Encouragée tacitement par le pouvoir politique, la direction d'Air France était persuadée de recueillir un soutien massif dans le « référendum » - sans valeur légale – qu’elle avait organisé pour faire désavouer les organisations syndicales par le personnel. C’est le contraire qui s’est produit, malgré une participation massive : 55 % de « non ». Une gifle, que les acteurs eux-mêmes interprètent avec nuances.
Tous le disent, à commencer par le président démissionnaire Jean-Marc Janaillac : elle est « la traduction d'un malaise » qui dépasse la question salariale. Il y a « une exaspération qui couve » depuis plusieurs années et « les salariés ont pu, pour une fois, exprimer leur mécontentement », résume Jérôme Beaurain de SUD-Aérien, en référence aux plans de productivité successifs.
En se focalisant sur les pilotes -- peu nombreux au regard des autres catégories --, la direction fait « une très mauvaise lecture » du conflit, avance-t-il. D'une part, elle n'a pas pris la mesure de la « paupérisation des couches sociales les plus basses », certains salariés ayant selon lui perdu « 20% de salaire horaire en cinq ans » après les innombrables plans d’économies imposés aux personnels. D'autre part, elle a payé son « passage en force » sur Joon (filiale à bas coût) auprès des hôtesses et stewards d'Air France, écartés de la nouvelle compagnie.
Le confortable bénéfice de la compagnie, enfin – près d’un milliard et demi en 2017 - rendait difficilement audible le discours indéfiniment employé sur l’austérité nécessaire dans un contexte de péril.
Paradoxe : la grève connaît un fléchissement alors qu’elle est indirectement validée par le vote national. Fer de lance du mouvement, les pilotes seront officiellement 14% à faire grève mardi, quand ils étaient plus de 30% en moyenne en avril.
En tirer conclusion qu’elle « bat de l’aile » comme l’affirme inlassablement la direction et nombre de médias exaspérés par le mouvement semble pourtant un peu rapide. Avant de peser sur les résultats de la société, la grève a un coût élevé – comme celle des cheminots - pour ceux qui la suivent, moins enflammés à la répéter de jour en jour au deuxième mois qu’à son commencement.
Cela n’indique pas un changement d’opinion. Avec un « non » ferme et 80% de participation, le personnel a, au contraire, envoyé un « message extrêmement fort », selon l'intersyndicale, qui continue de réclamer de « véritables négociations ».
Elle se retrouve lundi après-midi pour définir sa stratégie : soit lever le pied, au risque de perdre la dynamique, soit accroître la pression au risque de renforcer l'image « jusqu'au-boutiste ».
Une solution intermédiaire pourrait être trouvée : « calmer le mouvement pour l'instant », tout en déposant un nouveau préavis « à court ou moyen terme, pour dire (à la direction) que ce n'est pas fini », explique Christophe Campestre du Spaf (Syndicats des pilotes d'Air France).
« Ce n'est pas parce que la consultation nous a été favorable qu'on va arrêter tout d'un coup et attendre benoîtement que (la direction) veuille bien se rasseoir à la table des négociations », appuie le porte-parole du deuxième syndicat de pilotes.
La direction d'Air France assure qu’une reprise des négociations est impossible dans l'immédiat. « Faute d'un nouveau mandat, la direction générale d'Air France ne sera pas en mesure, dans cette période de transition, d'ouvrir quelque négociation que ce soit sur les salaires », a écrit M. Janaillac vendredi aux syndicats représentatifs, après avoir annoncé sa démission.
Mais pour ces derniers, il ne faudrait pas que, « sous prétexte de changement de direction, ils enlisent la situation », alors qu'il y a « toujours un directeur général à Air France ».
Les administrateurs doivent donner à Franck Terner « un mandat clair » pour qu'il fasse un geste envers les syndicats, ce qui « faciliterait la transition avant l'arrivée du prochain PDG », développe Christophe Malloggi pour FO, assurant que « la vacance du pouvoir, ça n'existe pas ».
L'intersyndicale a fait tomber le président d'Air France, alors qu'ils avaient le directeur général (M. Terner) et le DRH Gilles Gateau dans le collimateur. Sans donner de nom, la CFDT affirme que la démission de M. Janaillac « en appellera sans doute d'autres dans les prochains jours ».
Néanmoins, le président du puissant syndicat de pilotes veut croire qu'une sortie de crise rapide est possible : « La direction propose 2% (d'augmentation en 2018), les salariés demandent 5, il y a forcément un compromis qui est possible ».
Le pouvoir politique, en tout cas, ne souffle pas dans ce sens. Caressant une opinion publique supposée scandalisée par une « grève de riches », le ministre de l’économie Bruno Le Maire déclarait dimanche que l’État n’épongerait pas les dettes d’Air France et que la compagnie « disparaîtrait » si elle ne faisait pas « les efforts de compétitivité nécessaires ».
Réponse sèche de Christophe Campestre : le ministre est hors-sujet. « Pour mémoire, l'État n'est pas intervenu au sein des comptes d'Air France depuis plus de 25 ans maintenant, c'était en 1993 ».
La presse française économique ou proche du pouvoir, en tout cas, abonde dans le sens de la dramatisation, présentant le mouvement social comme suicidaire et dramatique son coût ... qui avoisine le cinquième de ses derniers bénéfices. Les Échos parlent de « scénario catastrophe ». « Air France s’enfonce un peu plus dans la crise » déclare le Monde sur cinq colonnes de Une. Quant au Figaro, il organise une consultation en ligne sur le thème « Pensez-vous que la compagnie nationale puisse disparaître ? ».
Sensible à ces annonces incendiaires - plus qu’à une grève présentée simultanément comme expirante -, l’action Air France-KLM perdait ce lundi 10,50 % à la Bourse de Paris.