dans la vente de semences OGM ) tellement importantes, par exemple, qu'elles peuvent "tuer les terres" comme l'explique René Segbenou : "Les subventions permettent d'acheter ces produits chimiques comme le Roundup, et malheureusement les grandes zones dans lesquelles on produit du coton ont des sols tellement dégradés qu'on ne peut même plus y produire des cultures vivrières !" Mais l'agriculture agro-biologique n'est pas inexistante en Afrique de l'Ouest : "Nous avons des poches de production bio dans presque tous les pays africains. Elles sont soutenues par des associations, des ONG, mais d'une manière générale, l'agriculture vivrière n'utilise pas d'intrants chimiques chez nous, parce que c'est une pratique ancestrale de cultiver naturellement. Malheureusement, ces pratiques naturelles sont en cours de destruction par l'importation de méthodes occidentales basées sur la chimie", souligne le président de Jinukun. Selon René Segbenou, "Ces pratiques agricoles industrielles sont avant tout poussées par des ingénieurs agronomes et des politiques africains qui pensent qu'elles seules vont permettre de produire correctement et nourrir tout le monde." Mais le potentiel agricole de l'Afrique est énorme, et si le modèle des petites exploitations familiales produisant en agro-écologie se généralise, il est possible que le continent le plus "affamé" devienne à termes le grenier et le garde-manger du monde. Comme le dit René Segbenou : "nous vivons dans un continent qui regorge de ressources biologiques, et l'idéal serait que nous puissions nous pencher sur ces ressources et les promouvoir autour de nous, mieux les utiliser, de façon respectueuse. Les solutions sont chez nous, pas ailleurs."
Documentaire de Marie-Monique Robin sur l'agro-écologie à travers la planète, plus particulièrement en Amérique centrale et en Afrique noire
Ndiogou Fall, a été président du comité exécutif du ROPPA (Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs Agricoles de l’Afrique de l’Ouest– http://www.roppa.info) jusqu'en 2010, année de son décès. Créée en 2000, la ROPPA a pour objectif de défendre les petites exploitations agricoles familiales.

Une étude qui en dit long…

Extrait du blog de la journaliste suisse Catherine Morand qui a travaillé pendant plusieurs années en Afrique de l'Ouest comme correspondante pour plusieurs médias suisses et internationaux "Une étude sur 7 ans portant sur 1000 fermiers cultivant 3'200 hectares dans le district de Maikaal dans le centre de l’Inde établit que la production moyenne de coton, de blé et de piment était jusqu’à 20% supérieure dans les fermes biologiques par rapport aux fermes conventionnelles de la région. Dans un contexte de grande précarité économique, ce type d’agriculture permet par ailleurs aux petits producteurs de sortir du cycle infernal des dettes qu’ils contractent pour acheter, au prix fort, des intrants chimiques et autres semences hybrides ou transgéniques. Et de vivre du produit de leur travail sans avoir à prendre le chemin de l’exil. Le plus grand défaut de l’agriculture bio ? Elle ne rapport précisément rien aux multinationales agrochimiques, aux grands semenciers, qui exercent des pressions insensées dans le monde entier pour imposer leurs produits et leur modèle d’agriculture industrielle chimique et transgénique."

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L'Afrique au secours de l'Occident Anne-Cécile Robert L'Atelier, Ivry-sur-Seine, 2004