Ali Ferzat : « la révolution en Syrie a déjà vaincu »

Bientôt deux ans depuis le début du mouvement de contestation en Syrie. Avant mars 2011, le caricaturiste Ali Farzat était parmi les rares à oser critiquer le pouvoir. Agressé à la suite de dessins contre les symboles du régime, il se dit « mille fois plus courageux » aujourd’hui qu’avant la révolution. A travers son histoire, un clin d’œil sur la manière dont le peuple Syrien, réprimé pendant des décennies, brise le mûr de la peur. Rencontre.
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Ali Ferzat : « la révolution en Syrie a déjà vaincu »
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Glisser la souris sur l'image pour regarder les morceaux de l'entretien d'Ali Farzat, interviewé par Reza Pounewatchy et Clément AllineImage retirée.
Selon l'ONU, plus de 70 000 syriens sont morts depuis le commencement du conflit il y a presque deux ans. Peu avant, il était difficile de croire qu’un soulèvement sanglant allait se déclencher contre le régime de la famille Al Assad . En février 2011, presque personne n’avait répondu aux premiers appels sur les réseaux sociaux pour manifester à Damas. Gouvernée d'une main de fer depuis le coup d’état du père Hafez Al Assad en 1970, la Syrie était dans les yeux de beaucoup immunisée contre les vagues du « Printemps arabe ». Pendant une quarantaine d’années, le régime du Parti Baas impose un système de censure qui vise principalement les opposants politiques, les médias et la société civile. Seule l’industrie des séries télévisées , en plein essor, réussit à s’en échapper. Les visiteurs de la Syrie, une principale destination touristique au Proche Orient, sont avertis des risques de parler politique au pays du Baas. C’est sous ces conditions-là que le caricaturiste opposant Ali Ferzat travaille. Il essaie de garder un équilibre précaire entre le manque de libertés et ses critiques contre le régime. « Pour pouvoir passer au travers du filet de la censure, j’utilisais le symbole », explique-t-il lors d’une exposition de solidarité avec la Syrie, à l’Institut du monde arabe à Paris. En Syrie, il n’y a pas que les journalistes qui sont censurés. C’est un système qui touche aussi le citoyen lambda, selon Ferzat.

“La censure fait partie du programme de ce régime“

Ali Ferzat : « la révolution en Syrie a déjà vaincu »
Un dessin d'Ali Ferzat se moquant de la relation entre les services de renseignement et les citoyens en Syrie / Source: le site web du caricaturiste http://www.ali-ferzat.com.
Bien avant la révolution de 2011, des élites tentent de faire bouger les choses. Il s'agit du doux « printemps de Damas » , à la suite de la mort du père Hafez Al Assad en 2000. Ferzat en fait partie. Il tient un journal qui s’appelle « Al Domari », un terme qui désigne la personne chargée d’allumer à la main les lampadaires des rues orientales dans le temps passé. Des critiques « très fortes » ne sont pas supportées par les autorités. Ces dernières ferment le journal et poursuivent ses journalistes, selon le caricaturiste. Comme la plupart des militants du monde arabe, Ferzat voit une solution dans les nouveaux médias. Il crée un site web portant le même nom que le journal. La critique donc continue « encore plus virulente qu’avant ».
« La barrière de la peur est tombée » Quelques mois plus tard, la ville de Deraa se mobilise. Les gens s’indignent contre l’arrestation et la torture présumée d’un groupe d’enfants de la ville . On est en mars 2011, et c’est le début du soulèvement contre le régime de la famille Al Assad . « La barrière de la peur est tombée », se félicite Ferzat. Dans ce chaos, l'artiste est agressé. Le 25 août 2011, il sort de son atelier peu après l'aube. Un groupe d’hommes tenant un discours pro-Assad le suit en voiture. Ils l’attaquent, le frappent, lui cassent les poignets et le jettent, le sang qui coule, « à 30km de la ville de Damas ». (Sur la photo au dessus, on trouve la vidéo de sa description détaillée de l'incident).
Une vidéo montrant le caricaturiste à l'hôpital après l'agression
De l'espoir Le soir de son retour de l'hôpital, des syriens se rassemblent devant sa maison, bougies à la main, pour le saluer. Cela lui donne de l’espoir, dit-il. Les événements en Syrie aujourd’hui prennent une nature sanglante. Des sentiments sectaires sont nourris par les différentes parties en guerre, dont le régime alaouite. Mais pour Ferzat, « ce qui se passe, ce n’est qu’une manière d’organiser les choses ». « Après l’agression, je suis devenu mille fois plus courageux qu’avant, affirme-t-il. Et c’est ça qui explique que les Syriens soient de plus en plus nombreux à manifester à chaque fois qu’il y a des morts ».