Largement annoncée à l'avance sans susciter d’inflexion, l'entrée en grève des pilotes fait immédiatement l'objet d'un violent procès en illégitimité non seulement de la direction de l'entreprise mais aussi de la classe politique et ses commentateurs. Au-delà de la presse financière ou conservatrice logiquement hostile au mouvement, le quotidien indépendant « le Monde » s'engage significativement et fortement,
titrant en pleine Une dès le premier jour du conflit : « La grève des pilotes ne se justifie pas » (par une étrange confusion, l’éditorial qualifie au passage de « service public » la compagnie aérienne … privatisée depuis dix ans et se trompe sur les différentiels de coût entre Air-France et Transavia). Elle « doit s'arrêter », répondent en chœur le Premier ministre Manuel Valls et celui de l'économie Emmanuel Macron. Elle coûte « vingt millions » d'euros par jour, fait savoir la compagnie, chiffre repris abondamment sans examen particulier. De façon inhabituelle, les compagnies aériennes françaises prennent position par une
lettre ouverte en forme de réquisitoire : « Refuser par peur, conservatisme, ou dogmatisme tout nouveau projet affaiblit le pavillon français et constitue un renoncement à notre avenir (...) Le jusqu'au boutisme apporte un discrédit profond et ravageur à la profession de pilote ». Surchauffés par les informations sur les salaires élevés de ces derniers (cependant proches de ceux de la concurrence), les réseaux sociaux se déchaînent contre une « grève de privilégiés ». Une vox populi très agressive dominant les « discussions » ou forums de la toile s'empresse, selon un schéma éprouvé, d'y assimiler dans sa vindicte les fonctionnaires, cheminots et autres cibles rituelles de ressentiment en temps de crise. Moins attendu mais en phase avec une partie du personnel au sol qu’irrite le mouvement, le Secrétaire général de la CFDT, deuxième syndicat français, le qualifie d' «
indécent ». La CGT, en revanche, première confédération du pays, au début assez circonspecte à l'égard d’une lutte entachée de « corporatisme », se décide à lui apporter son soutien, de même que plusieurs syndicats d'Air-France également inquiets des risques de délocalisation ou remises en cause sociales. « Qui peut sérieusement envisager que Transavia-France et le futur bébé Transavia-Europe ne vont pas cannibaliser le réseau d’Air-France ? », s'interroge un
communiqué de l'UGICT (ingénieurs et techniciens CGT). Populaire ou non, la grève, loin de fléchir, est en tout cas reconduite de jour en jour par une majorité de pilotes, clouant au sol plus de la moitié de la flotte.