Alep-Est : les martyres du carnage et notre impuissance à peine désolée

Seuls les réseaux sociaux et leurs vidéos en ligne permettent de traduire la tragédie quotidienne des 250 000 civils otages à Alep-Est. Derrière ces images difficilement soutenables, il y a des familles détruites, des vies dévastées, des enfants terrorisés... et notre indignation polie.
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Hopital pédiatrique Alep
Quelques secondes après le bombardement de leur unité pédiatrique, deux infirmières craquent en tenant chacune un nouveau né prématuré dans leurs bras.
(capture d'écran d'un reportage de la chaîne Al-Jazeera)
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Il n'est pas question de "frappes chirurgicales" pour évoquer le martyre d'Alep. Des tapis de bombes, de roquettes, d'obus d'artillerie et de missiles sèment désormais la mort partout. Les combattants sont estimés à environ 8000, les habitants, pris en otage, affamés, affolés, seraient 250 000.

En septembre 2013,  poussé par les Etats-Unis et la Russie, Barchar Al Assad s’était engagé à détruire ses stocks d’armes chimiques, notamment le gaz moutarde et de sarin. Preuve de sa bonne volonté, il avait même adhéré à la Convention pour l’interdiction des armes chimiques et, en janvier 2016, l’Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) annonçait que l’arsenal chimique syrien avait été détruit.
Mais le chlore, qui a des usages industriels, n’est pas répertorié comme arme chimique en tant que tel.

A cette heure, plus aucun hôpital n'est en état de fonctionner à Alep.


Dans son dernier rapport, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) constate que "Bien que certains services de santé soient encore disponibles dans les petites cliniques, les résidents n'ont plus accès aux soins traumatologiques, aux chirurgies majeures et à d'autres consultations pour des problèmes de santé graves, même si ces soins sont urgents. Cette souffrance supplémentaire est imposée à une population dont l'accès aux soins de santé a été précaire et qui ne cesse de diminuer au cours des cinq dernières années, le conflit ayant causé des dommages et des destructions implacables aux établissements de santé. La situation est devenue critique depuis que l'aide a été impossible à livrer à la ville assiégée depuis juillet 2016. "


On peut dénoncer sans image et s'indigner sans mot d'ordre


Les bombardements intentionnels d’hôpitaux sont pourtant interdits par les lois humanitaires internationales. Les pouvoirs syrien et russe n'en ont que faire.
Et la "communauté internationale" a beau "condamner avec la plus grande fermeté" ces atrocités, Ban Ki-moon, actuel secrétaire national des Nations unies, utiliser le  mot "abattoir" pour dénoncer la stratégie meurtrière, rien ne change.


Les journaux télévisés français de grande écoute (TF1, France 2, France 3), évoquent rarement le martyr d'Alep dans leurs éditions. Quand sont diffusées malgré tout quelques images de la partie est de la ville, forcément ravagée, c'est pour donner un décompte macabre, sans éclairage particulier sur le calvaire enduré par les habitants. Sans doute, ne faut-il pas choquer les téléspectateurs ni troubler leur digestion. On objectera qu'il s'agit de zones extrêmement dangereuses et que les images en provenance d'Alep peuvent être sujettes à caution. Mais, tout de même, il est possible de dénoncer sans image, comme il est possible de s'indigner sans mot d'ordre.
Rien.
Les fêtes de fin d'année qui approchent accaparent un temps d'antenne important et, sauf erreur, on ne signale aucune manifestation de soutien dans les rues parisiennes pour les victimes d'Alep.

A Alep, les gens deviennent fous


Joint par nos confrères du journal Le Monde, Abdelkader Salaheddin est un trentenaire employé d’une ONG humanitaire. Il brosse un portrait apocalyptique de la situation sur place : " Les gens sont en train de devenir fous. On en voit de plus en plus qui marchent dans la rue en parlant tout seuls. Ils cherchent quelque chose à manger chez eux, chez leurs parents, chez leurs amis, mais ils ne trouvent rien. J’ai rencontré un homme qui depuis quatre jours se nourrit seulement de pain. Si les gens ne meurent pas sous les bombes, ils mourront de faim ou de folie. "
Quelles images pour traduire l'indicible ?
Il faut avoir le courage de regarder ce reportage ci-dessous jusqu'au bout. L'horreur dans un hôpital pédiatrique soudain touché par un projectile : 
 

Mais il serait trompeur de penser que l'utilisation de "bombes sales" soit le seul apanage de l'armée russe ou syrienne.  Ainsi, des officiers russes des troupes de protection nucléaire, chimique et biologique affirment que des preuves ont été trouvées dans le quartier 1070 d’Alep.
Selon le porte-parole du ministère russe de la Défense, le major-général Igor Konachenkov, neuf prélèvements (fragments de mines, échantillons du sol des cratères d'obus) "ont confirmé que les terroristes avaient rempli leurs munitions de chlore et de phosphore blanc".

Alep destruction
Alep, le 19 novembre 2016. 
(Syrian Civil Defense White Helmets via AP)

Moscou a demandé à l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) d'envoyer ses experts à Alep, en Syrie, pour analyser des échantillons de substances toxiques utilisées par des terroristes dans la région. Refus de l'OIAC, qui invoque des problèmes pour la sécurité de ses experts.

Des "rebelles" utilisant des armes sales. Réalité ? Propagande ?

En attendant, l'Observatoire Syrien des Droits de l'Homme note que ce mardi est le 60 e jour du bombardement intensif d'Alep-est  par l'aviation et les hélicoptères. Il relève "qu'entre le 22 septembre 2016 et aujourd'hui,  834 citoyens civils ont été tués, dont 176 enfants de moins de 18 ans et 69 citoyens de plus de 18 ans et plusieurs milliers de blessés"
Des chiffres qui font mal. Mais à qui, au juste ?