Algérie – Maroc : "Depuis deux ans, on assiste à une dégradation des relations entre les deux pays"

Ce mardi 24 août, l’Algérie a annoncé la rupture de ses relations diplomatiques avec le Maroc. Après des mois de très vives tensions entre les deux pays, les autorités algériennes accusent le royaume chérifien « d’actions hostiles » à l’égard d’Alger. De son côté, Rabat dénonce une décision « unilatérale » et à ses yeux « injustifiée ». Cette décision était-elle inéluctable ? Quelles sont les raisons des tensions de ces derniers mois ? Quelles répercussions pour les deux pays ? Kader Abderrahim, maître de conférences à Sciences Po Paris et auteur de Géopolitique de l’Algérie, paru aux éditions Bibliomonde, répond à nos questions.  
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Lamamra
Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, à Alger, en Algérie, le 24 août 2021, jour de l'annonce de la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc. 
© AP Photo/Fateh Guidoum
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TV5MONDE : Après plusieurs mois de tensions exacerbées, l’Algérie a annoncé ce mardi la rupture de ses relations diplomatiques avec le Maroc. Cette décision était-elle inéluctable ?

Kader Abderrahim
Kader Abderrahim, maître de conférences à SciencesPo (Paris), directeur de recherche à l’Institut prospective et sécurité en Europe et auteur de Géopolitique de l’Algérie, paru aux éditions Bibliomonde.
© D.R.

Kader Abderrahim : Cette décision n’était pas inéluctable. Mais compte tenu du contexte de dégradation ces derniers mois, c’était une issue possible. Et puis les Algériens avaient prévenu ; dès le 18 août, ils avaient dit qu’ils reverraient leurs relations diplomatiques avec le Maroc. C’était une forme de menace. À l’évidence, ils l’ont mise à exécution.

TV5MONDE : Quelles sont selon vous les vraies raisons des tensions de ces derniers mois, et qui aboutissent aujourd’hui à cette rupture des relations diplomatiques entre Alger et Rabat ?

Kader Abderrahim : Il y a principalement le dossier du Sahara occidental qui n’est toujours pas réglé, et qui a donné lieu ces derniers temps à de multiples rebondissements, à des joutes verbales. Depuis, la situation n’a fait qu’empirer. Ça fait bientôt deux ans qu’on assiste à une dégradation qui trouve son point d’orgue avec cette rupture des relations diplomatiques, à l’initiative de l’Algérie. Il me semble toutefois que la question la plus importante aujourd’hui, au-delà de savoir ce qui a conduit à cette situation, c’est d’essayer de comprendre et d’analyser ses répercussions sur les deux pays et leurs partenaires.

Sur le plan humain, ce sera évidemment un déchirement, puisqu’il y a des Marocains qui vivent en Algérie, et des Algériens qui vivent au Maroc.

Kader Abderrahim, maîtres de conférences à SciencesPo Paris

TV5MONDE : Justement, les frontières entre l’Algérie et le Maroc sont fermées depuis le 16 août 1994. Quelles pourraient être les conséquences de cette rupture des relations diplomatiques sur les citoyens et les partenaires des deux pays ?

Kader Abderrahim : Sur le plan humain, ce sera évidemment un déchirement, puisqu’il y a des Marocains qui vivent en Algérie, et des Algériens qui vivent au Maroc. Historiquement, les liens entre les populations des deux pays sont quand même importants. Mais sur le plan économique et commercial, il n’y aura pas de gros impacts parce que le volume des échanges entre les deux pays est extrêmement modeste, limité.
 

Depuis une quinzaine d’années, le Maroc a décidé de se redéployer sur le plan économique, commercial, diplomatique, sur l’Afrique de l’Ouest et sur le Sahel. Et au fil des ans, l’Algérie a vu son espace stratégique et son influence grignotées dans la région.

Kader Abderrahim, maîtres de conférences à SciencesPo Paris

Il devrait pourtant être beaucoup plus conséquent, ce qui offrirait des débouchés aux deux pays. Mais nous ne sommes pas dans une telle configuration entre les deux pays. Et s’agissant de leurs partenaires européens par exemple, je crois que les relations bilatérales avec la France, l’Italie, ou encore l’Espagne seront forcément impactées négativement. Et d’une manière générale, les relations diplomatiques notamment avec l’Europe vont être beaucoup plus compliquées.

TV5MONDE : Est-ce que vous partagez l’avis de certains observateurs qui pensent qu’au-delà du dossier sahraoui, Alger soupçonne Rabat de lui disputer le leadership au Sahel, dans un contexte marqué par la réadaptation de l’engagement français dans la région ?

Kader Abderrahim : Beaucoup parlent en effet d’une éventuelle intervention de l’armée algérienne au Sahel, qui pourrait d’ailleurs être annoncée dans les jours qui viennent [La Constitution algérienne autorise désormais le déploiement de l’armée hors des frontières du pays, NDLR]. Mais de toutes les façons, le Sahel va être directement impacté par la situation actuelle. Depuis une quinzaine d’années, le Maroc a décidé de se redéployer sur le plan économique, commercial, diplomatique, sur l’Afrique de l’Ouest et sur le Sahel. Et au fil des ans, l’Algérie a vu son espace stratégique et son influence grignotées dans la région.

Incendies
Pompiers luttant contre les incendies le 13 août dernier près de la commune de Toudja, dans la région de Petite Kabylie, en Algérie. 
© AP Photo/Toufik Doudou

Aujourd’hui, c’est l’Algérie qui est isolée sur le plan diplomatique, et qui se trouve confrontée à des menaces exogènes. Il y a des menaces terroristes notamment aux frontières avec la Libye, le Niger ou encore le Mali. Ces menaces pour lesquelles les Algériens n’ont pas de solutions, et qu’ils ne pourront pas régler seuls, vont encore peser durablement sur le pays. Et pour finir, il y a cette question de la contestation intérieure d’un peuple qui est entrain de bouillir, et qui est au bord de l’implosion. Quand on voit ce qui s’est passé cet été, avec des coupures d’eau, la recrudescence de la pandémie, les incendies de forêts… c’est l’Algérie qui se trouve dans une situation délicate.

TV5MONDE : Y-a-t-il aujourd’hui des risques de conflit ouvert entre le Maroc et l’Algérie ?

Kader Abderrahim : Non Absolument pas ! Je n’y crois pas en tout cas. La situation ne dégénèrera pas en conflit ouvert. Principalement parce que les partenaires stratégiques des pays du Maghreb et de la rive orientale de la Méditerranée ont des intérêts à défendre et à préserver. Je ne crois donc absolument pas à une telle hypothèse.